Je cherche à identifier les aliments figurant sur les représentations de la Cène et à comprendre leurs valeurs symboliques (projet de longue haleine.
Depuis près de 10 ans, j’ai répertorié, dans des livres, sur Internet et sur le terrain (Allemagne, Autriche, Canada, Danemark, Espagne, États-Unis, France, Italie, Portugal, Royaume-Uni, Suisse), 819 représentations médiévales de la Cène (bronze; céramique; dessin; enluminure; fresque; gravure; ivoire sculpté; orfèvrerie; mosaïque; sculpture sur bois sur métal et sur pierre; tableau; tapisserie et vêtement brodé; vitrail).
Voici, dans l’ordre alphabétique, la liste des aliments que j’ai identifiés. Elle est moins longue que je ne l’aurais espéré, mais plus longue que celle des aliments cités dans les récits évangélique du dernier repas de Jésus. Pour chaque aliment, j’ai choisi une illustration et j’ai ajouté des commentaires, quelques citations intéressantes (dont des références bibliques) et quelques résultats intermédiaires de ma recherche.
Biscuit
Premier aliment, première surprise, on trouve des biscuits sur cette Cène catalane (et seulement sur celle-ci!).

Maître de Vilafermosa (1385-1390). Partie centrale d’un retable. Església de la Nativitat, Vilafermosa (Valence, Espagne)
J’y vois deux sortes de biscuits: des boudoirs et des fleurs garnies de confiture rouge (fraise, framboise?).
Bretzel
Deuxième aliment, deuxième surprise, on trouve des bretzels sur cette miniature tirée d’un lectionnaire.

Anonyme (1225-1274). Lectionnaire enluminé: g. 44, fol. 80r. New York, The Morgan Library and Museum
Le blogue de The Morgan Libray & Museum (New York) offre des commentaires sur cette image. La première Cène où figure un bretzel est une fresque de l’église de Tonadico dans le Trentin-Haut-Adige. Elle est datée du 10e ou du 11e siècle. Les Cène aux bretzels se trouvent toute dans les régions germaniques.
Mais pourquoi des bretzels? Parce qu’il est le pain quotidien dans les régions où ces Cènes sont produites (signe de transculturation du christianisme: de la culture du proche-Prient à la culture de l’Europe germanique) mais aussi parce qu’il y reçoit une valeur symbolique du bretzel, qu’indique la folkloriste allemande Irène Krauß:
« Fest steht, dass sich dieser Übergang von ringförmigen Brot zum geschlungenen Brezelgebäck sehr langsam vollzog und die verschiedenen Formen längere Zeit nebeneinander bestanden. Vermutlich war es die schwierigere Formung eines geschlossenen Ringes, die dazu führte, dass aus Weissmehl kleine Stränge gerollt wurden, deren Enden man – nicht immer ganz akkurat – aufeinander gedrückt hat. Diese Arbeitsvereinfachung kam auch der Massenproduktion in den Klöstern entgegen und ergab beinahe automatisch verschiedene Varianten, die schliesslich eine Brezelform ergaben. Als Zeitpunkt der Umformung, dass heisst des Öffnung des Rings, wird übereinstimmend das 9. Jahrhundert angenommen, da solche zu einer «6» geschlungene Gebäcke im 10. Jahrhundert bereits ausgeprägt waren. Als Fastengebäcke gehörten sie in den Klöstern seinerzeit keineswegs mehr zu den ganz seltenen Genüssen. Aus der Speiseordnung des Klosters Saint Trond beispielsweise geht hervor, dass den Mönchen am morgen hoher Freitage wie Ostern oder Weihnachten auch Brezeln als Festtags Gebäck gereicht werden sollten. Während der Fastenzeit teilten die Klosterbrüder Fastenbrezeln an Arme und Kinder aus. Entsprechend dem kirchlichen Gebot wurden diese frühen Brezeln aus einem neinfachen Wassertier mit Salzzusatz geformt nu vor dem Backen in Salzwasser «gesotten». » Krauß, I. (2003). Gelungen geschlungen. Das große Buch der Brezel. Wissenswertes, Alltägliches, Kurioses. Ulm: Silberburg-Verlag. p. 18
Sur mon blogue, lire mon roman policier à haute valeur théologique (dans l’ordre):
- Sur la piste du bretzel – Tours
- Sur la piste du bretzel – Paris
- Sur la piste du bretzel – Entre Colmar et Strasbourg
- Sur la piste du bretzel -Ulm
- Sur la piste du bretzel – Münich
- Sur la piste du bretzel – Quelque part en Autriche
- Sur la piste du bretzel – Termeno-sulla-Strada-del-Vino
- Sur la piste du bretzel – Mustaïr
- Sur la piste du bretzel – Zürich
Concombre
Au Musée des Beaux arts de Montréal est accrochée une Cène du peintre vénitien Carlo Crivelli (peinte en 1488).
Une Cène classique, avec du pain entier et tranché et du vin (tiens, il est plutôt clair pour du vin!), avec un bouillon de poisson au centre, devant Jésus. Mais pourtant, un regard plus attentif révèle une bizzarerie. Ce sont bien des concombres ou des cornichons que les apôtres tiennent dans leur main et croquent. Des concombres, mais pourquoi des concombres?
Corinne Mandel, dans un article très documenté – Mandel, C. (1999). Food for Thought: On Cucumbers and their Kin in European Art. Dans B. Fischer (dir.), Foodculture : tasting identities and geographies in art (p. 49-68). Toronto: YYZ Books. – donne la réponse. Elle indique que les concombres sont en quelque sorte la marque de fabrique de Carlo Crivelli. Présents sur sa Cène et sur sa Vierge à l’enfant, ils offrent une double signification. Renvoyant à Ésaïe 1,8 (“La fille de Sion va rester comme une cabane dans une vigne, comme un abri dans un champ de concombres, comme une ville sur ses gardes”), ils sont le signe de la Vierge Marie et plus largement signe de la foi; mais en même temps, ils rappellent les regrets des Hébreux dans le désert qui préféraient les nourritures certaine du temps de l’esclavage aux promesses du temps de la liberté:
“Il y avait parmi eux un ramassis de gens qui furent saisis de convoitise, et les fils d’Israël eux-mêmes recommencèrent à pleurer: “Qui nous donnera de la viande à manger? Nous nous rappelons le poisson que nous mangions pour rien en Égypte, les concombres, les pastèques, les poireaux, les oignons, l’ail! Tandis que maintenant notre vie s’étiole; plus rien de tout cela! Nous ne voyons plus que la manne.” » (Nombres 11, 4-6)
Crivelli veut indiquer toute l’ambiguïté des apôtres. Tous, et pas seulement Judas, sont entre le doute et la foi.
Cerise
L’un des Cenacoli peint par Domenico Ghirlandaio sur les murs de réfectoires à Florence présente des tables riches, riches de cerises notamment.

Domenico Ghirlandaio (vers 1486). Florence (Toscane, Italie); Museo di San Marco dell’Angelico (détail d’une fresque; 400×800 cm)
Je n’ai pas trouvé que le christianisme charge les cerises d’une valeur symbolique. Peut-être que sa valeur ici est simplement esthétique, comme le pressent l’historienne de l’art française Mireille Favier:
« Interviennent aussi les qualités plastiques des objets alimentaires que l’artiste organise et combine en toutes sortes d’associations de formes, de couleurs et de textures, cherchant l’effet ou la connivence entre l’opaque et le translucide, le mat et le brillant, le velouté et le visqueux: rotondité d’une pêche contre l’élan vertical d’une aiguière, laque vermillon d’une cerise sur l’or grenu d’un citron, duvet tiède d’un gibier voisinant avec l’éclat froid d’un poisson… Tout cela constitue un alphabet, dont la maîtrise permet d’infinies variations. » Favier, M. (1996). Dialogue gourmand. Dans Crédit communal de Belgique (dir.), L’art gourmand (p. 13-21). Ghent; Bruxelles: Snoeck-Ducaju & Zoon ; Crédit communal. p. 14
- À propos de cette Cène, consulter sur mon blogue l’article La Cène de la semaine (7)
Eau
Dans le verre transparent devant ce convive, à côté d’un train de côtelettes, entre quatre miches de pain, j’ai tout lieu de penser qu’il y a de l’eau.
L’eau est un aliment à forte valeur symbolique dans la Bible. Elle est investie de nombreuses significations. Dans le Dictionnaire encyclopédique de la Bible, Bernadette Escaffre en distingue trois grandes significations: elle est « Origine du bonheur ou de la bénédiction », »image de ce qui passe et ne revient pas » et « symbole d’innocence » Escaffre, B. (Dir.) (1987). Dictionnaire encyclopédique de la Bible (Éd. rev). Montréal; Turnhout, Belgique: Iris Diffusion Inc.; Brepols. p. 369
Que de l’eau figure sur la table de la Cène prend un sens particulier quand on sait que, dans le cadre de l’Eucharistie catholique-romaine, il est d’usage de mélanger l’eau et le vin, comme un rappel de la mort de Jésus:
« Cependant, comme c’était le jour de la Préparation, les autorités juives, de crainte que les corps ne restent en croix durant le sabbat – ce sabbat était un jour particulièrement solennel –, demandèrent à Pilate de leur faire briser les jambes et de les faire enlever. Les soldats vinrent donc, ils brisèrent les jambes du premier, puis du second de ceux qui avaient été crucifiés avec lui. Arrivés à Jésus, ils constatèrent qu’il était déjà mort et ils ne lui brisèrent pas les jambes. Mais un des soldats, d’un coup de lance, le frappa au côté, et aussitôt il en sortit du sang et de l’eau. Celui qui a vu a rendu témoignage, et son témoignage est conforme à la vérité, et d’ailleurs celui-là sait qu’il dit ce qui est vrai afin que vous aussi vous croyiez. En effet, tout cela est arrivé pour que s’accomplisse l’Écriture : Pas un de ses os ne sera brisé; il y a aussi un autre passage de l’Écriture qui dit: Ils verront celui qu’ils ont transpercé. » Évangile attribué à Jean, chapitre 19, versets 31-37
Écrevisse
L’historienne de l’art française Dominique Rigaux a mis en lumière des « Cènes aux écrevisses », des Cènes qu’elle a notamment observées dans les vallées alpines italiennes (plus de détail sur Prealp -Peintures murales des Régions alpines).

Tomasson da Modena ou son école (14e-15e siècle). Feltre (Vénétie, Italie); basilique SS. Vittore et Corona (fresque)
Pourquoi des écrevisses? Dominique Rigaux leur accorde une valeur symbolique:
« Appelée cancro dans les exempla, l’écrevisse est une image habituelle de l’hypocrisie parce que, comme chacun sait, elle ne marche pas droit. Infiniment moins familière que le crabe ou le scorpion dont elle bien proche plastiquement, elle doit être, à leur instar, assimilée au domaine du mal et du péché. C’est dans ce sens me semble-t-il, qu’il faut interpréter sa présence quasi obsédante sur la table du Seigneur et cette signification négative la met en étroite relation avec le personnage de Judas. La fresque de Feltre, déjà évoquée, le montre clairement. Les écrevisses de couleur rouge sombre, avec des pattes largement ouvertes qui les font étroitement ressembler à des scorpions, sont réparties en groupes agressifs sauf devant le Christ et saint Jean. Et on peut remarquer le peintre, au mépris de tout souci de perspective, a malicieusement dressé un gros crustacé sous la main de Judas tendue vers le plat. » Rigaux, D. (1992). La Cène aux écrevisses: table et spiritualité dans les Alpes italiennes au Quattrocento. Dans M. Aurell, O. Dumoulin & F. Thelamon (dir.), La sociabilité à table. Commensalité et convivialité à travers les âges (p. 217-228). Rouen: Publications de l’Université de Rouen. p. 224
Un autre historien de l’art, John Varriano, privilégie pour sa part leur valeur gastronomique.
« The viewer [of the Zanino di Pietro’s fresco from 1466 in the church of San Giorgio in San Polo di Piave] looks down on a table strewn with platters of fish, some already cut into sections, and a number of whole and dismembered crayfish. Because crayfish are one of the best specialties of the region (Waverly Root calls San Polo di Piave “the capital of crayfish”), local residents could not have been surprised to see them depicted in the village church. » Varriano, J. L. (2009). Tastes and temptations : food and art in Renaissance Italy. Berkeley: University of California Press. p. 101
Fromage
Est-ce bien un fromage que l’artiste a placé sous la main du deuxième convive à la droite de Jésus? Si c’est bien le cas, il s’agit alors d’un aliment anecdotique qu’il faudrait éviter de surinterpréter.
Hostie
Plusieurs Cènes présentent des hosties sur la table du dernier repas. C’est bien évidemment une manière de montrer l’équivalence entre Dernier Repas et Eucharistie.

Anonyme (1043-1046). San Lorenzo de El Escorial, (Espagne); Colecciones del Real Monasterio, Biblioteca Real: Codex Vitrinas 17, 153 (miniature dans l’évangéliaire d’Henri III)
J’ai essayé de comparer les représentations du pain et de l’hostie sur les Cènes. Entre les 11e et 15e siècle, le graphique montre deux courbes « en miroir ». Pain et hostie sont en concurrence. Quand la représentation de l’un croît, celle de l’autre diminue et inversement.
Il est à noter que le « pic » des représentations de l’hostie, situé au 13e siècle, correspond au moment où le second concile de Latran (1215) promulgue le dogme de la transsubstantiation, c’est-à-dire sa conviction que, par la consécration du prêtre, l’hostie devient « vraiment, réellement et substantiellement » le corps du Christ.
Orange
On trouve des oranges (mais aussi des poires) sur cette fresque italienne du 15e siècle.
« In paintings of traditional biblical subjects, such as Michelangelo da Caravaggio’s Supper at Emmaus, the apples and other fruit in the basket on the tavern table almost automatically take on a symbolic religious power. In this scene of the resurrected Christ revealing himself to his astonished disciples, the grapes suggest the wine of Holy Communio, and the apple here might identify Jesus as the New Adam, who counteracts the Fall of man from Paradise. Even Caravaggio’s selection of autumnal fruit (and slightly rotten appearance of that fruit) have been interpreted as reference to Christ’s dearth – the season of dying equated with his mortality. [But]. Not every apple in art deals with Adam or Eve or Christ or death. The context of the depicted apple must be assayed – within the image, within the artist’s oeuvre and within the society in which the work was produced. » Bendiner, K. (2004). Food in Painting from the Renaissance to the Present. London: Reaktion Book. p. 15-16
Os
Il ne reste plus que les os de la viande dans le plat central de cette Cène française.
L’artiste pourrait avoir voulu évoquer le repas juif du Seder, le repas de la Pâque juive, le repas qui, selon les Évangiles, donne l’occasion du dernier repas de Jésus. Un repas qui, depuis la destruction du temple de Jérusalem ne comporte plus d’agneau, mais seulement un os au menu.
« L’œuf et l’os doivent nous rappeler l’agneau pascal et les sacrifices des jours de fête offerts au temple de Jérusalem la veille de Pèçah. » Güns, J. (Dir.). (1930). La Haggadah de Pessach à l’usage du rite séfardi. Vienne: Joe Schlesinger. p. 12
Pain
Ce n’est assurément pas le pain qui manque sur les images de la Cène. Et s’il n’y figure pas, c’est qu’il a été remplacé par des hosties! Un beau pain, levé, figurent sur ce bas-relief allemand.
Prudemment, je renonce à mentionner toute la symbolique du pain dans le christianisme, parce qu’il me serait impossible d’être exhaustif et parce qu’elle me semble évidente. Mais je rappelle qu’il vient directement des Évangiles, puisque le pain, avec le « fruit de la vigne » est l’un des deux aliments mentionnés dans les récits du dernier repas de Jésus:
« Pendant le repas, il prit du pain et, après avoir prononcé la bénédiction, il le rompit, le leur donna et dit: «Prenez, ceci est mon corps.» Puis il prit une coupe et, après avoir rendu grâce, il la leur donna et ils en burent tous. Et il leur dit: «Ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, versé pour la multitude. En vérité, je vous le déclare, jamais plus je ne boirai du fruit de la vigne jusqu’au jour où je le boirai, nouveau, dans le Royaume de Dieu.» » Évangile attribué à Marc, chapitre 14, versets 22-25
Je signale encore que, sur cette sculpture, plusieurs convives mangent et boivent, ce qui remet en question l’idée largement répandue que la première œuvre d’art représentant des personnages en train de manger « pour de vrai » serait le Mangeur de fèves (ou de haricots) de Annibale Carracci (1584-1585).
- À propos de cette Cène, consulter sur mon blogue l’article La Cène de la semaine (11)
Poireau
On trouve des poireaux (ou des oignons verts) sur cette fresque italienne. Ils pourraient évoquer les herbes amères que les Juifs mangent pour la Pâque.
Ces poireaux (comme la verdure) pourraient évoquer les herbes amères que les Juifs mangent pour la Pâque.
« Le SEIGNEUR dit à Moïse et à Aaron dans le pays d’Egypte: «Ce mois sera pour vous le premier des mois, c’est lui que vous mettrez au commencement de l’année. Parlez ainsi à toute la communauté d’Israël: Le dix de ce mois, que l’on prenne une bête par famille, une bête par maison. Si la maison est trop peu nombreuse pour une bête, on la prendra avec le voisin le plus proche de la maison, selon le nombre des personnes. Vous choisirez la bête d’après ce que chacun peut manger. Vous aurez une bête sans défaut, mâle, âgée d’un an. Vous la prendrez parmi les agneaux ou les chevreaux. Vous la garderez jusqu’au quatorzième jour de ce mois. Toute l’assemblée de la communauté d’Israël l’égorgera au crépuscule. On prendra du sang ; on en mettra sur les deux montants et sur le linteau des maisons où on la mangera. On mangera la chair cette nuit-là. On la mangera rôtie au feu, avec des pains sans levain et des herbes amères. N’en mangez rien cru ou cuit à l’eau, mais seulement rôti au feu, avec la tête, les pattes et les abats. 10Vous n’en aurez rien laissé le matin ; ce qui resterait le matin, brûlez-le. Mangez-la ainsi : la ceinture aux reins, les sandales aux pieds, le bâton à la main. Vous la mangerez à la hâte. C’est la Pâque du SEIGNEUR. Je traverserai le pays d’Égypte cette nuit-là. Je frapperai tout premier-né au pays d’Egypte, de l’homme au bétail. Et je ferai justice de tous les dieux d’Égypte. C’est moi le SEIGNEUR. Le sang vous servira de signe, sur les maisons où vous serez. Je verrai le sang. Je passerai par-dessus vous, et le fléau destructeur ne vous atteindra pas quand je frapperai le pays d’Égypte. Ce jour-là vous servira de mémorial. Vous ferez ce pèlerinage pour fêter le SEIGNEUR. D’âge en âge – loi immuable – vous le fêterez. Pendant sept jours, vous mangerez des pains sans levain. » Exode chapitre 12, versets 1 à 15
Poisson
Sur la toute première Cène jamais représentée, on trouve deux beaux, deux gros poissons.
« The first known depiction of the Last Supper is the early sixth-century mosaic in S. Appolinare Nuovo in Ravenna. In this image Jesus reclines on the left side of the D-shaped Roman sigma (bench with arm-rest), with the Disciples arranged semi-circularly around it. There is no cup at all, but a plate with two very large fish, symbols of Christ. » Young, C. (1999). Depictions of the Last Supper. Dans H. Walker (dir.), Food in the Arts: Proceedings of the Oxford Symposium on Food and Cookery (p. 223-236). Devon: Prospect Books: 225
J’ai essayé de comparer les représentations respectives du poisson et de la viande. Encore une fois, le résultat donne deux courbes globalement « en miroir ». Au cours du temps, le poisson tend à disparaître des représentations de la Cène, tandis que la présence de la viande se fait de plus en plus fréquente.
- À propos de cette Cène, consulter sur mon blogue l’article La Cène de la semaine (8) et sur une autre Cène aux poissons: La Cène de la semaine (2)
Raisin
J’aurais pensé qu’il y aurait forcément du raisin sur les tables de la Cène, puisque « le fruit de la vigne » est l’un des deux aliments mentionnés explicitement dans les Évangiles. Mais ce n’est pas le cas. Et je n’ai trouvé qu’une seul image du raisin. Et encore, je suis loin d’être persuadé qu’il s’agit bien de raisin dans le saladier placé au centre de la table.

Anonyme (1101-1115). Stuttgart (Allemagne); Württembergische Landesbibliothek: Cod. bibl. fol. 60, 43v
Sanglier
Au Danemark, à Helsingør – l’Elseneur de Willima Shakespeare -, j’ai vu, dnas l’église de la Sanctae Mariae Kirche, au plafond de l’allée latérale sud de la nef, cette tête de sanglier au centre de la table. Ce qui rend le dernier repas de Jésus incompatible avec les règles de la kashrout; ce qui est un moyen radical d’extraire Jésus du judaïsme.

Anonyme (autour de 1480-1490). Helsingør (Danemark); Sancta Mariae Kirche (détail d’une fresque sur le plafond).
Scorpion
Je sais bien que le scorpion n’est pas un aliment (au moins pas un aliment comestible). Mais je ne peux pas m’empêcher de mentionner sa présence sur une Cène de Vérone. Le scorpion est souvent lié au mal et au péché.
Sel
Deux salières sur la table de cette Cène espagnole.

Jaume Baço Escrivà dit Jacomart (vers 1450). Segorbe (Com. valencienne, Espagne); Museo Catedralicio de Segorbe (retable de la salle capitulaire)
Le sel fait référence à un mot de Jésus à ses disciples:
« Vous êtes le sel de la terre. Si le sel perd sa saveur, comment redeviendra-t-il du sel? Il ne vaut plus rien; on le jette dehors et il est foulé aux pieds par les hommes. » Évangile attribué à Matthieu, chapitre 5, verset 13
J’ajoute deux remarques à ce bon mot:
- Si les chrétien-ne-s sont le sel de la terre, il est évident que trop de cherétien-ne-s rendent la Terre immangeable.
- On peut être Jésus et se tromper: le sel ne peut pas perdre son goût, puisqu’il n’est que du sel.
Viande
Voici la première viande jamais représentée sur une Cène: la partie arrière d’un animal qu’il est impossible d’identifier (un agneau? un cochon? un veau?). Elle date de la fin du 11e siècle. Rapidement, la viande va supplanter le poisson sur les images de la Cène.

École de Monte Casino (1072-1087). Sant’Angelo in Formis (Capoue, Campanie, Italie); basilique (fresque)
Ma recherche me permet de souligner un fait intéressant. La viande n’est pas représentée de manière uniforme dans tous les pays d’Europe occidentale (ou plutôt dans les pays où j’ai identifié suffisamment de Cènes pour que des analyses soient possibles et que les résultats soient significatifs). On remarquera que la distinction classique entre une Europe carnivore au Nord et une Europe piscivore au Sud ne fonctionne pas ou pas absolument. Ainsi, si ce sont trois pays du Nord qui remportent le palme des Cènes les plus carnivores (Autriche, République tchèque et Suisse), ce sont aussi trois pays du Nord qui se révèlent les moins carnivores (Belgique, Pays-bas et Royaume-Uni).
- À propos de viande sur des images de la Cène, consulter sur mon blogue les articles La Cène de la semaine (4) et La Cène de la semaine (9)
Verdure
On trouve des herbes sur quelques rares images de la Cène.
Elles sont peut-être là simplement « pour faire joli », peut-être pour indiquer une manière d’apprêter la viande et le poisson. Mais elles pourraient aussi évoquer les herbes amères que les Juifs mangent pour la Pâque. Des herbes amères qui sont aussi devenues un aliment rituel du christianisme.
« Au XVIIe siècle, on utilisait l’ortie dans les potages («à cueillir, dit un auteur, quand le soleil sera au signe du Bélier»), dans «la soupe aux neuf herbes du Jeudi vert» (qui est le jeudi saint), ou pour préparer les escargots et les anguilles au vert (cette survivance paléontologique de la cuisine d’autrefois, ce cœlacanthe gastronomique, existe encore en Belgique). » Moulin, L. (1988). Les liturgies de la table : une histoire culturelle du manger et du boire. Anvers; Paris: Fonds Mercator; A. Michel. p. 291
Vin
Ma liste se termine par le vin, ce qui me semble être une bonne chose. On trouve sur les Cènes du vin blanc et du vin rouge. Parfois avec modération, parfois à profusion, comme sur cette mosaïque toscane.
Comme pour le pain, évoquer la valeur symbolique du vin dans le christianisme dépasserait largement le cadre ce blogue. Je peux seulement indiquer:
- Qu’il est cité 441 fois dans l’un et l’autre Testaments, le vin est d’abord et avant tout le don de Dieu: «Le vin réjouit le cœur des humains en faisant briller les visages plus que l’huile.» (Bible juive, Psaume 104). Ainsi c’est une vigne que Noé plante dès que la terre a séché; et c’est plus de 700 litres d’eau que Jésus transforme en un excellent vin, lors d’un mariage à Cana – «Ce n’est pas ce qu’il a fait de mieux!» aurait affirmé un pasteur bien trop austère. Qu’il se rassure, si la Bible aime le vin, elle sait aussi – parfois – encourager la modération: «Ne regarde pas le vin qui rougeoie, qui donne toute sa couleur dans la coupe et qui glisse facilement. En fin de compte il mord comme un serpent, il pique comme une vipère.» (Bible juive, livre des Proverbes, chapitre 23).
- Que c’est avec du vin que depuis 2000 ans, les Chrétiens célèbrent la communion, l’eucharistie, la sainte cène ou le dernier repas – peu importe le nom qu’on lui donne: «La coupe pour laquelle nous rendons grâce est la communion au sang de notre Seigneur Jésus-Christ». Les Orthodoxes privilégient le vin rouge, les Catholiques un vin blanc liquoreux – le vin de messe – et les Protestants utilisent du vin ordinaire, rouge ou blanc.
- Que l’importance du vin pour les Églises a d’ailleurs certainement contribué à l’implantation de la vigne dans les pays chrétiens et dans leurs «colonies» – par exemple en Algérie, au Chili et en Australie – ou dans les régions où les Chrétiens persécutés ont trouvé refuge – ainsi l’Afrique du Sud pour les huguenots.
Dans les médias:
- Radio Télévision Suisse, La Première: « Le Jeudi Saint, Jésus aurait partagé aussi bien des Bretzels que des écrevisses« . Chronique de Michel Kocher, Juste Ciel, 14 avril 2015.
- Radio Canada, La Première: « Le menu du dernier repas de Jésus, source éternelle d’inspiration des peintres« . Entretien avec Catherine Perrin, Médium Large, 2 avril 2015.
« Les images médiévales de la Cène en Europe occidentale » (12 min 07 sec.). Intervention d’Olivier Bauer, professeur titulaire à la Faculté de théologie et de sciences des religions de l’Université de Montréal. Ajoutée le 4 juin 2014.
Bonjour,
Dans le fresque italien où vous indiquez le poireau il y a un élément assez étrange d’une forme allongée et ronde que je n’arrive pas à identifier. Vous savez de quoi il s’agît? Je l’ai trouvé dans un autre fresque de la même période et de la même région.
Merci
Gabriella
J’aimeJ’aime
Bonjour Gabriella,
Malheureusement, je ne sais pas non plus de quoi il s’agit. Pour l’instant, je les classe comme « forme de nuage ». Si vous avez plus d’information, n’hésitez pas à les transmettre.
Avec mes remerciements et mes salutations,
Olivier
J’aimeJ’aime
Bonjour,
Permettez quelques mots à propos de la Cène. Merci.
Chez les Rose-Croix, après cette cérémonie de réception a lieu la célébration de la Cène, symbolisme d’une importance capitale qui a pour but de rappeler comment s’accomplissait l’union de l’homme et de la femme dans le régime théogonique. Cet acte était considéré comme la base même de l’ordre social ; c’était un rite religieux entouré de prescriptions et de consécrations. Dans le langage de l’Eglise, on l’appellera le sacrifice ; c’est la principale cérémonie de toutes les religions ; elle a une haute signification psychologique. Elle remonte à l’époque où la Femme qui dirigeait le culte considérait l’amour comme une élévation spirituelle, alors que, depuis, le même mot amour, profané, a désigné un abaissement sexuel.
La différence de leurs natures est tout entière manifestée dans cette divergence de vues.
La Théogonie avait glorifié la Femme dans sa sexualité qui engendre la spiritualité ; les religions masculines voulurent l’imiter, rendre un culte au sexe mâle, et il en résulta une anarchie morale qui mène à la démence. Là est la cause du mal social.
Voici comment, dans les Ordres secrets, la Cène est résumée :
On fait apporter une table recouverte d’une nappe blanche bordée de rouge, sur laquelle se trouvent du pain, du vin, deux grandes coupes et deux serviettes. Le Très-Sage dit : « Avant de nous quitter, nous allons rompre ensemble le même pain et boire dans la même coupe. Nous cimenterons ainsi davantage les liens qui nous unissent et nous nous aimerons mieux… Approchons-nous, mes Frères, de la table fraternelle. »
Quand tous sont placés, le Très-Sage dit : « Grand Architecte de l’Univers (Déesse-Mère), toi qui pourvois aux besoins de tes enfants, bénis la nourriture que nous allons prendre ; qu’elle soit pour ta plus grande gloire et pour notre satisfaction. »
Prenant le pain et l’élevant : « Que ce pain nous maintienne en force et en santé. »
Prenant les coupes qu’il remplit et les élevant : « Que ce vin, symbole de l’intelligence, élève notre esprit. »
Il rompt le pain en deux parties égales, puis sur ce pain il fait le signe du grade, ce qui équivaut à une bénédiction. Le Chevalier d’éloquence, qui est à la gauche du Très-Sage, exécute sur le pain le contre-signe. Le Très-Sage alors donne les deux morceaux de pain à ses voisins, après y avoir mordu, en disant : « Prenez et mangez. Donnez à manger à ceux qui ont faim. » Après cela, il prend les deux coupes et fait le signe sur le vin, puis il fait passer les deux coupes après y avoir bu quelques gouttes, en disant : « Prenez et buvez. Donnez à boire à ceux qui ont soif. »
Le pain et le vin circulent, chacun y goûtant. Après cela, on fait la chaîne d’union et l’on se donne le baiser fraternel.
La cérémonie de la Cène a lieu obligatoirement après les séances de réception et quelquefois après les tenues solennelles.
Les agapes des Rose-Croix ont lieu une fois par an, dans la nuit du Jeudi Saint au Vendredi Saint. C’est la fête de Pâques. On pourrait dire la fête de la fécondation, qui, dans les temps anciens, n’avait lieu qu’une fois par an pour assurer la reproduction. C’est ce qui est symbolisé par la Pierre cubique, c’est-à-dire le rapprochement des deux triangles qui, unis, font un cube. Ils sont dédoublés toute l’année, c’est-à-dire séparés ; une fois par an seulement, on les réunit dans une grande cérémonie religieuse.
Tout le symbolisme des agapes se rapporte à l’idée d’union. La cérémonie a lieu après la célébration de la Cène.
Lien : https://livresdefemmeslivresdeverites.blogspot.com/2017/07/origines-et-histoire-du-christianisme.html
Cordialement.
J’aimeJ’aime
Bonjour,
Je vous remercie de me proposer cette description du rite rosicrucien. Ce qui me frappe, c’est la valeur « humaine » attribuée au pain et au vin: ils doivent maintenir en force et en santé, élever l’esprit; il faut les partager avec celles et ceux qui ont faim et soif. Intéressant!
Cordialement, Olivier
J’aimeJ’aime