esprit

Plutôt une théologie métissée qu’une théologie pure!

Quand on est théologien, on l’est dans tous les moments de son quotidien! J’ai dû l’être quand une connaissance m’a demandé si j’enseigne une « théologie pure ». Vaste question que celle de la pureté de la théologie…

Est-ce une question de référence? Une théologie pure serait alors celle qui serait « purement biblique », « purement fondée sur les enseignements de l’Église » ou « purement inspirée par l’Esprit ». Si c’est bien ça, alors, une théologie ne peut jamais être pure. Car la Bible n’est ni uniforme ni univoque, les Églises ont profondément évolué au cours du temps et l’Esprit n’inspire pas les mêmes choses ni partout, ni tout le temps, ni à tout le monde. La théologie n’est jamais pure, car ce que nous sommes et ce que nus ne sommes pas, ce que nous voulons ou ne voulons pas vient toujours s’interposer entre nous et la Bible, entre nous et l’Église, entre nous et l’Esprit.

Est-ce une question de méthode? Une théologie pure serait alors celle qui ne sortirait pas de son cadre de référence, qui ne ferait que répéter les textes bibliques ou les doctrines de l’Église ou les inspirations de l’Esprit sans rien ajouter. Si c’est bien ça, alors, une théologie ne peut jamais être pure. Car on n’accède ni à la Bible, ni à la doctrine de l’Église, ni à l’Esprit sans des médiations culturelles, à commencer par des langues qu’il est préférable de comprendre, des contextes historiques qu’il est préférable de connaître, des interprétations dont il est préférable de tenir compte. Elle n’est jamais pure, car nos expériences, nos connaissances et nos ignorances viennent toujours s’interposer entre nous et la Bible, entre nous et l’Église, entre nous et l’Esprit.

S’il ne peut exister de théologie pure, alors la théologie est forcément métissée (j’avais envie d’écrire « bâtarde », mais cela sonne un peu trop péjoratif). Elle est toujours un mélange de confiance et de doute, de foi et d’idolâtrie, de savoir et d’ignorance, de fantasme et de vérité, de culture et d’inculture collectives et personnelle, d’expériences heureuses et malheureuses, de d’espoir et de désespoir… (à vous de compléter la liste). Elle est forcément purement humaine et c’est la seule théologie que nous pouvons faire. Et c’est la meilleure théologie que nous pouvons faire. Et c’est la théologie la plus évangélique que nous pouvons faire.

(Légèrement modifié le 14 mai 2021)

Dieu=main+agneau+colombe

De passage à Vaduz, j’ai vu dans la cathédrale Sankt Florin (voir le site de la paroisse) cet immense chandelier portant le cierge pascal. J’ai été frappé par les trois motifs y figurant.

Un chandelier pascal dans la cathédrale Sankt-Florin à Vaduz, Liechtenstein. De haut en bas, la main de Dieu, l'agneau du Christ et la colombe de l'Esprit
Dom Sankt Florin, Vaduz. Avril 2021 © Patricia Bauer

Ce chandelier pascal confesse une foi trinitaire, un Dieu triple, composé du haut en bas :

  • de Dieu le Père, représenté par une main qui sort des nuages. Pour les initié·es, les deux doigts tendus sont signe de bénédiction. Pour les non-initié·es, la main de Dieu semble vouloir « flinguer » l’agneau et la colombe.
  • De Dieu le Fils, représenté par un agneau qui porte un étendard. Les initié·es y liront la résurrection du Christ sacrifié.
  • de Dieu l’Esprit, représenté par un oiseau coiffé d’une auréole. Les initié·es y reconnaîtront une colombe.

J’avais l’impression que le chandelier indiquait en même temps une hiérarchie dans les personnes divines. Mais, comme l’a relevé un étudiant de mon cours « Bénir, nos mains ont la parole » (découvrir le plan du cours), l’organisation de ces trois symboles est plutôt chronologique. Ils représentent trois ères :

  • Dieu le Père « règne » depuis la création.
  • Dieu le Fils « règne » pendant 33 ans, entre la naissance de Jésus et l’Ascension du Christ.
  • Dieu l’Esprit « règne » depuis la Pentecôte.

Sur la main de Dieu, on peut lire mes articles:

Un Esprit désincarné pour un christianisme incarné

Dans un commentaire à mon dernier article L’Esprit comme désincarnation d’un Dieu incarné (qui entretemps est devenu l’avant-dernier !), Karin craint que je prône un christianisme dualiste, qui séparerait le corps et l’esprit et qui renierait le corps ; elle me demande de développer ma pensée. Je lui dis merci, car elle me permet de dissiper le malentendu que peut créer mon « mini-article » comme elle le qualifie.

Alors, oui, je crois que l’Esprit désincarne un Dieu qui s’est incarné. Mais non, je ne crois pas que cela rende le christianisme désincarné. Et je distingue deux couples de concepts : « incarnation-désincarnation » d’un côté, « corps-esprit » de l’autre.

Incarnation-désincarnation

  • Premier temps : Des êtres humains font l’expérience de Dieu dans la création qu’ils lui attribuent.
  • Deuxième temps : Des êtres humains font l’expérience qu’un de leurs contemporains, un juif du 1er siècle vivant entre Israël et la Palestine, incarne parfaitement ce que Dieu veut et ce que Dieu peut pour elles et pour eux.
  • Troisième temps : Dieu se désincarne de cet homme. D’autres êtres humains dans d’autres lieux à d’autres époques font d’autres expériences de Dieu dans leurs propres réalités.

Mon expérience de Dieu ne se limite donc pas à la lecture des textes qui racontent la naissance, la vie, la mort et la résurrection de Jésus. Tous les événements de mon existence me font faire l’expérience d’un Dieu qui s’incarne ou se réincarne.

Corps-esprit

Je reçois donc mon expérience de Dieu par toutes mes perceptions sensorielles, au travers de ce que j’entends, éprouve, goûte, sens, touche et vois. C’est dire si mon expérience de Dieu implique mon corps. Mais mon expérience de Dieu, je la construis, je la réfléchis avec mes connaissances et mes compétences, avec la somme de toutes mes expériences. C’est dire si mon expérience de Dieu mobilise mon esprit.

Et l’âme dans tout ça ?

Je ne crois pas à son existence. Ou alors seulement comme point de vue chrétien sur qui je suis, corps et esprit.


Sur un thème en partie proche, on peut lire ma contribution dans un collectif en libre-accès : Bauer, O. (2020). Théologie protestante de la santé : Un état de la question. In E. Ansen Zeder, P.-Y. Brandt, & J. Besson (Éds.), Clinique du Sens (p. 61‑66). Éditions des Archives Contemporaines. https://eac.ac/books/9782813003591

L’Esprit comme désincarnation d’un Dieu incarné

Je lis « Conversations avec Dieu » de Neale Donald Walsh, l’un des livres chrétiens qui se vend le mieux et le plus (voir mon article « Les meilleures ventes en christianisme »: février 2021). J’y découvre un concept parfaitement évident mais dont je n’ai jamais été conscient. À ma décharge, je n’ai que 38 ans de théologie universitaire derrière moi!

Si Jésus est l’incarnation de Dieu le Père, l’Esprit en est sa désincarnation (p.46). Brillant!


Titre légèrement modifié à 18h25: « d’un Dieu incarné » au lieu « du Dieu incarné »

Voir aussi: Un Esprit désincarné pour un christianisme incarné

La France laïque, ses présidents, la Providence et les forces de l’esprit

Je continue dans la nécrologie. Après Diego Maradona et Anne Sylvestre, c’est au tour de Valéry Giscard d’Estaing.

Comme me le rappelle les journalistes, à la fin de son « discours d’adieu » à la présidence de la République, le président Valéry Giscard d’Estaing invoquait la Providence. Cette « Providence » m’a rappelé les « forces de l’Esprit » qu’un autre président de la République française avait invoquées dans ses derniers vœux adressés aux Français·es.

« Je souhaite que la providence veille sur la France pour son bonheur, pour son bien et pour sa grandeur. » Valéry Giscard d’Estaing, 19 mai 1981, discours télévisé deux jours avant de quitter le pouvoir

« Je crois aux forces de l’esprit et je ne vous quitterai pas. » François Mitterrand, 31 décembre 1994, derniers vœux aux Français·es

Dans une France qui se prétend laïque, ces formules détonnent un peu. Elles m’apparaissent comme une bénédiction au nom d’un ou de un supérieur·s indéterminé·s. Mais je ne sais pas quoi dire de plus.