France

Football et ramadan

TV5 Monde m’interroge sur un sujet délicat (lire l’article « Ramadan: faut-il interdire les pauses pour rompre le jeûne pendant un match, comme le veut la FFF?  » sur le site de TV5 Monde). La Fédération française de football (FFF) interdit aux arbitres d’interrompre les rencontres pour permettre que des footballeuses et footballeurs musulman·es qui pratiqueraient le jeûne du ramadan puissent se nourrir. Ce qui touche directement la question de la place de la religion dans le sport.

Rappels

  • Premier rappel : En 2017, le football français s’est donné une Charte d’éthique et de déontologie qui précise : « Le Football ne tient nullement compte de considérations politiques, religieuses, idéologiques ou syndicales de ses acteurs. Par leur intégration au sein du monde du Football, ceux-ci acceptent d’adhérer à ce principe et s’engagent à ne jamais utiliser le Football à ces fins-là, chacun devant faire preuve de tolérance à l’égard d’autrui. Un terrain de football, un stade, un gymnase, ne sont pas des lieux d’expression politique ou religieuse. » (article 6)
  • Deuxième rappel : L’islam fait du mois du ramadan un mois de jeûne entre l’aube et le crépuscule. Le Coran indique deux dérogations : « Quiconque d’entre vous est malade ou en voyage, devra jeûner un nombre égal d’autres jours » et « ceux qui ne pourraient le supporter qu’avec grande difficulté, il y a une compensation : nourrir un pauvre. » (Sourate 2 al-Baqarah, 184).

Les faits

La question de l’alimentation des joueuses et des joueurs musulman·es pendant les rencontres de football ne concerne que celles qui commencent avant le crépuscule et se terminent après (éventuellement avant et après l’aube, ce qui doit être très rare). Si la rencontre a lieu en pleine journée, toute alimentation est interdite ; si elle a lieu en pleine nuit, l’alimentation est autorisée. Pour les rencontres en soirées, certain·es arbitre ont introduit de courtes pauses dès que le coucher du soleil pour permettre aux joueuses et aux joueurs de s’alimenter. En réaction, la Commission fédérale des arbitres, instance de la FFF, a envoyé un courrier électronique aux arbitres indiquant :

« Il a été porté à la connaissance de la Fédération des interruptions de matchs suite aux ruptures du jeûne du ramadan. Ces interruptions ne respectent pas les dispositions des Statuts de la FFF. »

Mon avis

Entre « ne tenir nullement compte » et « faire preuve de tolérance », la FFF a choisi son camp. Elle refuse d’accommoder les joueuses et les joueurs musulman·es. Ce qui m’étonne, c’est que l’interdiction ne découle pas de considérations liées au jeu. On pourrait argumenter que ces pauses nuisent à la qualité d’une rencontre. Ce serait peu crédible, mais ce pourrait être un argument. Mais la FFF se place sur le plan politique. Elle invoque ses Statuts :

« La Fédération et ses organes déconcentrés, en tant qu’organes chargés d’une mission de service public déléguée par l’État, défendent les valeurs fondamentales de la République française et doivent mettre en œuvre les moyens permettant d’empêcher toute discrimination ou atteinte à la dignité d’une personne, en raison notamment de son sexe, de son orientation sexuelle, de son origine ethnique, de sa condition sociale, de son apparence physique, de ses convictions ou opinions. » (titre 1, section 1, article 1)

J’avoue que j’ai de la difficulté à comprendre comment un article empêchant toute discrimination en vient à pénaliser des footballeuses et des footballeurs musulman·es qui demande seulement que le football tienne compte de leur religion.


P.S. On m’apprend que la Premier League anglaise accepte ces mini pauses-repas. Le système peut donc rester humain. Et je découvre qu’en Italie, Luca Ranieri, joueur de la Fiorentina, a simulé une blessure pour donner à son coéquipier Soufiane Amrabat le temps de s’alimenter. L’être humain sait se montrer plus malin que le système.

Lettre à François, pape à Rome à propos de la finale de la coupe du monde de football

Monsieur le pape, cher François,

J’apprends par les médias que vous hésitez à regarder la finale de la coupe du monde de football.

Vous seriez partagé entre votre passion du football avec le plaisir de voir votre pays remporter – peut-être – sa troisième étoile et votre conscience face aux atteintes aux personnes et à la planète que cause cet événement démesuré.

Je n’ai pas de conseil à vous donner, mais une suggestion à vous faire.

Projetez la rencontre dans la basilique Saint-Pierre! Invitez du public! Et profitez de l’occasion pour délivrer un évangile hyperspécialisé avant la rencontre, pendant la mi-temps et après la remise de la coupe!

Vous pourriez parler de fraternité, rappeler qu’on ne joue pas contre une autre équipe mais avec elle. Vous pourriez dénoncer la FIFA comme une nouvelle Babylone. Et, suivant le déroulement de la partie, vous pourriez évoquer la possibilité, peut-être la réalité d’un miracle ou annoncer l’avénement d’un Messi. Enfin aux partisan·es des champions, vous pourriez redire que la vraie couronne est au ciel et aux autres que Dieu est toujours du côté des vaincus.

Avec mon amour en Christ.

Quel rite pour les couples après le mariage pour toutes et tous? Les exemples français et canadien

Pour compléter mon article d’hier (Quel rite pour les couples après le mariage pour toutes et tous ?), j’ai eu envie de vérifier quel rite pour les couples proposent deux Églises réformées dans des pays qui ont déjà adopté un mariage pour toutes et tous.

L’Église protestante unie de France propose aux couples de même sexe, non pas une « célébration du mariage au temple » mais une « bénédiction des couples mariés de même sexe » (voir la page).

L’Église unie du Canada propose le mariage (je rappelle qu’au Canada, les pasteur·es marient civilement au nom de l’État) à tous les couples, dont les « couples formés de personne de même sexe » (voir la page).

Dois-je ajouter que c’est la proposition de l’Église unie du Canada qui me semble la seule conforme à l’Évangile ? Et que c’est celle que doivent adopter les Églises réformées en Suisse – et en France ! – après l’adoption du mariage pour toutes et tous ?

Carte d’identité des protestant·es français·es

Vu le succès de ma « Carte d’identité des protestant·es suisses », je propose de dresser celle des protestant·es français·es. Les chiffres proviennent d’une Enquête auprès des protestants réalisée par l’Institut de sondage Ipsos pour l’hebdomadaire protestant Réforme et la Fédération protestante de France. On verra que les intérêts sont différents selon les pays et selon celles et ceux qui « commandent » l’enquête.

Réalisée entre le 5 septembre et le 3 octobre 2017, elle porte sur un échantillon de « 500 personnes âgées de 15 ans et plus se déclarant de confession protestante ou évangélique ». Je me concentre sur les protestant·es « non-évangéliques ».

Je recopie les chiffres bruts en les classant dans l’ordre décroissant.

« Profil des répondants »

  • 53 % des protestant·es sont des hommes. 47 % des femmes.
  • 56 % des protestant·es ont entre 34-64 ans. 25 % ont 65 ans et plus. 19 % ont moins de 35 ans.
  • 35 % des protestant·es sont « retraité ». 20 % « employé ». 13 % « cadre supérieur ». 13 % « profession intermédiaire ». 9 % « ouvrier ». 5 % « artisan, commerçant, chef d’entreprise ». 1 % « inactif ».
  • Politiquement, 21 % des protestant·es ne sont proches d’aucun parti. 20 % sont proches des Républicains. 18 % du Parti socialiste/Europe Écologie les Verts. 17 % de La République en Marche/MoDem. 12 % du Front National. 10 % de la France Insoumise/Parti Communiste.
  • 87 % des protestant·es sont né·es en France métropolitaine. 12 % dans un autre pays. 1 % en France d’outre-mer.

« Rapport à la religion »

  • 80 % des protestant·es sont « né·es dans une famille protestante ». 20 % sont « devenu·es protestant au cours de son adolescence ou à l’âge adulte ».
  • Parmi les converti·es, 70 % viennent du catholicisme. 26 % n’avaient pas de religion. 2 % viennent « de la religion musulmane ». 1 % « de la religion juive ». 1 % « d’une autre religion ».
  • 74 % des protestant·es disent « qu’il faut poursuivre le rapprochement actuel entre les confessions chrétiennes sans pour autant chercher à les réunir ». 19 % « qu’il ne faut pas aller plus loin dans le rapprochement entre les confessions chrétiennes ». 7 % « qu’il faut désormais réunir les confessions chrétiennes en une seule église ».

« Niveau de pratique »

  • « D’habitude », 57 % des protestant·es ne vont jamais à un « office religieux » ou « uniquement pour les cérémonies, mariages, enterrements… ». 28 % y vont « une ou deux fois par mois » ou « de temps en temps, aux grandes fêtes ». 15 % « plusieurs fois par semaine » ou « une fois par semaine ».
  • « Chez elles ou eux », 64 % des protestant·es ne lisent jamais la Bible ou « plus rarement ». 20 % la lisent « au moins une fois par semaine » et « quelques fois par an ». 16 % la lisent « au moins une fois par semaine » ou « plusieurs fois par mois ».
  • 21 % des protestant·es appartiennent à une « association caritative ».

« Grands enjeux politiques »

  • Les protestant·es sont « d’accord ou plutôt d’accord » avec les affirmations suivantes à…
90 %« Il faudrait faire davantage pour lutter contre le réchauffement climatique »
79 %« Dans certaines circonstances, chacun devrait pouvoir choisir le moment de sa mort »
64 %« L’ouverture des droits au mariage aux couples homosexuels est une bonne chose »
63 %« Il y a trop d’immigrés en France »
60 %« C’est un devoir pour la France d’accueillir les réfugiés des pays en guerre »
60 %« Les couples homosexuels devraient pouvoir être bénis par les Églises »
58 %« En France, la laïcité prend trop souvent la forme d’un rejet des religions de la vie sociale »
57 %« Pour relancer la croissance, il faut limiter au maximum le rôle de l’État dans l’économie française et donner aux entreprises le plus de liberté possible »
56 %« À terme, il faut abandonner la production d’énergie nucléaire en France »
54 %« Les chômeurs pourraient trouver du travail s’ils le voulaient vraiment »
51 %« La Procréation Médicalement Assistée devrait être étendue aux couples de femmes »
46 %« La Gestation Pour Autrui (GPA) devrait être autorisée en France »

Lire aussi: Carte d’identité des protestant·es suisses

La France laïque, ses présidents, la Providence et les forces de l’esprit

Je continue dans la nécrologie. Après Diego Maradona et Anne Sylvestre, c’est au tour de Valéry Giscard d’Estaing.

Comme me le rappelle les journalistes, à la fin de son « discours d’adieu » à la présidence de la République, le président Valéry Giscard d’Estaing invoquait la Providence. Cette « Providence » m’a rappelé les « forces de l’Esprit » qu’un autre président de la République française avait invoquées dans ses derniers vœux adressés aux Français·es.

« Je souhaite que la providence veille sur la France pour son bonheur, pour son bien et pour sa grandeur. » Valéry Giscard d’Estaing, 19 mai 1981, discours télévisé deux jours avant de quitter le pouvoir

« Je crois aux forces de l’esprit et je ne vous quitterai pas. » François Mitterrand, 31 décembre 1994, derniers vœux aux Français·es

Dans une France qui se prétend laïque, ces formules détonnent un peu. Elles m’apparaissent comme une bénédiction au nom d’un ou de un supérieur·s indéterminé·s. Mais je ne sais pas quoi dire de plus.

Le salaire des pasteur·es au 21e siècle: trop ou trop peu?

Mon article d’hier rapportant trois anecdotes historiques sur le salaire des pasteurs m’a donné l’idée de proposer un état des lieux sur les salaires des pasteur·es au 21e siècle. La chose n’est pas facile car toutes les Églises n’offrent pas ou pas aisément cette information. Avec un peu de persévérance et de savoir-faire, j’ai trouvé des chiffres fiables – et publics! – pour cinq Églises réformées francophones (Suisse, France et Canada) et pour l’Église catholique en Suisse romande. Les montants correspondent aux salaires mensuels.

J’intégrerai volontiers les salaires pastoraux que l’on m’indiquera.

Attention, ces chiffres sont à comparer avec modération et quelques précautions:

  1. Parce que le temps de travail varie d’un pays à l’autre;
  2. Parce qu’au salaire en argent, s’ajoutent parfois des avantages en nature: logement, voiture de fonction, etc.;
  3. Parce que les revenus effectifs dépendent des cotisations sociales, des assurances de santé, des taux d’imposition, des allocations familiales, etc. qui diffèrent selon les pays;
  4. Parce que le coût de la vie et partant le pouvoir d’achat varient fortement entre les pays concernés.

Sources: