Dans la dynamique de mon cours Vouloir, pouvoir, devoir transmettre « Dieu » à tous les sens, je propose chaque mercredi matin pendant les prochaines semaines, 12 chroniques réunies sous le titre Les confessions d’un autre pasteur B., en hommage au titre du livre de Jacques Chessex : Chessex, J. (1974). La confession du pasteur Burg. Ch. Bourgois.
8. « Arrête, arrête, ne me touche pas ! »
Saloperie de virus !
À cause de toi, cela fait deux mois que je ne sors plus de chez moi. Deux mois que je ne rencontre plus ni âme qui vive, ni personne en chair et en os. Deux mois que je ne vois plus des gens, mais leurs images sur mon écran ; deux mois que je leur parle à travers un micro ; deux mois que j’entends leur voix qui sortent d’un appareil. Deux mois que je n’ai touché que des objets inertes et les poils de mon chat.
Saloperie de virus !
Deux mois qu’à cause de toi, dans mon église, je ne rencontre plus personne ; et quand j’écris ; « je ne rencontre plus personne », je veux dire : « je ne touche plus personne ». Qu’on ne se méprenne pas ! Je suis un homme blanc, suisse et réformé. C’est dire si je ne suis pas très tactile. Et encore, c’est un euphémisme… Ma bulle d’intimité s’étend au-delà de mon bras tendu — un mètre de « distanciation sociale » me rassure donc plus qu’il me frustre — et pour moi, « pudique » est le plus beau des compliments. Mais j’ai quand même besoin de contact. Et le contact implique le toucher. Qu’on ne se méprenne toujours pas ! Je sais faire la différence et garder mes distances. Je ne touche pas n’importe qui n’importe comment. Je distingue les niveaux d’intimité. J’ai dressé la liste des endroits plus ou moins touchables, une liste qui vaut pour ma culture, mon âge, mon sexe, mon genre et ma profession : en public, je serre des mains, j’embrasse quelques joues — à l’africaine, il m’arrive même de toucher quelques tempes — ; en privé, je peux toucher les épaules, la tête, le dos ; dans l’intimité, je peux embrasser deux lèvres, masser un ventre ou deux pieds, caresser un visage, deux fesses, deux seins, un sexe. Vous étiez prévenu : un homme blanc, suisse et réformé.
Mais quand même, saloperie de virus !
À cause de toi, l’Évangile n’est plus totalement transmis. Car l’Évangile requiert de la proximité, de l’intimité, du contact, du toucher : apposition des mains — je n’aime pas les imposer — en signe de bénédiction ; étreinte en signe de paix ; prière en se tenant la main en signe de communion ; poignée de main — celle que Paul appelle « main d’association » — en signe de solidarité. Que dans certains services funèbres, « on ne touche pas » m’a toujours paru une incongruité ! J’embrasse même mes proches morts, un ultime geste d’amour (ou un ultime défi ?).
Je sais que le toucher implique le contact et que le contact requiert de l’hygiène. Je vais donc rester confiner ; je vais donc me tenir à distance, je ne vais pas toucher.
Mais saloperie de virus, je te préviens, tu n’auras pas le dernier mot !
- «Paroles, paroles, paroles» (19 février)
- «Elle est ailleurs» (4 mars)
- «Des quantités de choses qui donnent envie d’autre chose» (11 mars)
- «Comme de bien entendu» (18 mars)
- «Voir, il faut voir, sais-tu voir?» (25 mars)
- «Jolie bouteille, sacrée bouteille» (1er avril)
- «Ça se sent que c’est toi» (8 avril)
- «Arrête, arrête, ne me touche pas» (22 avril)
- «Quand on ouvre les mains» (29 avril)
- «Mon coeur, mon amour» (6 mai)
- «Quand au temple nous serons» (13 mai)
- « Y’a qu’un Jésus digne de ce nom » (20 mai)