Durant l’année d’études et de recherche que m’a accordée l’Université de Montréal, je travaille à identifier les aliments figurant sur des Cènes médiévales et à évaluer leur valeur symbolique. J’essaye, autant que possible, de présenter ici chaque lundi une Cène particulière.
Changement de pays pour la cène de cette troisième semaine et changement de support. Je vous propose de découvrir le linteau du portail de l’église Sainte-Marie-Madeleine de Neuilly-en-Donjon en Bourgogne (vers 1140).
Trois motifs bibliques y sont assemblés:
- Le Dernier Repas de Jésus (identifié au fait que Jésus est en train de rompre un pain carré) autour d’une longue table rectangulaire qui a l’avantage de parfaitement remplir l’espace d’un linteau de porte (conformément à la loi du cadre, énoncée par l’historien d’art Henri Focillon), mais qui crée des hiérarchies que la table ronde permettait d’éviter.
- L’épisode où une femme, connue comme « une pécheresse » (qui n’est pas Marie-Madeleine !), se place aux pieds de Jésus et « se met à baigner ses pieds de larmes; elle les essuie avec ses cheveux, les couvre de baisers et répand sur eux du parfum. » (Luc 7, 36-50).
- Et l’épisode où la première femme offre au premier homme de manger le « fruit de l’arbre qui était au milieu du jardin » (l’un des deux seuls arbres dont Dieu avait interdit la consommation; mais un arbre qui paraissait « bon à manger, séduisant à regarder, précieux pour agir avec clairvoyance ») que le premier serpent lui a proposé de manger (Genèse 3, 1-19). La Genèse fait de la consommation de ce fruit, la première transgression qui aura comme conséquence pour l’homme et la femme l’expulsion du jardin.
L’association des deux scènes de la Première Transgression et du Dernier Repas est significative car elle met en parallèle deux épisodes bibliques où la nourriture tantôt perd et tantôt sauve. Elle est d’autant plus significative que pour l’homme, la conséquence de sa transgression sera de devoir « manger son pain à la sueur de son front ». Or lors du Dernier Repas, ce pain, produit par le travail des hommes (l’effort reste toujours le même!), devient l’aliment-même de la réconciliation avec Dieu. Ce n’est d’ailleurs sans doute pas un hasard si l’artiste a placé entre les deux scènes un arbre sans serpent qui pourrait bien être l’arbre de vie (l’autre arbre dont Dieu avait interdit la consommation), signifiant ainsi que l’être humain peut « maintenant tendre la main pour prendre de l’arbre de vie, en manger et vivre à jamais! » (d’après Genèse 3, 22).