Foi et 6 sens

C’est le carême, le carnaval peut commencer!

  • Le carnaval de Bâle a débuté à 4 heures ce matin.
  • Quoi, en plein carême?
  • Évidemment!
  • Comment ça « évidemment »? Tout le monde sait que le carnaval se termine à mardi gras. Avec le mercredi des cendres, c’est le carême qui commence.
  • C’est ce qu’indique le calendrier catholique. Mais rien n’oblige à le suivre. En 1529, Bâle est devenue une ville protestante.
  • Et alors?
  • Alors, quel meilleur moyen d’affirmer sa nouvelle identité que de fêter, de manger gras et de boire beaucoup au moment même où le catholicisme réclame de faire pénitence et de faire maigre.
  • Ce n’est pas pour dire, mais cette volonté de se démarquer est un peu enfantine.
  • Peut-être. Mais si ça fait du bien aux un·es sans faire de mal aux autres, je prends.

Sur le calendrier de Mardi gras jusqu’à Pâques, on peut lire ma série de billets « Le jour V : un conte à rebours de Mardi gras à Pâques ». En 2021, j’y proposais huit chroniques échelonnées de Mardi gras à Pâques où j’évoquais un moment de la vie gastronomique et spirituelle d’une famille œcuménique multiculturelle avec deux mamans et un enfant, bref d’une famille tout à fait typique.

Mon programme de février 2023: alimentation, catéchèse et théologie interculturelle

Je serais heureux d’accueillir celles et ceux qui sont à Lausanne ou peuvent y passer dans mes activités du mois de février. Elles prolongent la théologie que je fais sur mon blogue.

Conférences

Le matin du jeudi 2 février à l’Université de Lausanne, je présente le carnisme chrétien et sa contestation dans une formation continue « Alimentation et société: du Moyen Âge à nos jours » organisée par la Section d’histoire de l’Université de Lausanne.

Le lundi 27 février à 14h30 à Lausanne, je donne une conférence sur les relations entre alimentation et religions à Connaissance 3, l’Université des seniors du canton de Vaud.

Cours

Dès le 20 février, je recommence à donner des cours de théologie pratique. Ils sont ouverts aux auditrices et aux auditeurs libres.

Au Bachelor/Premier cycle:

Et pour la seconde fois, un cours transdisciplinaire « Penser le sport en le pratiquant » où une vingtaine d’étudiant·es et une douzaine de spécialistes du sport apprennent et enseignent tout en courant au bord du lac Léman! (voir la présentation du cours en 2022)

Au Master/Cycles supérieurs:

  • « Produire un épisode de sa propre websérie théologique, » un tout nouveau cours à option pour les étudiant·es de 4e et 5e années.

Colloque

Enfin, j’organise un colloque sur la théologie interculturelle » avec des chercheur·es venant de Suisse, de France, du Cameroun, de la République du Congo et du Québec (8-10 février à l’Université de Lausanne).

Programme du colloque "Dresser un état de la recherche en théologie interculturelle" Université de Lausanne du 8 au 10 février 2023

Celles et ceux que cela intéresse peuvent lire mon billet Voici comment un professeur à l’Université de Montréal occupe son temps de travail. où j’expliquais la répartition de mon temps de travail alors que j’étais professeur à l’Université de Montréal en 2014.

Une belle définition de la musique d’orgue

James qui a deux ans et demi adore la musique d’orgue. Il en donne une excellente définition à apprécier à deux niveaux (c’est le cas de le dire) :

« L’orgue, c’est la musique qui vient d’en haut ».

Comme quoi la sagesse ne dépend pas forcément des années…

Appropriation civile d’une manière protestante de s’asseoir

Pour les quatre jours d’un cours intensif sur « Les figures vétérotestamentaires de la cathédrale de Lausanne » à l’Université de Lausanne avec ma collègue Ruth Ebach (Bible hébraïque), je propose quatre billets appliquant deux concepts à la mode — l’appropriation culturelle et la culture de l’annulation — à cet édifice. Que celles et ceux que les deux expressions fâchent pourraient ou devraient lire ces quatre courtes chroniques, ne serait-ce que pour savoir si leur colère est fondée !


Dès 1536, le protestantisme s’approprie la cathédrale de Lausanne. Il l’aménage conformément à sa théologie et l’adapte à son propre — appropriation ! — usage liturgique. Il en fait un lieu unique pour le culte communautaire. Pour ce faire, il ferme complètement le chœur — pour quelques années, il devient la salle de cours pour former les pasteurs —, ouvre les chapelles latérales, ce qui empêche ou évite les dévotions privées. Il installe contre un pilier de la nef une chaire d’abord en bois puis en pierre où le pasteur monte pour prêcher. Il dispose des bancs en carré autour de la chaire et récupère les stalles des chanoines pour faire asseoir les autorités.

Manière protestante de s’asseoir

Le protestantisme met ainsi en scène dans la cathédrale de Lausanne sa conception du culte : il en va d’annoncer « la Parole de Dieu », que les fidèles chantent dans les Psaumes, que l’instituteur — le régent — lit dans la Bible et que le pasteur prêche dans son sermon. Il choisit l’aménagement qui permet de rassembler « le plus de fidèles le plus près du prédicateur », celui qui permet au prédicateur d’être vu, entendu et surtout compris par le maximum de paroissien·nes. Une table en bois placée sous la chaire permet de célébrer la cène, quatre fois par an. Que la chaire domine la table de communion montre que l’annonce de l’Évangile supplante maintenant l’administration du sacrement. Techniquement, on parle de « disposition centrée des bancs », mais le théologien protestant suisse romand Bernard Reymond — L’architecture religieuse des protestants. Genève : Labor et Fides, 1996 — nomme cet aménagement « quadrangle choral » et le juge « typiquement réformé ».

Pendant des siècles de culte protestant, la cathédrale de Lausanne conserve le même aménagement intérieur. On le retrouve encore en 1960, lors des « funérailles nationales » pour Henri Guisan, général de l’armée suisse pendant la Seconde Guerre mondiale.

Alexandre Cornu, « Général Guisan, obsèques », avril 1960. Crédit : https://notrehistoire.ch/entries/xXYq4oApWrk

Manière civile de s’asseoir

Aujourd’hui — je n’ai pas trouvé la date de la transformation —, la cathédrale de Lausanne propose un autre aménagement. Les bancs — qui en 2022 ont remplacé les chaises de 1913 — sont alignés les uns derrière les autres. Tous regardent vers le chœur où se trouve le « mobilier liturgique », quatre éléments amovibles : au centre une table derrière laquelle la pasteure célèbre la cène ; à droite (côté jardin), un pupitre pour prêcher et pour la liturgie ; à gauche (côté cour), des fonts baptismaux pour célébrer un baptême. Bernard Reymond qualifie ce dispositif en rangées de « perspectivisme romantique » en soulignant qu’il donne à voir dès l’entrée une perspective sur le lieu de culte et sur le culte.

J’ai écrit « tous regardent vers le chœur », mais ce n’est pas tout à fait exact puisque le dossier des bancs est amovible et qu’il peut être basculé pour « renverser le sens des bancs » et les faire regarder vers le chœur les jours de concerts.

En conclusion

  • Une appropriation civile d’une manière protestante de s’asseoir représente-t-elle une appropriation culturelle ? J’aurais tendance à répondre oui pour deux raisons. La première correspond à une certaine « culture du patrimoine » qui privilégie l’état original des bâtiments. Le dispositif catholique serait plus légitime parce qu’il serait plus ancien. Mais qu’est-ce qui est légitime, l’ancienneté ou la durée ? Cette cathédrale de Lausanne — elle est la troisième du nom — a été catholique pendant trois siècles et protestante pendant presque cinq, ce qui la rend autant protestante que catholique. Et quel est son « état original », puisqu’elle a été construite et profondément reconstruite : au 15e siècle on supprima par exemple la route couverte qui séparait la tour et la cathédrale et au 19e siècle, on reconstruisit la flèche deux fois ? La seconde raison vient de la fonction culturelle dévolue à la cathédrale. Des rangées de sièges tournés vers le chœur sont mieux adaptées aux spectacles. Et pour les concerts d’orgue, renverser les dossiers des bancs plus faciles à faire que retourner des centaines de chaises. Mais le changement de dispositif n’est pas seulement civil. Il vient aussi d’une réappropriation protestante de la manière de célébrer le culte. Dans la foulée du mouvement Église et liturgie, un certain protestantisme a voulu revenir à un dispositif plus solennel, plus pastoral et plus sacramentaire qu’on a parfois dit plus catholique. En créant une longue allée centrale, des bancs en rangées offrent à la ou au pasteur·e et aux officiant·es, la possibilité de faire une entrée procession. Placer la table de la cène au centre et déplacer la chaire sur le côté centre le culte sur la cène et décale la prédication. Installer les célébrant·es dans le chœur les valorise et rend l’assemblée plus passive, plus auditrice et spectatrice que partie prenante du culte.
  • Faut-il annuler l’appropriation civile d’une manière protestante de s’asseoir ? Non ! D’abord parce qu’il faut reconnaître que la cathédrale de Lausanne est davantage qu’un lieu de culte protestant. Aujourd’hui qu’elle accueille des cérémonies publiques, des manifestations culturelles et des célébrations œcuméniques, il serait illégitime et injuste de vouloir conserver un aménagement qui ne satisferait que le protestantisme. Et encore, les protestant·es apprécient le dispositif en rangées, y compris pour célébrer le culte. Peut-être parce simplement parce qu’il est le mieux adapté à l’architecture du lieu. Mais aussi parce qu’il dégage de l’espace et qu’il permet de déployer de la créativité cultuelle et de varier les formes d’un culte quand on cherche à le renouveler.

Après avoir lu l’excellent ouvrage Judith Lussier, Annulé(e). Réflexions sur la cancel culture, Montréal, Cardinal, 2021, je précise que ni l’Église catholique-romaine, ni la communauté juive, ni la paroisse de la cathédrale, ni les musées lausannois n’ont demandé à récupérer quoi que ce soit (ajout le 6 janvier 2023).

Appropriation chrétienne de la Bible juive

Pour les quatre jours d’un cours intensif sur « Les figures vétérotestamentaires de la cathédrale de Lausanne » à l’Université de Lausanne avec ma collègue Ruth Ebach (Bible hébraïque), je propose quatre billets appliquant deux concepts à la mode — l’appropriation culturelle et la culture de l’annulation — à cet édifice. Que celles et ceux que les deux expressions fâchent pourraient ou devraient lire ces quatre courtes chroniques, ne serait-ce que pour savoir si leur colère est fondée !


Le rapport que le christianisme entretient avec le judaïsme est terriblement — au sens fort du mot « terrible » — ambigu : il reconnaît ce qu’il lui doit, mais s’estime supérieur à lui. Ce mélange de reconnaissance et de jalousie a conduit des chrétien·nes à discriminer, mépriser, maltraiter et persécuter des juives et des juifs.

Pourtant, Jésus, ses disciples et celles et ceux qui font partie du « mouvement de Jésus » sont juives et juifs, dans une forme un peu particulière du judaïsme. Mais, dès les années 50, des personnes extérieures au judaïsme vont confesser que Jésus est le Messie ou le Christ, ce qui entraîne la création d’une nouvelle religion. Se comprenant comme l’accomplissement de la révélation divine, le christianisme s’approprie le judaïsme et notamment sa Bible, son livre de référence. Mais il le juge partiel ou incomplet et croit que par Jésus le Christ, Dieu établit une nouvelle alliance avec les êtres humains. Il fait alors de la Bible juive son Ancien Testament et lui ajoute un Nouveau Testament.

Il diffuse largement ces deux Testaments celui qu’il a créé et celui qu’il s’est approprié : il les copie, puis les imprime, puis les met en ligne ; il les lit, les raconte, les chante, les met en scène et les illustre.

Ce qui explique que l’on trouve dans la cathédrale de Lausanne — comme ailleurs, évidemment — de nombreuses images de l’Ancien Testament, sculptées dans la pierre et dans le bois, peintes sur les murs et sur des vitraux, créées au Moyen-Âge et jusqu’au 20e siècle. Elles ont une valeur esthétique, bien sûr. Elles racontent à leur manière l’histoire de la cathédrale et de son environnement, mais elles indiquent aussi toute l’ambiguïté des rapports du christianisme au judaïsme et à sa Bible. J’ai donc choisi quelques images pour dresser une liste de quelques-uns de ces rapports.

Blasphémer

Si le judaïsme s’est toujours méfié des images, il a posé un interdit fondamental, celui de représenter D.ieu. Il est interdit de le représenter par une image et même d’écrire son nom d’où le point entre le « D » et le « ieu ». Le christianisme ne se soucie guère de respecter cet interdit et a volontiers représenté Dieu, souvent comme un homme blanc vieux et barbu.

C’est le cas de ce vitrail qui montre un Dieu créateur grognon, assis sur son trône quelque part dans le ciel, illustration du premier chapitre du livre « Au commencement » ou Genèse pour le christianisme.

Édouard Hosch, Dieu créateur, 1899-1909. Rose de la cathédrale de Lausanne.
Édouard Hosch, Dieu créateur, 1899-1909. Rose de la cathédrale de Lausanne.

Condamner

Le christianisme juge que Dieu a condamné le judaïsme et montré sa préférence pour le christianisme. Il estime même que le judaïsme s’est condamné lui-même, lorsqu’il a crucifié le fils de Dieu. Certaines images illustrent la condamnation des juives et des juifs, souvent reconnaissable à certains traits particuliers : la couleur jaune de leurs vêtements, un chapeau pointu, des cheveux roux, une rouelle, etc.

C’est le cas de cette broderie sur la chasuble d’Aymon de Montfalcon, le dernier évêque de Lausanne, où l’on devine Anne, la future mère de Marie piétiner un juif à terre.

La conception de Marie, Chasuble de l’évêque Aymon de Montfalcon, vers 1500 (détail). Musée d’Histoire de Berne, Trésor de la cathédrale de Lausanne.
La conception de Marie, Chasuble de l’évêque Aymon de Montfalcon, vers 1500 (détail). Musée d’Histoire de Berne, Trésor de la cathédrale de Lausanne.

Hiérarchiser

Deux images parallèles et côte à côte permettent de comparer facilement judaïsme et christianisme et de rendre évidente la supériorité du christianisme.

C’est le cas de ce vitrail qui associe Moïse — et le judaïsme — à la loi et Paul — et le christianisme — à la grâce. La hiérarchisation est manifeste : ciel d’orage du côté de l’Ancienne Alliance, ciel paisible du côté de l’Alliance Nouvelle ; Moïse ne peut que désigner les tables des dix commandements qui restent au ciel, tandis que Paul qui reçoit directement d’un ange le texte de l’évangile de la grâce.

Paul Robert, La Loi et la Grâce, 1892. Cathédrale de Lausanne. Crédit: http://www.mesvitrauxfavoris.fr/Supp_a/cathedrale_lausanne_suisse_
Paul Robert, La Loi et la Grâce, 1892. Cathédrale de Lausanne. Crédit: http://www.mesvitrauxfavoris.fr/Supp_a/cathedrale_lausanne_suisse_suite.htm

(Dés) orienter

Sélectionner dans un récit de quoi fabriquer une image permet d’en orienter la lecture, de diriger qui la regarde vers un sens particulier — qui peut même être un contresens voire un non-sens. Ainsi, le christianisme choisit d’illustrer certains passages de la Bible juive, par exemple ceux dans lesquels il lit une allusion à la Vierge Marie ou à Jésus Christ. Il peut ainsi affirmer, images à l’appui, que le Nouveau Testament est la simple continuation de l’Ancien.

C’est le cas de cette image du prophète Isaïe. D’un livre qui contient 66 chapitres, l’artiste choisit d’illustrer un seul verset : « Ah certes ! Le Seigneur vous donne de lui-même un signe : Voici, la jeune femme est devenue enceinte, elle va mettre au monde un fils, qu’elle appellera Immanouel » (chapitre 7, verset 14; traduction de la Bible du Rabbinat). La tradition chrétienne le lit comme une annonce de la naissance virginale de Jésus. L’artiste, Louis Rivier figure donc deux personnages: un vieux prophète écrivant son livre en même temps qu’il regarde Jésus le Christ lui apparaître.

Louis Rivier, La prophétie d’Ésaïe, 1930-1931. Cathédrale de Lausanne. Crédit: carte postale « Promenades angéliques ».
Louis Rivier, La prophétie d’Ésaïe, 1930-1931. Cathédrale de Lausanne. Crédit: carte postale « Promenades angéliques ».

Illustrer

Une image peut illustrer un texte, le donner à voir pour celles et ceux qui ne veulent pas ou ne peuvent pas les lire. Les images remplissent alors une fonction plutôt neutre, une fonction pédagogique. Elles sont la Bible des pauvres ou des illettrés. Évidemment, elles ne peuvent remplir cette fonction que si la personne qui regarde l’image connaît déjà un peu le texte ou si on le lui raconte. Une telle illustration est toujours seconde par rapport au texte qu’elle interprète et dont elle sélectionne un instant. Mais elle peut en rester proche et le donner « simplement » à voir.

C’est le cas de cette représentation du petit David et du géant Goliath ou les deux personnages sont représentés sans jugement… à mon avis qui est celui d’un chrétien (Premier livre de Samuel, chapitre 17).

David et Goliath, 13e siècle. Stalles de l’ancien chœur capitulaire, cathédrale de Lausanne.
David et Goliath, 13e siècle. Stalles de l’ancien chœur capitulaire, cathédrale de Lausanne.

Instrumentaliser

Le christianisme considère que le Nouveau Testament réalise ce qui est annoncé dans l’Ancien Testament. Par conséquent, il instrumentalise la Bible juive où il cherche des épisodes, des situations ou des personnages — des « types » — qu’il couple avec des épisodes, des situations ou des personnages du Nouveau Testament, et notamment de la vie et de la mort de Jésus.

C’est le cas de cette représentation du roi Joab qui étreint son rival Abner en même temps qu’il le poignarde (deuxième livre de Samuel, chapitre 3), préfiguration de Judas qui embrasse Jésus quand il le trahit (évangile de Luc, chapitre 22).

Joab tuant Abner, 1515-1536. Portail médiéval Montfalcon, cathédrale de Lausanne (Reconstitution de Raphaël Lugeon, Dépôt lapidaire).
Joab tuant Abner, 1515-1536. Portail médiéval Montfalcon, cathédrale de Lausanne (Reconstitution de Raphaël Lugeon, Dépôt lapidaire).

En conclusion

  • Des images chrétiennes de la Bible juive représentent-elles une appropriation culturelle ? Oui ! Elles témoignent que le christianisme s’est approprié la Bible juive. Mais elles témoignent aussi qu’il a déclassé la Bible juive en lui ajoutant un Nouveau Testament, qu’il l’interprète dans son propre sens y compris contre le judaïsme.
  • Faut-il annuler les images chrétiennes de la Bible juive ? Tous les christianismes n’ont pas toujours apprécié toutes les images. Les iconoclastes ont annulé les images qu’ils n’apprécient pas en les détruisant, des gens plus civilisés les annulent en les remplaçant plus ou moins soigneusement. Cependant, la destruction des images polémiques ou haineuses efface aussi un pan de l’histoire, en l’occurrence de l’histoire d’un christianisme parfois polémique et haineux. Il serait regrettable de ne plus avoir à s’en souvenir et à l’assumer. Je suggère donc de demander à nos sœurs juives et nos frères juifs quelles sont les représentations de la Bible juive qui leur sont insupportables et de les retirer des Bibles ou des églises. Mais de les conserver dans un lieu de mémoire et de les accompagner d’une mise en garde, coécrite par des membres des deux religions. Parce que les temps et les sensibilités changent, ce travail de mémoire n’aura jamais de fin. Il faut régulièrement se redemander — peut-être tous les dix ans — quelles images sont acceptables et lesquelles ne le sont plus. Enfin, il convient d’élargir cette procédure à ce qui peut choquer d’autres communautés que le christianisme a discriminées, méprisées, maltraitées et persécutées.

Après avoir lu l’excellent ouvrage Judith Lussier, Annulé(e). Réflexions sur la cancel culture, Montréal, Cardinal, 2021, je précise que ni l’Église catholique-romaine, ni la communauté juive, ni la paroisse de la cathédrale, ni les musées lausannois n’ont demandé à récupérer quoi que ce soit (ajout le 6 janvier 2023).

Appropriation protestante d’une cathédrale catholique

Pour les quatre jours d’un cours intensif sur « Les figures vétérotestamentaires de la cathédrale de Lausanne » à l’Université de Lausanne avec ma collègue Ruth Ebach (Bible hébraïque), je propose quatre billets appliquant deux concepts à la mode — l’appropriation culturelle et la culture de l’annulation — à cet édifice. Que celles et ceux que les deux expressions fâchent pourraient ou devraient lire ces quatre courtes chroniques, ne serait-ce que pour savoir si leur colère est fondée !


Construite sur un siècle entre 1150 et 1250 comme cathédrale de l’évêché savoyard de Lausanne, Notre-Dame-de-Lausanne (voir la page Wikipédia) devient protestante en 1536, quand Berne occupe le Pays de Vaud, lui impose le protestantisme et y interdit la célébration de la messe. Aussitôt, le protestantisme, porté par les autorités politique et religieuse, s’approprie donc très matériellement les biens catholiques, dont le plus symbolique, la cathédrale.

Mais ce n’est pas si simple.

La question du propriétaire

Car en 1536, la cathédrale appartient-elle vraiment à l’Église catholique romaine ? Certes, elle a été bâtie par et pour l’Église catholique romaine, selon ses conceptions théologiques et pour son usage liturgique. Mais cette Église en était-elle pour autant le propriétaire légitime ? Je n’ai pas toutes les réponses, mais j’ai des questions : qui a payé la construction ? Les évêques, certes — mais de quoi ou de qui tiraient-ils leurs revenus ? — et des quêtes auprès des fidèles. Qui a mis à disposition le lieu, qui a fourni les matériaux ? Qui a bâti, pierre après pierre, la cathédrale ? Qui l’a décorée, qui a peint la pierre, sculpté de bois, agencé le verre ? L’Église catholique romaine n’était-elle pas plus gestionnaire que propriétaire de la cathédrale de Lausanne ? Et même si l’évêque était aussi comte et qu’il exerçait le pouvoir temporel sur son diocèse, cette information du pasteur-historien Édouard Diserens semble l’indiquer :

« Un nouvel évêque venant [à la Cathédrale] de la ville basse pour être intronisé devait s’arrêter, avec la procession, devant la porte Saint-Étienne ; là, il promettait aux autorités de la ville de respecter ses franchises ; la première d’entre elles consistait à reconnaître que “tant le Bourg que la Cité étaient la dot et l’alleu de la Sainte Vierge”. Autrement dit, Marie était l’unique propriétaire de Lausanne. Le rôle de l’évêque se bornait à administrer les biens de la Sainte Vierge. » Édouard Diserens, Cathédrale de Lausanne. Guide du pèlerin. Cabédita, 1998, page 13.

Selon cette logique, la cathédrale appartenait à la Vierge et l’évêque en exerçait la gestion sur un mandat confié par les autorités de la ville de Lausanne. Celles-ci étaient donc en droit de changer de gestionnaire et de confier la gestion de leur cathédrale à une autre Église, protestante en l’occurrence, sans en perdre la propriété. Il reste à savoir ce que la Vierge a pensé de cette transition ! Et ce qu’en pensait le peuple à qui ni l’évêque, ni Berne, ni les réformateurs, Pierre Viret en tête, ni les autorités n’ont rien demandé.

Rendre à la communauté

La gestion protestante de la cathédrale de Lausanne a été au moins aussi exclusive que sa gestion catholique. L’Église protestante s’est très vite et très bien approprié le bâtiment, extérieur et intérieur. Il l’a transformé pour l’adapter à sa propre théologie et à la liturgie de son culte, devenu la seule manière légale et légitime de célébrer Dieu (j’y reviendrai dans mon troisième billet « Appropriation civile d’une manière protestante de s’asseoir. »). Mais il a su finir par y accueillir le catholicisme.

Anecdotiquement en 1802, pendant la brève période où Lausanne devient la capitale de la Suisse. La messe est célébrée dans le chœur de la cathédrale — un chœur encore séparé de la nef par le mur du jubé, un chœur que le protestantisme n’utilise d’ailleurs pas — pour permettre aux délégués des cantons catholiques de vivre leur foi.

Occasionnellement, en 1975 pour célébrer le 700ème anniversaire de la cathédrale et en 1990 quand une centaine de moines et moniales cistrecien·nes ont été invités pour fêter le 900ème anniversaire de Bernard de Clairvaux.

Plus symboliquement ensuite en 2004, quand l’Église évangélique réformée du canton de Vaud invite l’Église catholique romaine à célébrer la messe dans la cathédrale de Lausanne. La cathédrale accueille alors chaque année une messe catholique de l’Avent, le Noël orthodoxe le 6 janvier, chaque mois « un service religieux organisé par d’autres communautés », des offices œcuméniques, etc., ce qui me semble être signe de bonne gestion spirituelle d’un édifice religieux (voir le site du « Ministère de la cathédrale de Lausanne« ).

Bonne gestion, car il n’y a plus d’ambiguïté sur la propriété de la cathédrale de Lausanne. Elle revient au canton de Vaud qui la met à la disposition de l’Église évangélique réformée et qui peut « après consultation de l’EERV » l’attribuer « à d’autres usagers » si elle n’est plus nécessaire à l’Église protestante (Loi sur les relations entre l’État et les Églises reconnues de droit public, 2010 : art. 20 à 23). Outre son usage cultuel, la cathédrale de Lausanne accueille quelqeus cérémonies politiques laïques, une intense vie culturelle, dans un rapport plus ou moins étroit avec le protestantisme, le christianisme, la religion ou la spiritualité (découvrir le programme des activités à la cathédrale de Lausanne).

En conclusion

  • Une cathédrale de Lausanne protestante relève-t-elle d’un processus d’appropriation culturelle ? Oui ! En 1536, le protestantisme s’est bien approprié la cathédrale de Lausanne. Mais cette appropriation est restée plus culturelle que matérielle. Elle est une appropriation d’usage, d’usage exclusif, mais pas de possession.
  • Faut-il annuler le protestantisme de la cathédrale et la rendre au catholicisme ? Ouvrir la cathédrale à l’expression de diverses sensibilités religieuses, spirituelles et culturelles me semble préférable. Car c’est ainsi qu’elle peut revenir au peuple qui en est le véritable et légitime propriétaire.

Après avoir lu l’excellent ouvrage Judith Lussier, Annulé(e). Réflexions sur la cancel culture, Montréal, Cardinal, 2021, je précise que ni l’Église catholique-romaine, ni la communauté juive, ni la paroisse de la cathédrale, ni les musées lausannois n’ont demandé à récupérer quoi que ce soit (ajout le 6 janvier 2023).