laïcité

Noël, entre folklore et christianisme

Lors du troisième séminaire de théologie pratique pour les étudiant-e-s dont je dirige la thèse ou le doctorat, j’ai proposé aux étudiant-e-s de réfléchir à partir d’un court texte d’André Gounelle paru sur le site de la revue protestante libérale française Évangile & Liberté «Crèche, laïcité et religion» (il vous faut le lire, mais je peux le résumer en une seule phrase: la crèche relève du folklore et non pas du christianisme).

Après que nous avons lu l’article, chaque étudiant-e a dû choisir trois «éléments» qu’ils/elles associent à Noël et venir les écrire dans un tableau à deux colonnes intitulées «christianisme» et «folklore». En voici le résultat:

«Christianisme

Incarnation. Saint-Nicolas. L’enfant Jésus. Crèche. Jésus = lumière du monde. Ange sur le haut du sapin. Ange. Naissance.

Folklore

Sapin. Père Noël. Chocolat. Couleur rouge. Décoration de Noël – Lumières. Le bébé Jésus «ne pleure pas». Partage (nourriture). Culte de Noël avec l’Arbre de Noël. Les mages.»

Les étudiant-e-s ont ensuite ajouté leurs commentaires:

  • Il y a plus d’idées du côté du folklore [commentaire: c’est vrai, mais de peu; un seul élément supplémentaire], ce qui pourrait révéler une certaine frustration théologique.
  • Il est important que la crèche figure aussi du côté «christianisme».
  • Le chocolat est sacré [commentaire: boutade ou conviction?]
  • La ligne n’est pas très distincte entre les deux (cf. Saint-Nicolas et Père Noël).

Et les étudiant-e-s ont débattu autour de la question de savoir si les mages ont leur place dans le christianisme. Non, parce qu’ils occupent une place très marginale dans les récits de Noël. Oui, parce qu’ils expriment l’universalité du message de Noël.

En conclusion, «nous» [en communauté, mais certainement ni toutes et tous, ni toutes et tous sur tous ces points], nous avons:

  1. Apprécié que l’auteur dépoussière le christianisme de ses images vieillottes et en présente une version crédible pour des hommes et des femmes du 21ème siècle.
  2. Regretté l’utilisation du mot «folklore» qui conduit forcément à déprécier les éléments que le terme qualifie. Quelle serait la perception de ces éléments si l’auteur avait par exemple évoqué des éléments plutôt liés aux «traditions»?
  3. Reconnu qu’il existe aussi des paroles qui relèvent du folklore, comme les formules de bénédiction.

Sous la responsabilité d’Olivier Bauer, grâce aux doctorant-e-s Dominique Brunet, John Jomon Kalladanthiyil, Petera Toloantenaina et Jean-Daniel Williams; aux maîtrisant-e-s Christian Kelly Andriamitantsoa, Léontès Bery, Dieudonné Grodya et Marie-Odile Lantoarisoa.

Jouer tête nue? Hockey et laïcité

Mon collègue Benoît Melançon (l’auteur d’un ouvrage remarquable et remarqué: Langue de puck) me signale une lettre de lecteur parue dans La Presse de ce matin: « La LNH et les signes religieux. »

L’auteur, Pierre Proulx, y suggère d’appliquer aux signes religieux ostentatoires la même méthode qui a été appliquée pour le port du casque de hockey: laisser celles et ceux qui en portent aujourd’hui les porter (comme la LNH a laissé les anciens joueurs finir leur carrière tête nue) et obliger les « nouveaux arrivants » (c’est l’expression qu’utilise Pierre Proulx) d’abandonner les signes ostentatoires de leur religion (comme la LNH a obligé les jeunes joueurs et les nouveaux venus à porter un casque). La suggestion me paraît troublante à deux égards.

  • D’abord, l’auteur postule que les signes sur religieux sont le fait des seuls « nouveaux arrivants ». Mais quid d’une musulmane, d’un sikh ou d’un juif qui naît aujourd’hui au Québec? Dans vingt ans sera-t-elle ou il autorisé à porter des signes religieux?
  • Ensuite, je comprends le parallèle entre ce qui doit apparaître à l’auteur comme deux formes d’irrationalité: ne pas porter de casque quand on joue au hockey et afficher des signes religieux quand on vit au Québec. Mais je reste songeur sur la valeur profonde de cette comparaison. Car les situations sont exactement inverses. Du côté du hockey, la LNH a exigé des joueurs qu’ils se couvrent la tête. Du côté du Québec, on leur demande(rait) qu’ils-elles la découvrent. Mais si la religion apparaît plutôt comme une protection illusoire, c’est sortir tête nue qui représente(rait) alors une marque de courage.

Signes chrétiens ostentatoires à l’Université de Montréal

On trouve sur le campus de l’Université de Montréal des traces des liens étroits qui ont longtemps lié l’Université avec l’Église catholique-romaine. Dans le cadre du cours « REL1220 Introduction au christianisme« , j’ai demandé aux étudiant-e-s d’en repérer quelques unes et de les photographier. Avec leurs images, Sylvain Campeau et moi-même avons créé une galerie virtuelle que je vous suggère de visiter sur le site de la Faculté de théologie et de sciences des religions. Et avec mes propres images, j’ai céré la galerie virtuelle que je vous présente ici.
Nous avons retrouvé la trace du christianisme:

  • dans la devise de l’Université de Montréal: « Fide splendet et scientia » (« elle brille par la foi et la science »);
  • dans les noms de certains pavillons (Sainte Marguerite d’Youville fut la fondatrice des Sœurs de la Charité de Montréal, Frère Marie-Victorin fut un religieux botaniste et Lionel Groulx un chanoine historien);
  • dans certains détails architecturaux: des croix (sur une tourelle du pavillon Roger-Gaudry et sur les façades nord des Facultés de musique et de l’aménagement), une grande dédicace à « Jésus et Marie, ma force et ma gloire » au-dessus du portail sud du pavillon Marie-Victorin;
  • dans certaines œuvres d’arts, comme cette statue de Jeanne d’Arc, près du pavillon Claire McNicoll.

Toutes ces traces sont mortes, en quelque sorte. Elles témoignent d’un passé, réel, mais aujourd’hui révolu. Il en va autrement d’autres images qui sont les signes d’une relation toujours actuelle au christianisme, les traces vives que représentent:

  • l’existence d’une Faculté de théologie et de sciences des religions, dans laquelle le christianisme forme encore le principal champ d’études;
  • les Bibles que renferme la Bibliothèque des Lettres et des Sciences Humaines;
  • ou, dans une relation plus lâche et plus complexe, le Centre Étudiant Benoît-Lacroix, « Communauté catholique d’étudiants et d’étudiantes universitaires affiliée à l’Université de Montréal ».

Bien-sûr, il ne s’agit là que de traces. Mais elles prennent évidemment un sens particulier dans le contexte du débat autour de la laïcité comme valeur québécoise.

Bien-sûr, ce ne sont là que quelques traces. À coup sur, il en existe d’autres. Rien ne vous empêche d’ailleurs de photographier celles que vous avez repérées et de m’envoyer vos photographies. Elle seront ajoutées à la galerie virtuelle figurant sur le site de la Faculté de théologie et de sciences des religions.

En attendant, vous pouvez regarder mes photographies ici sur mon blogue et celles des étudiant-e-s sur le site de la Faculté de théologie et de sciences des religions.

Bonnes visites!

Les universitaires dispensés de Charte au Québec

Le saviez-vous? Dans son article 11, la « Charte affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité religieuse de l’État ainsi que d’égalité entre les femmes et les hommes et encadrant les demandes d’accommodement » indique que:

« Ces devoirs et cette restriction ne s’appliquent pas non plus à une personne chargée de dispenser un enseignement de nature religieuse dans un établissement d’enseignement de niveau universitaire »

La formulation « enseignement de nature religieuse » me semble au moins ambigüe, probablement incorrecte. Mon enseignement de la théologie pratique est de nature universitaire. Il porte sur un sujet religieux. Je ne devrais donc pas être autorisé à arborer des signes religieux ostentatoires que je ne porte de toutes façons pas.

P.S. Les doyens des Facultés de théologie et de sciences des religions des Universités Concordia, McGill, Sherbrooke et de Montréal (Laval à préféré rester à l’écart) contestent d’ailleurs cette exception au nom de l’égalité de traitement.

France Queré: « On peut renoncer à tout signe extérieur de la foi »

À propos des signes religieux, j’ai trouvé une citation pertinente et percutante, écrite par la théologienne protestante France Queré (1936-1995):

« On peut renoncer à tout signe extérieur de la foi. Cela n’a pas importance si la charité demeure, et nomme, dans son dénuement, un Dieu plus pur que le plus beau des jours. »
Quéré, France. 1974. La foi peut-elle se transmettre?. Paris: Centre Jean-Bart : Éditions du Cerf: 70

À méditer…

Signes religieux. Un avis protestant

Dans tout ce qui a été dit ou écrit à propos de la Charte des valeurs québécoises, j’avais négligé les propos de Charles Taylor reportés par Katia Gagnon dans la Presse du 10 septembre. Il y disait notamment:

« Le gouvernement sera très ouvert au patrimonial pour les Québécois, mais très fermé pour les autres religions. C’est extrêmement injuste. C’est une neutralité truquée. C’est du deux poids, deux mesures », s’exclame le philosophe.
« C’est une vision ethnocentrique de la religion. Les religions ne sont pas toutes les calques de la religion catholique. Si on est sikh, c’est l’essence même de la religion que de porter un turban. Du point de vue d’un sikh, l’État ne sera pas neutre. »

Une déclaration venant de l’Église unie du Canada par le Synode Montréal Ottawa m’a rappelé les propos du philosophe. Prenant position à propos de la charte, le Synode a rédigé une lettre ouverte à Pauline Marois où il affirmait notamment:

« Nous constatons la douleur de nos voisins et de nos amis qui se sentent ostracisés sur la place publique à la suite des restrictions proposées quant au port de symboles religieux. Nous voulons que ces femmes et ces hommes se sentent libres de vivre leur foi avec intégrité non seulement en privé dans leurs foyers mais aussi dans les rues et les milieux de travail, citoyens égaux de notre province et de notre pays. »

Charles Taylor a totalement raison. À un détail près. Il aurait dû dire « les religions ne sont pas toutes les calques du protestantisme » plutôt que du catholicisme. Car la neutralité est effectivement truquée, mais c’est en faveur des Protestants qui ne sont absolument pas concernés par les dispositions de la Charte projetée. Les Catholiques quant à eux doivent au moins se prononcer sur ce qu’il convient de faire du crucifix de l’Assemblée nationale. Mais les Protestants n’arborent pas de signes distinctifs et s’ils en portent (une croix huguenote autour du cou ou un poisson sur un pare-choc), ils sont rarement ostensibles et encore moins ostentatoires. La Réforme protestante s’est d’ailleurs faite en bonne partie contre l’imposition de signes extérieurs (vêtements, nourritures etc.), au nom des convictions intérieures. Elle a décrété les signes extérieurs insignifiants en les réduisant au rang d’adiaphora, de choses sans importances. Elle affirme: ce qui compte, aux yeux de Dieu, ce n’est ni la manière dont je m’habille, ni ce que je mange ou que je ne mange pas. La seule chose importante (l’essentiel de la foi et l’essence de la religion) c’est que je mette ma confiance en Dieu et en lui seul! Peu importe que je veuille arborer des signes religieux ou que je préfère n’en pas porter.

(Glose interlinéaire: c’est bien là ce qui me fait devenir le protestant que je suis ou qui me fait assumer le hasard de mon protestantisme de naissance: j’y trouve une religion qui favorise la liberté religieuse dont j’ai à la fois envie et besoin.)

Cet arrière-fond théologique me fait d’autant mieux apprécier la lettre ouverte du Synode Montréal Ottawa. Elle vient à point nommé pour signifier (et signifier de manière ostentatoire) que dans cette discussion autour des valeurs québécoises, les Protestant-e-s ne parlent pas pour eux-mêmes. Si le Synode Montréal Ottawa s’insurge contre cette Charte projetée, c’est qu’il partage « la douleur de nos voisins et de nos amis » (ils, elles sont aussi les miens, les miennes). Ce sont eux et ce sont elles que l’adoption d’une Charte de la laïcité ferait souffrir. Pas l’Église Unie du Canada, ni les Protestant-e-s, à peine les Catholiques. Mais les Sikhs qui portent le pagri, les Musulmanes qui portent le hijab, les Juifs qui portent la kippa (et curieusement pas les Musulmans qui portent une kamis et une chachia ni les Juives qui portent une perruque). Et les Protestant-e-s qui forment le Synode Montréal Ottawa affirment ce que leur conviction leur dicte. Ils, elles soutiennent celles et ceux qui pâtiraient de l’adoption d’une telle Charte, peu importe qu’ils, elles ne partagent pas la conviction protestante de l’insignifiance des signes extérieurs.

Mais il faut aller plus loin. Car, même en protestantisme, tout n’est pas insignifiant, adiaphora, chose sans importance. Même en protestantisme, certains comportements relèvent de « l’essence même de la religion » ou du « statis aut cadentis ecclesiae » (de ce qui fait que l’Église tienne ou tombe) en termes théologiques. Je pense par exemple aux Anabaptistes zurichois noyés dans la Limmatt aux 16e et 17e siècles parce qu’ils refusaient de porter des armes et de prêter serment à l’État (et de baptiser les enfants, ce qui permit au Réformateur Huldrich Zwingli ce jeu de mot très douteux: « ils ont péché par l’eau, ils périront par l’eau! »); à Marie Durand (1711-1776) refusant d’abjurer sa foi protestante tout au long de ses 38 années d’emprisonnement dans la Tour de Constance à Aiguës-Mortes; à Dietrich Bonhoeffer (1906-1945) pendu pour avoir pris part à un complot contre Hitler. Dans trois situations différentes, face à trois autorités différentes, les Anabaptistes zurichois, Marie Durand et Dietrich Bonhoeffer ont jugé que leurs convictions, cette essence même de leur foi, primait sur leur obéissance à l’Etat. Que leur fidélité envers Dieu passait avant leur fidélité envers l’Etat. Et tous les trois en ont payé le prix fort, tous les trois en ont assumé toutes les conséquences, jusqu’à la prison pour l’une, jusqu’à la mort pour les autres.

Ces exemples paraissent extrêmes? Évidemment qu’ils le sont. Et je les ai précisément choisis parce qu’ils témoignent que la neutralité de État est truquée. Dans des sociétés occidentales, largement inspirée par la culture chrétienne et parfois spécifiquement protestante (nonobstant le fait qu’un État se déclare laïc), il n’est pas très difficile d’être protestant et, plus largement d’être chrétien. Ainsi, pour ne donner qu’un seul exemple, le calendrier utilisé au Québec n’est pas religieusement neutre. En faisant du dimanche un jour férié, en incluant deux fêtes chrétiennes (Vendredi saint ou lundi de Pâques et Noël) parmi les huit jours fériés, chômés et payés au Québec, il favorise le christianisme et facilite la vie des Chrétiens. Sauf exception, travailler dans la fonction publique n’empêche pas de participer à la messe, au culte ou à la divine liturgie, de fêter Pâques ou Noël. De manière plus générale, les Chrétiens québécois n’ont pas besoin de faire des concessions importantes pour pouvoir vivre selon leurs convictions.

(Autre glose interlinéaire: je n’ignore pas qu’il existe une frange du protestantisme, surtout évangélico-conservatrice, qui réclame des accommodements que je juge déraisonnables, par exemple l’enseignement d’un créationisme littéralement biblique à côté, ou souvent à la place, de la théorie de l’évolution. Mais c’est là une autre question. Et, glose dans la glose, c’est aussi pour cela que je n’adhère pas à un tel protestantisme.)

On me dira peut-être que l’effort que le Québec demande aux Sikhs, aux Musulmanes et aux Juifs est un accommodement raisonnable, un accommodement, cette fois-ci, de leur religion aux valeurs fondamentales du Québec qui les accueille. On me prendra peut-être au mot et l’on me dira qu’il faut que les Sikhs, les Musulmanes et les Juifs soient prêt à assumer les conséquences de leur conviction. On me dira que si le pagri, le hijab ou la kippa relèvent de « l’essence de leur religion », s’ils ne peuvent les ôter sans s’estimer infidèle à Dieu, alors il leur suffit de renoncer à travailler dans la fonction publique, puisque le Québec ne leur demande rien de plus. Mais comme le dénonce le Synode Montréal Ottawa de l’Église Unie du Canada, ce serait déjà discriminer « des citoyens égaux de notre province et de notre pays » sans pour autant, comme le dénonce Charles Taylor, garantir la neutralité religieuse de l’État.

Est-ce que le Québec aurait là quelque chose à gagner?