Durant l’année d’études et de recherche que m’a accordée l’Université de Montréal, je travaille à identifier les aliments figurant sur des Cènes médiévales et à évaluer leur valeur symbolique. J’essaye, autant que possible, de présenter ici chaque lundi une Cène particulière.
Après avoir évoqué la semaine dernière la cuisine du sacrifice et montré une Cène qui évitait la viande, j’ai cherché pour cette semaine, une Cène qui, tout au contraire, insérait le Dernier Repas de Jésus dans cette culture du sacrifice. L’exemple le plus évident me paraît être cette miniature d’un Livre d’Heures intitulé Officium Beatae Mariae Virginis et réalisé en France entre 1385 et 1399. Le feuillet se trouve actuellement à la New York Public Library.
Sur la nappe blanche, sont à peine esquissés 4 verres (l’un d’eux est tenu par un apôtre qui boit), 2 couteaux et, mieux « terminés » et coloriés 8 morceaux de pains. Mais ce qui frappe, ce qui choque, c’est évidemment l’énorme carcasse au centre de la table, une carcasse écorchée, une carcasse le ventre ouvert, une carcasse que se disputent deux apôtres, l’un tenant une patte et l’autre cherchant à prendre la tête. J’ai écrit « une patte » mais ce pourrait tout aussi bien être un pied, tant la carcasse ressemble autant à celle d’un être humain qu’à celle d’un animal (qui devrait être un agneau, et pourrait l’être vu sa tête allongée).
Contrairement à la Dernière Cène de Ravenne, qui faisait du Dernier repas la commémoration de la mort de Jésus, cette miniature propose une lecture très sacrificielle de ce même Dernier Repas: celui-ci préfigure et met en scène un grand sacrifice, celui où Jésus va s’offrir tel « l’agneau de Dieu’ pour « ôter le péché du monde ». Je ne peux m’empêcher de penser que sur cette image, les disciples s’apprêtent à dévorer « réellement, vraiment et substantiellement » (pour reprendre la doctrine catholique de la transsubstantiation) le corps du Christ.