homosexualité

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Invité par l’Église évangélique réformée du canton de Vaud à participer à un débat à propos de l’éventuel ouverture de la bénédiction à d’autres mariages que celui d’un home et d’une femme, j’ai présenté ce texte.


71, c’est le nombre de bénédictions de couples mariés qui ont été célébrées dans l’Église évangélique réformée du canton de Vaud, en 2020, ce qui représente 0,34 % des mariages célébrés dans le canton de Vaud cette année-là.

  • 71 bénédictions de mariage. Chaque ministre n’a donc pas eu la joie d’en célébrer au moins un, chaque temple n’a pas eu la joie d’en accueillir au moins un.
  • 0,34 %, seulement 0,34 %, ce qui dit toute l’insignifiance et l’impertinence de notre bénédiction de mariage. Elle n’a de sens et de pertinence que pour 0,34 % des couples qui se marient dans le canton de Vaud.

Que faire alors ?

Nous pouvons choisir de ne rien changer. Je suis un très mauvais prophète, mais parti·es comme nous le sommes, au mieux dans dix ans, au pire dans cinq ans, notre Église ne bénira plus qu’un seul mariage par an et ce sera celui d’une pasteur et d’un diacre.

Mais nous pouvons aussi choisir de réagir.

Nous pouvons alors choisir de durcir nos positions et sélectionner quels couples civilement mariés méritent d’être bénis. Nous pouvons nous contenter d’exclure de la bénédiction les couples de même sexe. Mais nous pouvons aussi nous montrer plus exigeant·es. Nous pouvons obéir à la Bible, à l’apôtre Paul et refuser la bénédiction aux conjoint·es injustes, à « ceux qui se livrent à l’inconduite sexuelle, à l’idolâtrie, à l’adultère, aux hommes qui couchent avec des hommes [mais pas aux femmes qui couchent avec des femmes], aux voleurs, aux gens avides, aux ivrognes, à ceux qui s’adonnent aux insultes ou à la rapacité » (1 Corinthiens 6, 9-10). Je suis un très mauvais prophète, mais je crains qu’il ne reste plus beaucoup de candidat·es à une telle bénédiction. Trouverons-nous dans le canton de Vaud 142 personnes répondant à ces critères pour pouvoir bénir 71 mariages ?

Nous pouvons aussi choisir de dire du bien et donc de faire du bien à tous les couples civilement mariés qui le demandent. Civilement mariés, donc depuis le 1er juillet 2022, dire du bien et faire du bien aux couples mariés où s’unissent une femme et un homme, aux couples mariés où s’unissent deux femmes aux couples mariés où s’unissent deux hommes. Sans qu’importent leurs préférences amoureuses, nous pouvons choisir de bénir deux conjoint·es qui ont l’humilité de requérir l’aide de Dieu dans leur vie de couple. Sans qu’importent leurs préférences amoureuses, nous pouvons bénir les couples qui nous disent qu’une bénédiction réformée et vaudoise a un sens et une pertinence pour leur vie à deux. J’espère être un mauvais prophète, mais je ne pense pas qu’accepter de bénir tous les couples mariés suffise à renverser la tendance. Je doute fortement qu’en 2050, notre Église bénisse 1998 couples mariés comme elle l’a fait en 1970. Mais je ne suis pas trop mauvais théologien. Et je crois que c’est en bénissant tous les couples mariés peu importe leurs préférences amoureuses que nous sommes évangéliques.

Aider saint Augustin à se montrer moins sexiste !

Cette année, ma lecture d’été, c’est la Cité de Dieu d’Augustin (1308 pages dans l’édition de la Pléiade ! Heureusement que l’été est long).

Le théologien chrétien nord-africain (il vivait à Hippone, actuellement Annaba en Algérie) consacre ses premiers « Livres » à dénigrer une religion romaine traditionnelle qu’il juge absurde. Il y pose une question ironique qui a déclenché mon avertisseur de sexisme (celui-ci devient de plus en plus sensible).

« À moins qu’il ne soit licite pour les dieux de coucher avec des femmes, et illicite pour les hommes d’en faire autant avec des déesses ? » Augustin, La Cité de Dieu, livre III, III. Gallimard, La Pléiade 2015, p. 93

La question est sexiste à deux niveaux. Augustin dénonce un premier sexisme, une conception sexiste de la religion où l’accouplement d’un dieu avec une femme est permis, tandis que l’accouplement d’une déesse avec un homme est interdit. Mais la dénonciation d’Augustin est elle-même sexiste, puis ce sont toujours les mâles, dieux ou hommes, qui couchent avec des femelles, femmes ou déesses. Pour respecter l’égalité entre les femmes et les hommes, ainsi qu’entre les déesses et les dieux, il aurait fallu écrire : « À moins qu’il ne soit licite pour les dieux de coucher avec des femmes, et illicite pour les déesses d’en faire autant avec des hommes ? »

Mais la question telle qu’Augustin la formule donne aux dieux et aux hommes une liberté de coucher, qu’il refuse au déesses et aux femmes. Pour donner la même liberté aux femmes et aux hommes, il aurait fallu écrire : « À moins qu’il ne soit licite pour les femmes de coucher avec des dieux, et illicite pour les hommes de coucher avec des déesses ? ».

Mais ainsi corrigée, la question pose encore un problème d’inclusivité. Car elle n’évoque que des relations hétérosexuelles : les femmes ne peuvent coucher qu’avec les dieux, les hommes seulement avec les déesses. Mais les préférences sexuelles étant diverses, il aurait fallu écrire : « À moins qu’il ne soit licite pour les femmes de coucher avec des déesses et des dieux, et illicite pour les hommes de coucher avec des déesses et des dieux ? ».

Mais même reformulée ainsi, la question n’inclut toujours pas qui ne se reconnaît ni dans « les femmes » ni dans « les hommes » (et ni dans « les déesses » ni dans « les dieux », ce qui me semble un problème moins important). Là, j’avoue mes limites et je vous laisse me faire des propositions.

Évidemment, pour Augustin la question n’est que rhétorique puisque la théologie chrétienne ne conçoit pas qu’un être humain puisse coucher avec Dieu et qu’elle ne reconnaît pas de déesse. Cependant, par honnêteté intellectuelle, il faut quand-même rappeler (et Augustin le fait) que la Bible juive raconte comment les fils des dieux ont couché avec les filles des êtres humains (sexisme un jour, sexisme toujours) pour engendrer des géants :

« Quand les êtres humains commencèrent à se multiplier sur la terre et que des filles leur naquirent, les fils des dieux constatèrent que ces filles étaient bien jolies, et ils en choisirent pour les épouser. Alors le Seigneur se dit : “Je ne peux pas laisser indéfiniment mon souffle de vie aux humains ; ils ne sont après tout que des êtres mortels. Désormais ils ne vivront pas plus de 120 ans.” C’était l’époque où il y avait des géants sur la terre – il en resta même plus tard. Ceux-ci étaient les héros de l’Antiquité, aux noms célèbres ; ils étaient nés de l’union des fils des dieux avec les filles des êtres humains. » La Bible, livre de la Genèse, chapitre 6, versets 1 à 4 (traduction de la Nouvelle Bible en français courant)


Correction le 10 juillet 2021 selon le commentaire de Laurence Feller: Hippone se situe dans l’actuelle Algérie et non pas en Tunisie.

Quel rite pour les couples après le mariage pour toutes et tous? Les exemples français et canadien

Pour compléter mon article d’hier (Quel rite pour les couples après le mariage pour toutes et tous ?), j’ai eu envie de vérifier quel rite pour les couples proposent deux Églises réformées dans des pays qui ont déjà adopté un mariage pour toutes et tous.

L’Église protestante unie de France propose aux couples de même sexe, non pas une « célébration du mariage au temple » mais une « bénédiction des couples mariés de même sexe » (voir la page).

L’Église unie du Canada propose le mariage (je rappelle qu’au Canada, les pasteur·es marient civilement au nom de l’État) à tous les couples, dont les « couples formés de personne de même sexe » (voir la page).

Dois-je ajouter que c’est la proposition de l’Église unie du Canada qui me semble la seule conforme à l’Évangile ? Et que c’est celle que doivent adopter les Églises réformées en Suisse – et en France ! – après l’adoption du mariage pour toutes et tous ?

Quel rite pour les couples après le mariage pour toutes et tous ?

Comme un bon joueur d’échec, je pense plusieurs coups en avance.

Admettons que le 26 septembre, le peuple suisse vote « oui » au mariage pour toutes et tous. Qu’adviendra-t-il des rites de bénédiction que quatre Églises réformées de Suisse romande (Berne, Fribourg, Vaud et Genève) ont mis en place pour les couples de même sexe à qui le mariage était jusque-là interdit ? Je vois deux possibilités :

  1. Soit ces Églises reviennent à leur ancienne pratique. Elles vont alors supprimer ces rites de bénédiction et recommencer à ne bénir que des couples mariés (homo- et hétérosexuels) dans ce que l’on appelle improprement des « mariages religieux » ou des « mariages à l’église ».
  2. Soit ces Églises conservent leur nouvelle pratique. Elles vont alors maintenir ces rites de bénédiction. Pour éviter toute discrimination, elles vont les ouvrir à tous les couples homo- et hétérosexuels.

J’évalue ainsi ces deux possibilités :

  1. La première possibilité me semble mauvaise. Car elle reviendrait à ne plus reconnaître et accueillir rituellement et liturgiquement une forme de conjugalité hors ou sans mariage, largement répandue et tout à fait respectable. Ce serait d’autant moins compréhensible que, pour les couples homosexuels, les Églises réformées l’ont reconnue et accueillie pendant plusieurs années.
  2. La seconde possibilité me semble la bonne. Car elle revient à reconnaître et accueillir tous les couples, sans s’intéresser à leur statut légal (mariés, pacsés, concubins, libres, etc.). Car un rite public de bénédiction de couple permet à chaque partenaire d’exprimer son amour, de reconnaître ses limites et de demander à Dieu qu’il l’aide. Car un rite de bénédiction permet au couple et à son entourage d’expérimenter la bienveillance de Dieu.

Admettons que les Églises réformées choisissent la seconde possibilité. Elles devront convaincre l’État helvétique que la bénédiction d’un couple n’est pas un mariage religieux et qu’elle ne contrevient pas à l’article 97, alinéa 3 du Code civil suisse : « Le mariage religieux ne peut précéder le mariage civil. » Mais elles pourront se prévaloir du fait que pendant plusieurs années, elles ont béni des couples non mariés, sans engendrer aucun malentendu ni encourager aucune confusion.

Je suis évidemment contre ce qu’on appelle faussement des « thérapies de conversion »

Sollicité par le média suisse en ligne Heidi.news (« Vers une interdiction des dévastatrices et trompeuses thérapies de conversion« ), j’ai dû réfléchir sur les prétendues « thérapies de conversion ». Voici ce que je pense en penser.

Quel regard portez-vous sur les thérapies de conversion?

Je suis bien évidemment totalement opposé à ce que certains milieux chrétiens appellent faussement « thérapie de conversion ». Car parler de « thérapie de conversion » sous-entend qu’une préférence amoureuse – qui n’est pas seulement sexuelle et qui ne se réduit donc pas à l’homosexualité – pour une personne du même sexe ou du même genre serait une maladie qu’il faudrait soigner (d’où « thérapie ») et qu’elle serait en même temps un choix qu’il serait possible de changer (d’où « conversion »). Mais ne me demandez pas comment une maladie pourrait être choisie!

Ces prétendues « thérapies de conversion » cherchent en fait à arracher le désir d’une personne qu’elle réduise à son homosexualité pour lui imposer de force une forme unique d’amour conjugal. Pour le faire, elles utilisent la manipulation psychologique et même la contrainte physique si nécessaire.

Théologiquement, comment jugez-vous l’homosexualité?

Ma compréhension de l’Évangile me laisse fondamentalement croire que chacun·e est libre d’aimer qui elle ou il veut, de vivre librement son amour quand la, le ou les partenaire·s est ou sont majeur·es et quand l’amour est partagé. Je crois aussi  chacun·e doit pouvoir afficher sans crainte cet amour publiquement. Je crois encore que chacun·e n’a de compte à rendre qu’à son, sa ou ses partenaires (lire sur mon blogue mon article « (Im)précis d’éthique sexuelle chrétienne »). Je crois enfin que Dieu inspire toutes les amours.

Quels sont les différents points de vue en Suisse à travers les religions majoritaires? Comment expliquer par exemple les spécificités de l’Église réformée?

Il existe une ligne de partage qui passe par l’amour jugé légitime : qui a-t-on le droit d’aimer? Qui a le droit de former un couple, d’avoir des enfants? Quelle liberté me donnent ou me laissent les communautés auxquelles j’appartiens, les autorités que je respecte? Quelles interdictions, quelles limites veulent-elles m’imposer? Cette ligne de démarcation traverse aussi bien les religions que les partis politiques, les fédérations sportives ou l’armée. Elle sépare un courant exclusif qui interdit ou punit tout couple qui n’est pas formé d’un homme et d’une femme et un courant inclusif qui tolère, admet ou reconnaît les couples formés de deux personnes de même sexe ou de même genre.

Dans le christianisme, et plus spécifiquement dans le protestantisme, les Églises réformées et luthériennes – au moins en Occident – ont en général choisi le courant inclusif – non sans peine ni sans opposition –. Elles admettent théologiquement plusieurs formes de conjugalité – et soyons clair plusieurs formes de sexualité – . Elles accueillent des paroissien·nes et engagent des pasteur·es peu importe que leurs préférences amoureuses aille à une personne du même et/ou d’un autre sexe et/ou d’un autre genre. Mais elles vont encore plus loin dans l’inclusion.

En 2003, C’est l’Église (protestante) unie du Canada qui a demandé au gouvernement canadien de reconnaître le mariage entre conjoint·es de même sexe. Et depuis 2005, les couples de même sexe peuvent s’y marier (lire sur mon blogue mon article « Le mariage de couples de même sexe vu depuis le Québec et l’Église unie du Canada ».

En Europe, où les Églises ne peuvent bénir que des couples déjà reconnus l’État – le « mariage à l’Église » n’y existe donc pas –, les Églises réformées et luthériennes font souvent le choix de bénir tous les couples « civilement officialisés » – pour peu qu’ils le souhaitent évidemment –. Ainsi en France, l’Église protestante unie bénit les « mariages pour tou·tes » depuis 2015. En Suisse romande, comme je l’explique dans mon livre 500 ans de Suisse romande protestante (Alphil, 2020), l’Église réformée du canton de Berne bénit des couples de même sexe depuis 1995, celle de Fribourg depuis 1998 et celle de Genève depuis 2019. L’Église réformée évangélique du canton Vaud célèbre les partenariats enregistrés – y compris ceux de couples de même sexe – depuis 2012. Et l’assemblée des délégué·es des Églises réformées de Suisse (l’Église évangélique réformée de Suisse) s’est prononcé en 2019 en faveur de l’ouverture du mariage civil aux couples de même sexe.

Évidemment, les ou ces Églises réformées et luthériennes ne pratiquent pas de « thérapies de conversion », puisque elles sont convaincues qu’une préférence amoureuse pour une personne du même sexe ou du même genre n’est pas une maladie, ni un choix. Elle est une manière d’aimer que Dieu a déjà approuvée.

Encore l’amour, encore la haine

À propos de mon dernier article « Que trouvez-vous le plus choquant, l’amour ou la haine?« , Béréenne attitude me reproche de fermer la question et de l’enfermer dans un « soit… soit… » dont elle ne veut pas (voir les commentaires de l’article).

Quand je lui réponds que je me sens le droit de condamner les propos haineux et que j’utilise une métaphore biblique – à trop regarder ce qu’ils et elles considèrent comme une paille, certaines lectrices et certains lecteurs du magazine Réformés n’ont pas vu la poutre – elle me demande: « Et pourquoi pas deux poutres? ».

Mais, parce qu’il n’y a pas deux poutres. Parce que les deux éléments ne sont pas symétriques ni équivalents. La photographie montre de l’amour et qu’on trouve cet amour légitime ou non ne change rien a fait que c’est d’amour qu’il s’agit. La lettre de la lectrice montre de la haine.

Voilà comment je vois les choses.


Référence biblique:

« Ne jugez pas, afin de ne pas être jugés. Car c’est avec le jugement par lequel vous jugez qu’on vous jugera, et c’est avec la mesure à laquelle vous mesurez qu’on mesurera pour vous. Pourquoi regardes-tu la paille qui est dans l’œil de ton frère, et ne remarques-tu pas la poutre qui est dans ton œil? Ou bien comment peux-tu dire à ton frère: «Laisse-moi ôter la paille de ton œil», alors que dans ton œil il y a une poutre? Hypocrite, ôte d’abord la poutre de ton œil! Alors tu verras comment ôter la paille de l’œil de ton frère. » La Bible, évangile attribué à Matthieu chapitre 7, versets 1 à 5.