Le vestiaire du Centre sportif de l’Université de Montréal est l’endroit où se tiennent des discussions scientifiques entre collègues (hommes, évidemment) de différentes Facultés. Cette semaine, Pierre Trudel, professeur de droit, spécialiste du droit des technologies de l’information, m’a posé une question à laquelle je ne m’attendais pas: « Que le Canadien de Montréal ait renoncé à choisir un capitaine et ait préféré nommer quatre adjoints [pour mémoire: Andreï Markov, Tomas Plekanec, Max Paccioretty et P.K. Subban] change-t-il quelque chose à la religion du Canadien? »
Intuitivement, j’ai répondu qu’une direction collégiale rendait le Canadien plus protestant. Sauf que les adjoints ont été désignés par la direction du Canadien et non pas élus par les joueurs. Un tel mode de désignation « d’en haut » rend immédiatement le Canadien moins protestant. Il m’est alors apparu plus intéressant de réfléchir cette situation dans les termes d’autorité et d’appliquer au Canadien le célèbre modèle proposé par le sociologue allemand Max Weber. En 1909, dans son ouvrage Économie et société, il distingue trois types idéaux de légitimation de l’autorité (types idéaux, parce que dans la réalité, ils n’existent jamais sous leur forme pure, mais toujours sous des formes mélangées). Ma fille Marion a brillamment résumé l’essentiel de ces trois types de légitimation dans le tableau suivant:
Qu’en est-il lorsque j’applique ce modèle aux quatre adjoints du Canadien?
- Manifestement, l’autorité des quatre adjoints du Canadien n’est pas de type charismatique. Au contraire, qu’il ait fallu en désigner quatre prouve qu’aucun homme providentiel ne s’est imposé par son charisme, par sa personnalité ou par sa vision motivante.
- L’autorité des quatre adjoints ne relèvent pas non plus du type traditionnel. Certes, les quatre joueurs désignés adjoints font tous partie de la famille du Canadien. Mais, qu’il n’y ait pas de capitaine et quatre adjoints est un accroc à la tradition, seulement le second dans l’histoire du Canadien. Et la tradition veut que les joueurs aient au moins leur mot à dire dans le choix de celui qui les représente. (Juste en passant, la famille québécoise tend à refuser toue légitimité à un capitaine du Canadien qui ne peut pas s’exprimer en français, ce qui est le cas des quatre adjoints.)
- Est-ce à dire que les quatre adjoints bénéficient d’une légitimation légale-rationnelle? Oui et non! Oui, parce qu’ils ont été désignés conformément aux règles de la Ligue Nationale de Hockey: Carey Price n’est pas un adjoint parce que la LNH interdit de nommer le gardien capitaine; le canadien a mis en place un système de rotation des adjoints parce la LNH limite à trois le nombre de capitaine et d’adjoints. Mais non, parce que les adjoints n’ont pas été élus par les joueurs, mais désignés par la direction.
Alors? Le cas des quatre adjoints du Canadien remettrait-il en cause le modèle de Max Weber? Je crois surtout qu’il montre le peu de pouvoir dont disposent les joueurs du Canadien. En matière d’autorité, ils ne bénéficient que de celle que la direction veut bien leur concéder. Et cette année, la direction a voulu rappeler aux joueurs comme au public que celui qui paye commande.
Mais j’en reviens encore, à la religion du Canadien. Pour répondre à Pierre Trudel, je dirais que l’épisode des quatre adjoints témoignent du caractère catholique du Canadien de Montréal. Marc Bergevin et Michel Therrien ont désigné des adjoints comme le pape crée (c’est le terme consacré) des cardinaux.