À l’occasion de l’avant-première des capsules vidéos en faveur du mariage pour tou·te·s proposées par le Groupe Église Inclusive de l’Église Évangélique Reformée du canton de Vaud, je propose le texte de ma contribution.
Je ne prétends pas ici définir la théologie évangélique du mariage, mais présenter une théologie protestante du mariage, que j’estime à la fois fidèle à l’Évangile et pertinente dans la société contemporaine.
1. Réflexions protestantes sur le mariage civil
- Les Églises protestantes distinguent le mariage et le rite ecclésial de bénédiction d’un couple.
- Le mariage est la reconnaissance juridique et sociale d’un couple ; il ne dépend pas de l’amour des conjoint·es.
- Il est aussi chargé de valeurs symboliques puisque des couples y célèbrent publiquement leur amour
- La bénédiction d’un couple est investie de valeur spirituelle ; elle met en scène publiquement la reconnaissance de la fragilité du couple et la confiance que Dieu peut permettre d’assumer cette fragilité et de vivre avec elle.
- Elle est aussi chargée de valeurs symboliques et sociales puisque des couples l’utilisent pour témoigner publiquement de leur amour et attester publiquement leur statut de couple.
- Les Églises protestantes, parfois avec réticence, laissent aux États la reconnaissance juridique des couples ; elles prétendent participer à leur reconnaissance sociale.
- Le mariage pour tou·te·s est un mariage civil ; il donne aux couples formés de deux conjoint·es de même sexe qui choisissent de se marier les mêmes devoirs et les mêmes droits qu’aux couples formés de deux conjoint·es de sexe différent qui choisissent de se marier.
- Chaque Église chrétienne reste libre de ne pas reconnaître les couples formés de deux conjoint·es de sexe dans sa théologie, de ne pas bénir leur mariage dans sa pratique.
Par respect de la laïcité, à titre de citoyen suisse chrétien, je laisse à la Confédération helvétique la responsabilité de régler le mariage civil.
2. Réflexions protestantes sur le mariage
- L’élargissement du mariage aux couples de même sexe est un changement de société ; il reconnaît une autre forme de conjugalité que le couple formé d’une femme et d’un homme.
- Mais un mariage pour tou·te·s ne fait que reconnaître une réalité, l’existence de couples de même sexe.
- Il est vrai que la seule reconnaissance des couples de sexe différent se fonde notamment sur une conception chrétienne de la sexualité légitime et de la conjugalité.
- Mais l’histoire du christianisme montre que le couple éternel formé d’une femme et d’un homme marié n’est pas la seule forme de conjugalité valorisée par la théologie chrétienne ou reconnue par les Églises chrétiennes.
- Le Nouveau Testament évoque rarement le mariage ; il n’évoque que des mariages entre une femme et un homme.
- Il le fait sur un mode narratif dans les évangiles : Marie promise en mariage à Joseph, mariage à Cana, paraboles sur les noces, etc.
- Il le fait sur un mode juridique : dans les évangiles à propos de la répudiation ; dans les épîtres, comme un droit (1 Timothée 4,3).
- Il le fait sur un mode moral comme un moyen d’éviter la débauche ou de s’en protéger (1 Corinthiens 7,36-40).
- Il donne des principes de la vie commune : Éphésiens 5,22 et 25 exigent que les femmes soient soumises à leur mari et que les maris aiment leur femme ; Hébreux 13,4 ordonne la fidélité des deux époux.
- Aucun de ces éléments ne permet de le réserver aux seuls couples de sexe différent ; chacun peut aussi concerner des couples de même sexe.
- La tradition chrétienne a passionnément discuté la forme et le fond du mariage : nécessite-t-il l’amour des conjoint·es ? Est-il indissoluble ? Peut-il être contraint ? Se conclut-il seulement dans l’acte sexuel ou dans la naissance d’un enfant ? L’infidélité est-elle un adultère ? Quelles sont les causes acceptables d’une séparation ? Peut-il unir deux personnes de religion ou de confession différente ?
- Le Nouveau Testament évoque rarement le mariage ; il n’évoque que des mariages entre une femme et un homme.
- Par ailleurs, la théologie chrétienne reconnaît la primauté de l’amour — l’amour est plus grand que la foi et l’espérance (1 Corinthiens 13,13) —, et de l’amour inconditionnel — chacun·e est aimable puisque nous sommes chacune « à la fois juste et pécheresse » et chacun « à la fois juste et pécheur » —.
- Que l’amour soit plus grand que la foi et que nous soyons toutes et tous à la fois justes et pécheresses ou pécheurs empêchent toutes discriminations, quel qu’en soit le motif.
- Pr conséquent, même si nous pensions que l’homosexualité était un péché — ce qu’elle n’est pas à mon avis —, nous n’aurions pas le droit d’exclure les personnes homosexuelles de l’amour de Dieu et nous ne devrions pas nous permettre de les discriminer.
Par amour inconditionnel, à titre de citoyen suisse chrétien, je souhaite que la Confédération helvétique ouvre le mariage aux couples formés de conjoint·es de même sexe.
3. Réflexions protestantes sur la place du christianisme dans la société suisse.
- Martin Luther aurait conseillé de remplir le monde de chrétien avant de vouloir le gouverner chrétiennement.
- Or, en 2018, moins de deux tiers des Suisse·sses se reconnaissaient comme chrétien·nes (63,9 %) ; et cette proportion va en diminuant rapidement.
- Ainsi, aucun christianisme ne peut imposer ce qu’il croit à l’ensemble de la population vivant en Suisse.
Par respect, même si je pensais que le mariage devait être réservé aux seuls couples formés de deux conjoint·es de sexe différent — ce que je ne pense pas —, à titre de citoyen suisse chrétien, je renoncerais à imposer mes conceptions chrétiennes à l’ensemble de mes compatriotes.
4. Références :
- Grimm, R. (2002). Un rite « chrétien » de bénédiction nuptiale ? Cahiers de l’IRP, 44, 3‑30. https://wp.unil.ch/lescahiersiltp/files/2019/02/CahiersIRP_n.44_2002.12-compressed.pdf
- Sheller, W. (1991). Un homme heureux: Vol. Sheller en solitaire. Philips, 4 m. 52 s.
Sur les préférences amoureuses pour une personne de même sexe ou de sexe différent, qu’elles se concrétisent ou non par un mariage, on peut lire sur mon blogue:
- Je suis évidemment contre ce qu’on appelle faussement des « thérapies de conversion ». (17.08.2020)
- (Im)précis d’éthique sexuelle chrétienne. (01.12.2016)
- Quand le droit fait la théologie. (16.08.2016)
- La bénédiction d’un couple n’est ni un mariage ni un sous mariage. (3.03.2016)
- Jésus avait-il deux papas? (En plus de Dieu, bien entendu) (29.11.2015)
- Le mariage de couples de même sexe vu depuis le Québec et l’Église Unie du Canada. (19.05.2015)
- McGowan, D. (2014). In faith and in doubt: how religious believers and nonbelievers can create strong marriages and loving families. (27.08.2014)
- Testez si votre couple partage les mêmes valeurs! (27.08.2014)
Pour aller encore plus loin, on peut lire mon article scientifique sur la manière dont deux conjoints de même sexe peuvent vivre leur rite de bénédiction (en libre accès sur Serval, le dépôt institutionnel de l’Université de Lausanne):
- Les rites: la part des participant·es. Bauer, O. (2015). In D. Jeffrey & Â. Cardita (Éds.), La fabrication des rites (p. 69‑88). Presses de l’Université Laval.