Durant l’année d’études et de recherche que m’a accordée l’Université de Montréal, je travaille à identifier les aliments figurant sur des Cènes médiévales et à évaluer leur valeur symbolique. J’essaye, autant que possible, de présenter ici chaque lundi une Cène particulière. Cette 13e Cène sera la dernière. « 13 Cènes » me semble un bon chiffre pour un repas qui a rassemblé 13 convives… Pour d’autres aliments sur d’autres Cènes, il faudra attendre la fin de ma recherche et la publication de mon livre!
Comment terminer sans parler de la Cène la plus fameuse, le Cenacolo de Léonard de Vinci? Je reprends en article ce qui figure sur la page « Renaissance » de ce blog.
La Cène de Leonard de Vinci (1495-1498) est probablement la Cène la plus célèbre… et la plus copiée/reinterprétée/pastichée/etc.
Sur la base des travaux de l’historien de l’art étatsunien John Varriano – Varriano, J. (2008). At Supper with Leonardo. Gastronomica. The Journal of Food and Culture, 8(1), 75-79. -, nous pouvons identifier les aliments suivants:
- Des aliments dont la présence est certaine: du pain, des fruits (orange ou grenades) et des quartiers d’orange, des poissons, une boisson rouge pâle et du sel.
- Des aliments dont la présence reste hypothétique: du vin, des anguilles et des pommes grenades.
- Et un plat rempli d’un contenant brun-vert non identifié qui garde tout son mystère.
Pour quoi ces aliments-là? Esquissons quelques hypothèses!
- Du pain et du vin, je en dirai rien.
- Parce qu’ils poussent en hauteur, sur des arbres, les agrumes ennoblissent le repas. Puisque l’orange est parfois associée au fruit défendu, et qu’aucun personnage de l’œuvre n’y touche, elle indique que Jésus est le “Nouvel Adam” qui vient rétablir l’alliance brisée avec Dieu, l’alliance par les premiers êtres humains.
- En plaçant une assiette vide au centre de l’image, au cœur du triangle ouvert que forment les deux bras de Jésus, Leonardo désigne, par défaut, le véritable agneau du sacrifice,: le Christ évidemment. Il annonce que celui qui est vivant va mourir, que celui qui mange est celui qui sera mangé!
- La salière renversée pourrait être non pas le signe de la malice de Judas, mais le signe de sa malchance. Il fallait que quelqu’un remplisse le rôle du traître, et ce fut sur Judas que le sort tomba. La salière renversée – signe traditionnel de malheur – pourrait servir à dédouaner Judas en affirmant non pas qu’il refuse l’alliance que Jésus propose à ses apôtres, mais qu’il ne fait que remplir – de manière très satisfaisante – le rôle pour lequel le hasard le désigna.
- Dans le plat de poissons, dans les assiettes d’anguille ou de harengs, il y a toute une symbolique biblique, celle de la multiplication des poissons et des divers épisodes de pêches miraculeuses. Mais il y a plus encore. Il y a la tromperie du “(ar)inga”, la duperie de la Smorfia. Il y a la peau glissante de l’anguille et son caractère insaisissable, au sens propre comme au sens figuré.
Plus dans Bauer, O., & Labonté, N. (à paraître en 2013). Le Cenacolo de Leonardo da Vinci: un trompe-la-bouche! Dans A. Hetzel (dir.), Bible et intermédialité. La lettre et les images (19 p.). Paris.
Voir le clip: La Cène de Léonard de Vinci: un trompe-la-bouche?”