La Cène de la semaine (11)

Durant l’année d’études et de recherche que m’a accordée l’Université de Montréal, je travaille à identifier les aliments figurant sur des Cènes médiévales et à évaluer leur valeur symbolique. J’essaye, autant que possible, de présenter ici chaque lundi une Cène particulière.

Vendredi 23 novembre, j’ai assisté aux « Rencontres François-Rabelais« , organisée à Tours par l’Institut européen d’histoire et des cultures de l’alimentation, des Rencontres consacrées cette année aux relations entre « Arts et cuisine ». Lors d’une table ronde, il fut rappelé que la première peinture où figure un personnage la bouche ouverte en train de manger daterait du 16e siècle. Il s’agirait du fameux Mangeur de fèves (ou de haricots) de Annibale Carracci (1584-1585).

L’affirmation m’a surpris car je croyais bien me souvenir de Cènes présentant des apôtres en train de boire ou de manger.

Et j’avais raison! Après consultation de ma base de données, j’ai notamment retrouvé des enluminures où Jésus fourre presque de force un morceau de pain dans la bouche de Judas (la première datant du milieu du 11e siècle) et des Communions des apôtres ou les apôtres attendent agenouillés la bouche ouverte que Jésus les nourrisse d’hostie.

Mais la Cène qui met le plus les mangeurs et les buveurs à l’honneur me semble être cette œuvre allemande du milieu du 13e siècle (soit 300 ans avant Carracci), sculptée dans la pierre et peinte par le Maître de Naumburg. On peut l’admirer sur le jubé occidental du Dom St. Peter und St. Paul à Naumburg an der Saale (Allemagne).

19090

Pierre peinte; Maître de Naumburg (1250-1260). Naumburg an der Saale; Dom St. Peter und St. Paul.

La sculpture met en scène Jésus et cinq de ses apôtres. Judas, de trois-quarts dos, est doublement désigné comme traître: par la main qu’il plonge dans le plat et par la bouchée que lui donne Jésus (un Jésus qui tient sa manche comme s’il avait peur qu’elle trempe dans le plat). Les quatre autres apôtres en sont à des stades différents du repas:

  • Jacques, tout à gauche de la table, a saisi un poisson (tout en s’agrippant bizarrement à la nappe);
  • Pierre, à l’autre extrémité, est surpris la bouche ouverte en train de manger quelque chose;
  • André, à la gauche de Jésus, boit;
  • et Jean, à sa droite, tient une serviette avec laquelle il pourrait bien s’apprêter à s’essuyer la bouche.

Pas de fausse pudeur ici. Les convives sont à table pour manger et celui qui mange, mange pour de vrai et celui qui boit, boit pour de bon!

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