Thomas Gergely, directeur de l’Institut d’Études du Judaïsme à l’Université Libre de Bruxelles, m’a raconté une histoire mêlant alimentation et spiritualité.
« Après la seconde guerre mondiale, Simon Wiesenthal, rescapé des camps de concentration, refusa d’entrer dans une synagogue. Un rabbin lui demanda pourquoi. Simon Wiesenthal lui raconta alors cette histoire.
- Alors que j’étais dans un camp, j’ai vu un juif introduire en cachette et au risque d’être exécuté un tout petit livre de prière caché dans la doublure d’un vêtement. Au bout d’un certain temps, quelques uns de ses coreligionnaires lui demandèrent qu’il leur prête son livre pour qu’ils puissent eux aussi faire leur prière. Le déporté accepta à la condition qu’ils lui donnent en échange leur ration quotidienne de pain. Ce qu’ils firent. Et d’autres après eux, et d’autres encore. Si bien que le possesseur du livre de prière mourut d’avoir mangé trop de pain.
Simon Wiesenthal ajouta qu’il ne pouvait plus pratiquer une religion dans laquelle un croyant pouvait monnayer la possibilité de prier. Puis il demanda à son interlocuteur ce qu’il en pensait. Le rabbin lui demanda un jour de réflexion.
Le lendemain, le rabbin retrouva Simon Wiesenthal devant la même synagogue. Et quand celui-ci lui demanda s’il avait réfléchi, il lui répondit:
- Tu ne veux plus pratiquer ta religion parce qu’un juif a un jour monnayé son livre de prière. Fort bien! Mais maintenant, à ton avis, que vaut une religion dans laquelle les croyants sont prêts à sacrifier toute leur ration de pain quotidien, c’est-à-dire peut-être toute leur nourriture d’un jour, pour avoir seulement la possibilité de prier?
Ce jour-là, Simon Wiesenthal entra dans la synagogue.