Il paraîtrait que l’on s’achemine rapidement vers la fin du monde. Ce qui présuppose que le monde aurait une fin. Ce qui n’a rien d’évident, je vais le démontrer ici (juste « au cas où », je préfère le faire aujourd’hui).
La pensée judéo-chrétienne (dans le cas précis, cette expression a un sens) conçoit le temps comme une flèche qui comprend un début et une fin. Ce modèle se rapproche de l’existence humaine, marquée par un développement continuel de la naissance à la mort.
Dans un tel modèle que la notion de « fin du monde » peut avoir un sens (mais la flèche pourrait aussi se prolonger éternellement). Il existe d’autres conceptions du temps, qui n’intègrent pas toutes l’éventualité d’une fin.
Dans la pensée bouddhiste, le temps est conçu comme une roue qui tourne. Un cycle dure douze ans. Et tous les douze ans, la même année revient. Et les cycles forment à leur tour des cycles de cycle. Et l’histoire n’a pas de fin. Ce modèle se rapproche plutôt de la nature, du rythme régulier du mouvement des planètes.
Durant mon séjour en Polynésie, j’ai découvert deux autres modèles qui me semblent dignes d’intérêt. Dans sa thèse de doctorat, le théologien Faitala Talapusi indique que les Samoans se représentent le temps comme un demi-tour ou un « U-Turn ».
Il est évident que, sur un plan mythologique et linguistique, les Samoans imaginent un monde sans fin. Le rythme du temps et de l’histoire fait que jamais aucune fin n’est en vue. Le cosmos, la nature et le rythme de la vie ne laissent pas penser qu’il y aura une fin, qu’elle soit immédiate ou à venir. Il n’y a pas de but qui se situerait dans le futur; le présent se termine par un retour dans les origines. On pourrait le représenter graphiquement par un demi-tour vers l’origine. Dans les croyances traditionnelles samoanes, c’est le retour vers la mère patrie, Pulotu, le retour vers le pays des dieux. Le présent est un événement existentiel et eschatologique (eschatologique signifiant « de la fin » ou « des choses dernières »). La fin ou les choses dernières sont donc ce qui est déjà là et dont on fait l’expérience dans cette vie, à travers les organisations sociales, politiques et familiales. Faitala Talapusi, Eschatology in a Polynesian context, Thèse présentée en vue d’obtenir le Doctorat en Théologie, Institut protestant de Théologie, Montpellier, 1990: 195 (traduction personnelle).
Tahiti est aussi une île polynésienne, et pourtant sa conception du temps est totalement différente. Selon le linguiste Jean-Marius Raapoto, la culture ma’ohi conçoit le temps comme une spirale qui s’écoule vers le bas. Cette conception a l’avantage de combiner deux perceptions communes du temps: on sait que ce qui passe ne revient pas; mais pourtant, certaines choses reviennent année après année, génération après génération.
Jean-Marius Raapoto (1995), L’enfant Polynésien: 19
Le modèle mérite sans doute quelques explications:
- D’en haut (« nià, « aujourd’hui, cette semaine »), le temps s’écoule vers le bas (« raro ») et le « très-bas » (« raro noa »), jusque dans le « po » (la « nuit » mais avec des connotations tant positives que négatives).
- Dans ce modèle, le futur se trouve derrière nous (« muri ») parce qu’il est le temps qui reste encore à venir et le passé se trouve devant nous (« mua ») parce que, précisément, il est déjà passé.
Autre réflexion… Le temps appartient au système solaire. Qu’en est-il à l’extérieur de celui-ci? Le nom de Dieu signifie « je suis ». Pour lui, il existe dans un présent infini. Pour l’être humain, son présent est infiniment petit. Notre passé est innaccessible, sauf dans nos souvenirs, et le futur inconnu. La Bible dit que Dieu a créé l’être humain avec la pensée de l’éternité…
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A ce propos je trouve particulièrement intéressant cette citation de Saint Augustin dans son sermon 81 du 8 décembre 410: « Tu es étonné parce que le monde touche à sa fin? Etonne-toi plutôt de le voir parvenu à un âge si avancé. Le monde est comme un homme: il naît, il grandit et il meurt. […¨] Dans sa vieillesse, l’homme est rempli de calamités. […] Le Christ te dit: Le monde s’en va, le monde est vieux, le monde succombe, le monde est déjà haletant de vétusté, mais ne crains rien: ta jeunesse se renouvellera comme l’aigle. »
Ensuite, pour moi, je me réfère à cette citation du Christ qui nous avertit que « seul le Père connaît le jour et l’heure de la fin », donc Il ne s’est pas trompé bien entendu!
Olivier Bauer, enseignant à Genève.
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