Pour prolonger une invitation à parler de « La Bible selon le Chat » par Philippe Geluck («Plus on est de fous, plus on lit» mardi 14 janvier, 13h-14h sur Ici, Radio-Canada, La Première), je présente quatre bandes dessinées directement inspirées par la Bible.
Voir aussi:
- La Bible en BD (1): La Bible selon le Chat par Geluck
- La Bible en BD (3): Sacré Jésus! et Jésus revient! par Tronchet
- La Bible en BD (4): La Bible par Loup
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Goosens, D. (2011). Sacré comique. Fluide glacial
L’auteur:
En plus de faire des bandes dessinées, Daniel Goossens est chercheur en intelligence artificielle et enseignant à l’Université de Paris VIII. Il est né à Salon-de-Provence en 1954. (Visiter le site de Daniel Goossens)
« Le pitch« :
Louis est un éditeur qui désire gagner de l’argent en racontant la vie de Jésus. Désespéré quand il découvre que cela a déjà été fait, il décide malgré tout de mener son projet à bien, quand on lui dit qu’en BD, l’idée reste originale. L’album raconte donc l’histoire de Louis qui raconte divers épisodes de la Bible en les actualisant à sa manière. Goossens met en scène un Louis qui interprète l’expulsion du paradis comme la conséquence d’un trafic de pomme; qui fait intervenir Alain Delon et Victor Hugo («L’œil était dans la tombe et regardait Caïn») dans la querelle entre Abel et Caïn; qui réécrit l’histoire d’un Jésus (blond, efféminé, vêtu d’une grande robe blanche) à la parole trop rapide: trop rapide à dénoncer les commerçants qui vendent leurs produits trop chers; trop rapide à délivrer des messages énigmatiques que ses disciples ont du mal à déchiffrer; trop rapides à identifier le pain à son corps et le vin à son sang. Goossens met en scène un Louis qui présente des disciples inquiets quant à la santé mentale de leur maître; des disciples qui décident d’écrire un livre à sa gloire; des disciples qui proposent leur manuscrit au directeur du Daily Bible, au moment précis où celui-ci envoie Clark Kent (qui n’est autre que Superman, mais ne révélez pas son secret) couvrir la crucifixion de Jésus (cela fait effectivement beaucoup d’histoires qui se croisent: intertextualité externe). Goossens met en scène un Louis qui imagine que Clark Kent-Superman, sauve Jésus de la mort sur la croix; qui imagine que ce rebondissement ne convient pas aux disciples. Goossens met en scène un Louis qui met en scène des disciples qui préfèrent imaginer leur propre fin à l’histoire: Jésus serait meurt puis se serait envolé «albatros dans l’azur, prince des nuées, battant l’air de ses ailes de bois.» L’album se clôt sur une nécrologie de Jésus à la mode de Hollywood (avec Jésus dans des poses qu’Angelina Jolie ou Charlie Chaplin ont rendues célèbres).
L’intérêt théologique:
Daniel Goossens ne se contente pas de paraphraser la Bible, il intègre des histoires bibliques dans une autre histoire, celle de Louis et de son projet de livre. Il est évident que la manière de raconter les épisodes bibliques appartient à l’imaginaire de Louis, qui appartient lui-même à l’imaginaire de Daniel Goossens. On peut s’en amuser ou le condamner (je fais partie de celles et ceux que cela amuse). La manière de représenter Jésus, un illuminé à la limite d’un travesti, provoquera des pleurs et des grincements de dents. Mais au-delà de ces détails (pour moi, ce sont de ces détails), l’album à le mérite de rappeler clairement que tout récit, et même le récit biblique, est une interprétation. Que ces interprétation soient celle de Moïse, Josué, Ésaïe, Matthieu, Marc, Luc ou Jean (ou de ceux qui ont écrit en leur nom), qu’elle soit celle de Louis (ou de Goossens qui dessine en son nom), elles sont toutes, toujours des interprétations. Et toutes ces interprétations sont différentes. Et toutes ces interprétations différentes, précisément dans et par leurs différences, signalent l’écart irréductible entre les faits et les récits qui les racontent (à chacun de décider si la Bible repose sur des faits). Mais Sacré comique me fait aller encore plus loin. Car Goossens y réinterprète non pas la vie d’Adam et Ève, de Caïn et Abel, de Moïse ou de Jésus, mais les récits qui racontent la vie d’Adam et Ève, de Caïn et Abel, de Moïse ou de Jésus. Encore plus précisément, je dois écrire que c’est à Louis que revient cette tâche d’interprétation. Ce qui explique pourquoi, dans la case à haute valeur théologique, il se place lui-même (évidemment, c’est Goossens qui l’y place) « entre le Seigneur et Moïse », une place (entre le Seigneur et Moïse, Josué, Ésaïe, Matthieu, Marc, Luc ou Jean) qu’occupe tout interprète des récits bibliques.
La case à haute valeur théologique:
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Demain: La Bible en BD (3): Sacré Jésus! et Jésus revient! par Tronchet