Je poursuis ma lecture du roman Âmes. Histoire de la souffrance I de Tristan Garcia. Et j’y rencontre une deuxième mention de cette tour que j’ai trop vite et trop bibliquement associée à Babel, alors que l’auteur ne le fait pas. Dans un premier article, j’indiquais que Tristan Garcia donnait une nouvelle explication aux risques inhérents à la construction de la tour (lire La tour de Babel, une histoire bien terre-à-terre). Dans ce deuxième article, je relève un conflit d’interprétation sur les raisons de son inachèvement.
La Bible juive — livre de la Genèse chapitre 11, versets 1 à 9 — raconte que Dieu brouille le langage des fils d’Adam pour qu’ils cessent de bâtir la tour. C’est que la Torah a besoin d’un Dieu qui protège les êtres humains contre leur désir d’un pouvoir absolu, d’un Dieu qui les protège contre eux-mêmes. Dans le roman, la tour n’est pas non plus achevée. Mais Tristan Garcia n’a pas besoin de faire intervenir Dieu. Pour lui les hommes sont assez forts, ou plutôt assez faibles pour faire capoter eux-mêmes leur projet. Il suffit que la nourriture et la boisson viennent à manquer pour qu’ils abandonnent leur œuvre.
« Après deux terrasses, la construction de la tour a cessé, parce qu’il faut nourrir, abreuver les ouvriers qui désertent les campagnes, où l’on ne produit plus assez de nourriture, où l’on ne draine plus assez d’eau le long des canaux. Et plus la tour monte vite, plus elle ralentit : elle se charge du poids de ceux qui l’ont bâtie, elle menace de crouler avec la ville sous la charge des hommes dont les besoins augmentent plus rapidement qu’ils ne peuvent les satisfaire. » Tristan Garcia, Âmes. Histoire de la souffrance I, Gallimard, 2019, pp. 108-109
P.S: Dans le roman, l’histoire de la tour continue encore un peu. Je vous laisse découvrir la fin de l’histoire — et de la tour ! —, par vous-mêmes, dans le livre.