Veyron, M.-L. (2013). Le toucher dans les Évangiles préface de Élian Cuvillier. Paris, les Éd. du Cerf.

En publiant son mémoire de maîtrise (rédigé à l’Institut Protestant de Théologie de Montpellier), Marie-Laure Veyron offre une contribution originale et importante à qui réfléchit sur la valeur théologique des six sens.
Le titre reflète bien le contenu de l’ouvrage: comprendre qui et par qui, comment et pourquoi Jésus touche et est touché dans les quatre évangiles. L’auteure a organisé le contenu en quatre parties.

  1. Dans la première, « Approche anthropologique », elle situe le rôle du toucher chez l’être humain.
  2. Dans la seconde partie, « Approche sémantique », elle analyse les différents termes grecs liés au toucher; à propos des 31 occurrences du terme haptomai, elle note qu’il implique toujours des personnes (ou des éléments « représentatifs de la personne » 49), que « Jésus est toujours présent lorsque ce terme est employé » 59, et que ce sont toujours des femmes qui en sont à l’initiative.
  3. Dans la troisième partie, « Approche littéraire », de loin la plus longue, elle fait une analyse narrative de trois touchers évangéliques: le toucher-guérison (Mc 5, 21-43), le toucher-marque d’humanité (Lc 7, 11-17) et le toucher-caresse (Lc 7, 36-50).
  4. Dans la quatrième partie, « Synthèse », elle rassemble les résultats de ses analyses textuelles pour définir la valeur du toucher dans les évangiles, mais aussi, plus largement du toucher évangélique. Enfin, l’auteure ose terminer sur une interdiction de toucher, celle que Jésus adresse à Marie de Magdala (Jn 20, 17) et conclure son livre à propos d’un geste et d’un refus:

« Toucher parce qu’on est intouchable ou parce qu’on vous a trop touché comme on touche une chose et non un sujet. Toucher, expression de ce que l’être humain à de plus profond: son désir – désespoir et espérance mêlés -, sa confiance, son amour, et révélation de ce que Jésus lui-même à de plus spécifique: sa puissance de guérison, de bénédiction, de compassion, sa capacité à se laisser rejoindre et approcher, mais en même temps geste dont le refus ou l’interruption nous dit ici quelque chose du mystère d’une autre relation. D’une autre vie peut-être. » 195

S’il fallait donner un seul exemple du travail de Marie-Laure Aveyron, je choisirais cet extrait:

« En psychanalyste, Françoise Dolto privilégie la parole de Jésus et passe sous silence les autres modalités de son intervention. Il nous semble pourtant qu’elles sont inséparables. Si l’on reprend le texte, on voit comment le regard que Jésus porte sur cette mère en pleurs entraîne une émotion profonde (é-motion: mouvement hors de soi), et, du même mouvement, ses paroles et son geste: «en la voyant, le Seigneur fut remué aux entrailles pour elle et il lui dit: “Ne continue pas à pleurer.” Et ayant marché vers [lui/elle], il toucha le cercueil/la vieille femme, […] et il dit: “Jeune homme, laisse-toi éveiller.”» Jésus est parole, mais il est aussi geste et présence agissante. » 120

J’y retrouve un dialogue avec de grands penseurs (ici Dolto, ailleurs Bovon, Andrieu, Derrida, Nancy, Cyrulnik…), une traduction personnelle, rigoureuse et respectueuse des textes bibliques (ici par le progressif: « Ne continue pas à pleurer »; par le prise en compte des incertitudes textuelles: « il/elle » ou « cercueil/vieille femme »), la fécondité de reprendre les mots pour ce qu’ils sont (ici le rappel qu’émotion est « é-motion »), la volonté d’enrichir le sens et les  sens (ici « Jésus est parole, mais il est aussi geste et présence agissante »), etc.
Lire le livre c’est découvrir toute cette richesse, multipliée par les 207 pages qu’il contient!

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