Novembre 2020
Adrien Candiard (2020). Du fanatisme. Quand la religion est malade. Cerf, 89 pages.
Une citation percutante
« Dieu seul est Dieu, et il m’aime. Ses commandements ne m’aiment pas, la liturgie ne m’aime pas, la Bible ne m’aime pas, la morale ne m’aime pas. Mais tous ces éléments ne sont pas Dieu. Lui seul est Dieu, et il m’aime. Nous n’avons pas trop d’une vie pour le comprendre. » p. 73
Le livre
En 89 petites pages, Adrien Candiard présente une démarche complète de théologie.Au départ, il juxtapose deux expériences personnelles. Alors qu’il prépare un exposé sur Ibn Taymiyya (lire sa page sur Wikipédia), un théologien musulman du 14e siècle, il apprend qu’un épicier pakistanais de Glasgow a été assassiné par un musulman parce qu’il a souhaité de « joyeuses Pâques à [ses] concitoyens chrétiens » sur son compte Facebook. Or un texte de Ibn Taymiyya interdit explicitement aux musulmans de participer « aux réjouissances de Pâques ».
Adrien Candiard saisit cette coïncidence pour réfléchir sur la théologie défendue par le théologien musulman et reprise sept siècles plus tard par l’assassin de l’épicier. Car le problème est bien théologique. Le fanatisme est une maladie de la religion. Et les causes de ce fanatisme, de cette intransigeance et de cette violence viennent d’une mauvaise compréhension de la relation que les humains peuvent entretenir avec Dieu. Au lieu de garder cette relation subjective — une relation intérieure que personne ne peut évaluer —, cette théologie l’objective : être en relation avec Dieu c’est faire ce qu’il nous commande de faire ; ce sont alors les actes qui font les croyant·es ; être musulman·e, c’est agir comme un·e musulman·e ; agir comme un chrétien·ne, c’est être chrétien·ne ; un·e musulman. e qui agit comme un·e chrétien·ne se rend donc coupable d’apostasie et mérite la mort.
Mais contrairement aux apparences, une telle théologie met Dieu à l’écart et s’en passe fort bien. Elle le remplace par une idole — c’est-à-dire un « objet », matériel ou immatériel, qu’elle prend ou fait prendre pour Dieu —, par son idole, celle qu’elle construit selon ses propres intérêts pour satisfaire ses propres passions. La théologie d’Ibn Taymiyya n’est évidemment pas la seule théologie à procéder ainsi. Certaines formes de christianisme font de la Bible, de la liturgie ou des saints des idoles. Et les religions ne sont pas les seules idéologies à procéder ainsi. Il est des idoles séculières : le progrès, l’histoire, la classe, la race ou la planète.Adrien Candiard formule alors une théologie qui évite l’idolâtrie. Elle repose sur deux principes, deux lâcher-prises : laisser Dieu seul être Dieu et me laisser aimer par Dieu. Il mentionne alors trois remèdes pour soigner les fanatiques et peut-être les guérir du fanatisme. Ce sont trois remèdes qu’il s’administre lui-même : premièrement, la théologie, conçue comme une réflexion critique, un effort rationnel pour rendre compte de la foi, pour purifier les images de Dieu ; deuxièmement, un dialogue interreligieux où chacun·e dit ses convictions à propos de Dieu ; troisièmement, la pratique de la prière personnelle et silencieuse pour « laisser Dieu se révéler à moi comme il le veut et non comme je le souhaite » (p. 80).
Ce qui peut séduire
J’ai découvert ce livre par les médias français qui lui ont fait un bon accueil, sans doute, et d’autant plus parce qu’il a été rattrapé par l’actualité. Car il est paru le 1er octobre 2020, au début d’un mois qui aura vu en France l’exécution du professeur Samuel Paty et le triple assassinat dans la cathédrale de Nice. Les journalistes ont pu trouver dans l’ouvrage d’Adrien Candiard une déconstruction théologique d’une forme particulière d’islam, une forme fanatique qui a pu inspirer ces meurtres. Elles et ils ont pu y découvrir la pertinence d’une approche théologique, une manière d’aborder la religion généralement exclue dans une France dont la laïcité renvoie généralement la foi et la réflexion sur la foi à la sphère privée. Évidemment, le fait qu’il a été mentionné et discuté dans les médias (voir par exemple l’entretien dans l’hebdomadaire Marianne) l’a fait connaître largement. Et ni le fond ni la forme agréable à lire, parce que brève, claire, et précise n’ont dû décevoir les lectrices et les lecteurs.
J’imagine que certain·es catholiques ont pu y trouver la démonstration de la supériorité du christianisme sur l’islam, même si ce n’est pas l’intention de l’auteur ; preuve en est qu’il admet que le catholicisme puisse aussi fonctionner comme une idole. Mais c’est ce que pourrait indiquer le commentaire d’un « Nicolas », publié sur le site d’Amazon.fr :
« Saint Jean-Paul 2 disait qu’il ne faut pas laisser la jeunesse dans l’ignorance chrétienne. Ce livre le démontre de manière magistrale. Intéressant à lire, sans colère, il pose une réflexion sur un problème simple : la première cause du fanatisme est l’ignorance, né[e] de l’absence d’éducation. Il est assez original d’imaginer que moins on parle de Dieu (dans les médias) plus on agit faussement en son nom. Alors merci de rappeler que le Christ est un chemin de paix, d’amour du prochain. Alors merci à monsieur Adrien Candiard pour ce magnifique ouvrage. Dieu vous garde. »
Mon avis
(+) Je partage presque tout ce qu’écrit Adrien Candiard : sa condamnation du fanatisme d’abord, évidemment ; la primauté de la confiance sur les actes ; sa critique de l’idolâtrie ; son insistance sur l’amour de Dieu dans le double sens du complément du nom : amour venant de Dieu et amour pour Dieu ; au bout du compte, la supériorité de la vie spirituelle sur les connaissances intellectuelles. Avec un peu d’ironie, j’ajoute que je partage d’autant plus le diagnostic et les remèdes du docteur Candiard que la Réforme protestante vient d’un même diagnostic : le catholicisme serait une maladie du christianisme ; il souffrirait d’idolâtrie — vénération de Marie, de l’hostie et des saint·es — et valoriserait les formes extérieures — rites, pèlerinages, etc. — plutôt que la piété intérieure. Avec un peu d’orgueil enfin, je souligne que j’ai moi-même plaidé pour valoriser la théologie dans le débat public, le 30 mai 2015, dans le quotidien québécois La Presse : «Plus de théologie, pas moins».
(–) Je vais un peu chipoter, mais c’est ce qu’aiment faire les universitaires. À deux moments, à deux moments seulement (10 lignes sur 89 pages !), il me semble qu’Adrien Candiard s’arrête en chemin. Dans sa mise en garde contre les idoles, il ne va pas encore assez loin.
- À la page 54, il écrit : « On peut idolâtrer les saints : non ceux du calendrier ou du martyrologe, mais ces figures charismatiques dont l’éloquence, la compassion ou la bonté nos font parfois entrevoir quelque chose de Dieu. » Mais on peut aussi idolâtrer les saints du calendrier et du martyrologe. On peut en faire des idoles manipulables — qui canonise les saint·es ? Selon quels critères ? —, du sacré qui cache Dieu tout en prétendant indiquer sa volonté.
- À la page 59, il écrit : « On peut faire idole de tout, même d’une image adéquate de Dieu. Les vérités de la foi chrétienne, comme celle qu’énonce le Credo, sont assurément vraies ; ni Pascal ni moi n’entendons le moins du monde les mettre en doute. » Pourquoi ne pas pousser le travail de la réflexion jusqu’au bout ? Pourquoi ne pas soumettre le Credo à l’analyse critique ? Pourquoi ne pas les mettre au moins un tout petit peu en doute ? Pourquoi les vérités chrétiennes seraient-elles assurément vraies ? À mon sens, reconnaître des vérités de la foi chrétienne, juger qu’elles sont assurément vraies et refuser de les mettre en doute le moins du monde, c’est imposer une limite arbitraire à la démarche théologique, c’est exclure un peu de la foi de la réflexion critique, c’est donc ouvrir la porte au fanatisme.
Je ne peux m’empêcher de constater que, selon la règle catholique, cet ouvrage a dû être approuvé : deux dominicains — Olivier Poquillon, et Renaud Escande — ont estimé que rien ne s’opposait à la publication du livre (Nihil obstat) —, Nicolas Tixier, « prieur provincial » c’est-à-dire chef de la province dominicaine de France, a jugé que le livre pouvait être imprimé (Imprimi potest). Adrien Candiard a peut-être dû donner des gages à l’institution qui l’emploie.
L’auteur
Voici comment le présente le site de l’Institut dominicain d’études orientales où il travaille :
« Adrien Candiard est français et vit au Caire. Après une formation en histoire et en sciences politiques, il a rejoint l’ordre dominicain en 2006. Après sa formation en théologie, il est arrivé en Égypte en 2012. Il y a obtenu un master en islamologie à l’Université américaine du Caire, et rédige aujourd’hui un doctorat auprès de l’École pratique des hautes études (Paris). Ses recherches portent sur la théologie musulmane classique (kalām) et les relations entre raison et révélation en islam. Il est notamment l’auteur de En finir avec la tolérance ? Différences religieuses et rêve andalou (Paris, PUF, 2014) et de Comprendre l’islam. Ou plutôt : pourquoi on n’y comprend rien (Paris, Flammarion, 2016). »
J’ajoute qu’il est né en 1982.
La maison d’édition
Les éditions du Cerf sont une maison d’édition catholique fondée en 1929, rattachée à l’ordre monastique des Dominicains. Sur son site Internet, elle se présente comme « le premier éditeur religieux et de l’espace francophone ». Je ne sais pas comment elle le mesure. Mais, de fait, il est presque impossible pour un·e théologien·ne de ne pas avoir lu quelques ouvrages parus au Cerf. Actuellement, j’en ai près d’une centaine parmi mes références bibliographiques.
Ouvrages déjà présentés:
- Livre # 3 le 1er février 2021 : « Conversations avec Dieu » par Neale Donald Walsh
- Livre #2 le 1er janvier 2021 : « Un moment avec Jésus chaque jour de l’année »
- Livre # 1 le 1er décembre 2020 : « Missel des dimanches 2021 »
- Livre # 1 le 1er novembre 2020 : « Du fanatisme — Quand la religion est malade » par Adrien Candiard
- Livre # 1 le premier octobre 2020 : « La Bible Segond 1910 »
- Livre # 1 le 5 septembre 2020 : « Le combat spirituel » par Emmanuel Maillard
Bonjour,
Je trouve cette question très difficile.
Bien sûr suivre les textes ou la règle à l’encontre de ce que nous dicte la conscience n’est pas bon. Bien sûr on ne doit rien faire contre son âme et conscience. C’est là la faute de l’abbé Mouret qui abandonne Albine.
Mais la conscience est-elle toujours un bon guide ? J’imagine assez facilement que, parmi les électeurs de Donald Trump qui croient que la victoire leur a été volée, certains agissent en conscience. J’imagine assez que certains inquisiteurs brûlant des Albigeois ou des sorcières pensaient obéir à ce que Dieu leur disait dans leur dialogue intérieur avec lui.
C’est une vraie interrogation. Je n’ai pas de réponse.
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Bonjour,
Comme d’habitude, vous me donnez à penser. Je crois que s’il y a une réponse, elle est à chercher du côté des effets de la foi, c’est-à-dire des effets de la confiance que l’on met dans le Dieu auquel on croit. Une foi vraie doit produire des effets bénéfiques et bienfaisants pour soi et autour de soi. Comme disait l’autre: « C’est aux fruits qu’on peut juger l’arbre». Mais, me direz-vous, qu’est-ce qu’un effet bénéfique? J’ai ma réponse, Adrien Candiard la sienne, vous la vôtre et Donald Trump ne mange peut-être pas de fruits.
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