protestantisme

Ce que la liturgie du couronnement dit de la religion au Royaume Uni

Les liturgies des cérémonies en disent beaucoup, souvent plus que d’autres textes officiels. Dans celle du couronnement du roi Charles III, « The Authorised Liturgy For The Coronation Rite Of His Majesty King Charles III » célébrée par the Church of England, l’Église anglicane (disponible sur Internet), j’ai relevé trois éléments du serment (page 8) montrant la place de la religion, du christianisme et du protestantisme au Royaume Uni.

Une seule Église, plusieurs fois

Dans une même phrase, l’archevêque de Cantorbéry a demandé au roi de jurer qu’il voulait maintenir « l’Église » et appliquer le vrai Évangile en favorisant « un environnement où les personnes peuvent vivre librement quelques soient leurs fois ou leurs croyances ».

Deux remarques :

  1. Il n’est pas nécessaire de mentionner de quelle Église il s’agit, puisqu’il n’y en a qu’une, the Church of England, l’Église d’Angleterre, la seule que le roi doit maintenir.
  2. Cependant, pour être vrai, l’Évangile implique de respecter la foi et les croyances de chacune et de chacun.

Un roi au service d’une seule Église

L’archevêque a ensuite demandé au roi de jurer de « maintenir les Lois de Dieu et le vrai Évangile ». Mais la demande s’est faite bien plus précise :

« Voulez-vous, au mieux de votre pouvoir, maintenir dans le Royaume Uni la Religion Protestante Réformée établie par la loi ? Voulez-vous maintenir et préserver inviolée la place de l’Église d’Angleterre, sa doctrine, son culte, sa discipline et son gouvernement selon les lois établies en Angleterre ? Et voulez-vous préserver tous les droits et les privilèges que la loi accorde aux Évêques et au Clergé d’Angleterre ainsi qu’aux Églises confiées à leur charge, ou qui leur appartiennent à eux tous ou à l’un d’entre eux ? ».

Deux remarques :

  1. Le roi est aussi le chef de l’Église d’Angleterre. Ce qui implique qu’il la défende politiquement mais aussi théologiquement.
  2. Si l’Angleterre est anglicane, le Royaume Uni est protestant réformé, puisque l’Église d’Irlande (du Nord) et l’Église au Pays de Galles sont aussi anglicanes mais que l’Église d’Écosse est presbytérienne.

Un roi fidèlement protestant

Pour pouvoir devenir roi, Charles a dû « solennellement et sincèrement » « confesser, témoigner et déclarer » qu’il est « un Protestant fidèle » (« faithfull Protesant ») et qu’il va utiliser son pouvoir pour assurer « la succession protestante pour le Trône ».

Une remarque :

  1. Il n’y a pas d’examen qui permettent de vérifier que quelqu’un·e est non seulement protestant·e, mais fidèlement protestant·e. Celle ou celui qui dit l’être l’est. Surtout quand il doit devenir roi.

Prier pour la guérison ou prier pour les malades ?

« Une lectrice régulière » de mon blogue m’a envoyé la photographie d’une affiche en me demandant de la décrypter. J’ai choisi à le faire avec quelques un·es des étudiant·es de mon cours d’introduction à la théologie pratique. Merci donc à Jade, Maeva, Nathan et Yannick.

Affiche annonçant un "culte avec prière pour la guérison"

Nos remarques générales

  1. En Suisse, le 5 mars 2023 est la « journée des malades ».
  2. « Culte », « temple », « paroisse », autant de termes qui disent le christianisme et le protestantisme.
  3. L’affiche dit où le culte se passera — Corsier et Corseaux sont deux villages proches de la vile de Vevey —, mais ne dit pas à quelle Église la paroisse appartient.
  4. « Invitez du monde » dit que l’affiche s’adresse aux habitué·es à qui l’on demande d’élargir le cercle, dans « le monde » que le Nouveau Testament oppose parfois aux disciples de Jésus.

Notre analyse

Le point le plus intéressant et potentiellement le plus problématique est cette expression : « culte avec prière pour la guérison ». Est-elle trop ambitieuse ? Est-elle irréaliste ? Est-elle trompeuse ?

Nous avons noté que…

  • La guérison est attachée à la prière, non pas au culte et quelle est donc laissée à Dieu à qui la prière sera probablement adressée.
  • La guérison n’est pas garantie ; c’est une prière pour la guérison, pas une prière de guérison.
  • Le type de guérison n’est pas précisé ; la guérison pourrait advenir dans les trois ordres de la santé : guérison physique, psychologique, spirituelle.
  • La manière dont la guérison pourrait arriver reste ouverte : par un miracle, une opération, un médicament, une bonne hygiène de vie, etc.

Nous avons encore discuté de l’image, de la croix coupée en deux.

En soi, la croix est un symbole de violence, de souffrance et de mort. Pour le christianisme, elle signale aussi que Dieu reste présent·e avec celles et ceux qui sont victimes de violence, qui souffrent et qui meurent. Mais que signifie une croix brisée ? Qu’il y a quelque chose à réparer ? Ce serait peut-être alors la relation entre les êtres humains et Dieu. À moins que la croix ne soit pas brisée, qu’elle soit soit une longue croix qui passe derrière l’affiche pour entourer les malades ?

Notre conclusion

Nous avons conclu que l’affiche est théologiquement légitime, même si elle peut induire des déceptions ou des frustrations. Que se passera-t-il si une personne invitée, une personne « du monde », vient en pensant sincèrement qu’elle-même ou un·e de ses proches va guérir, mais qu’elle reste malade ? Qui rendra-t-elle responsable de l’échec ? En voudra-t-elle à la paroisse, à la prière, à Dieu ou à la personne malade ? Parler de guérison fait toujours courir le risque d’ajouter à la maladie la culpabilité.

Notre approfondissement

Par acquit de conscience, nous avons visité le site Internet de la paroisse réformée de Corsier-Corseaux. Dans l’agenda des cultes, nous avons trouvé une autre présentation du culte :

Dimanche 5 mars
8h45, Chapelle des Monts-de-Corsier, culte
10h, Temple de Corsier, culte avec Cène et prière pour les malades

Nous avons jugé que « prière pour les malades » était une expression moins porteuse, mais plus honnête que « prière pour la guérison ». Car nous ne pouvons pas être certain·es que les malades seront guéri·es. Mais nous devons prier, demander, réclamer exiger que l’on prenne soin d’elles et d’eux.

Appropriation civile d’une manière protestante de s’asseoir

Pour les quatre jours d’un cours intensif sur « Les figures vétérotestamentaires de la cathédrale de Lausanne » à l’Université de Lausanne avec ma collègue Ruth Ebach (Bible hébraïque), je propose quatre billets appliquant deux concepts à la mode — l’appropriation culturelle et la culture de l’annulation — à cet édifice. Que celles et ceux que les deux expressions fâchent pourraient ou devraient lire ces quatre courtes chroniques, ne serait-ce que pour savoir si leur colère est fondée !


Dès 1536, le protestantisme s’approprie la cathédrale de Lausanne. Il l’aménage conformément à sa théologie et l’adapte à son propre — appropriation ! — usage liturgique. Il en fait un lieu unique pour le culte communautaire. Pour ce faire, il ferme complètement le chœur — pour quelques années, il devient la salle de cours pour former les pasteurs —, ouvre les chapelles latérales, ce qui empêche ou évite les dévotions privées. Il installe contre un pilier de la nef une chaire d’abord en bois puis en pierre où le pasteur monte pour prêcher. Il dispose des bancs en carré autour de la chaire et récupère les stalles des chanoines pour faire asseoir les autorités.

Manière protestante de s’asseoir

Le protestantisme met ainsi en scène dans la cathédrale de Lausanne sa conception du culte : il en va d’annoncer « la Parole de Dieu », que les fidèles chantent dans les Psaumes, que l’instituteur — le régent — lit dans la Bible et que le pasteur prêche dans son sermon. Il choisit l’aménagement qui permet de rassembler « le plus de fidèles le plus près du prédicateur », celui qui permet au prédicateur d’être vu, entendu et surtout compris par le maximum de paroissien·nes. Une table en bois placée sous la chaire permet de célébrer la cène, quatre fois par an. Que la chaire domine la table de communion montre que l’annonce de l’Évangile supplante maintenant l’administration du sacrement. Techniquement, on parle de « disposition centrée des bancs », mais le théologien protestant suisse romand Bernard Reymond — L’architecture religieuse des protestants. Genève : Labor et Fides, 1996 — nomme cet aménagement « quadrangle choral » et le juge « typiquement réformé ».

Pendant des siècles de culte protestant, la cathédrale de Lausanne conserve le même aménagement intérieur. On le retrouve encore en 1960, lors des « funérailles nationales » pour Henri Guisan, général de l’armée suisse pendant la Seconde Guerre mondiale.

Alexandre Cornu, « Général Guisan, obsèques », avril 1960. Crédit : https://notrehistoire.ch/entries/xXYq4oApWrk

Manière civile de s’asseoir

Aujourd’hui — je n’ai pas trouvé la date de la transformation —, la cathédrale de Lausanne propose un autre aménagement. Les bancs — qui en 2022 ont remplacé les chaises de 1913 — sont alignés les uns derrière les autres. Tous regardent vers le chœur où se trouve le « mobilier liturgique », quatre éléments amovibles : au centre une table derrière laquelle la pasteure célèbre la cène ; à droite (côté jardin), un pupitre pour prêcher et pour la liturgie ; à gauche (côté cour), des fonts baptismaux pour célébrer un baptême. Bernard Reymond qualifie ce dispositif en rangées de « perspectivisme romantique » en soulignant qu’il donne à voir dès l’entrée une perspective sur le lieu de culte et sur le culte.

J’ai écrit « tous regardent vers le chœur », mais ce n’est pas tout à fait exact puisque le dossier des bancs est amovible et qu’il peut être basculé pour « renverser le sens des bancs » et les faire regarder vers le chœur les jours de concerts.

En conclusion

  • Une appropriation civile d’une manière protestante de s’asseoir représente-t-elle une appropriation culturelle ? J’aurais tendance à répondre oui pour deux raisons. La première correspond à une certaine « culture du patrimoine » qui privilégie l’état original des bâtiments. Le dispositif catholique serait plus légitime parce qu’il serait plus ancien. Mais qu’est-ce qui est légitime, l’ancienneté ou la durée ? Cette cathédrale de Lausanne — elle est la troisième du nom — a été catholique pendant trois siècles et protestante pendant presque cinq, ce qui la rend autant protestante que catholique. Et quel est son « état original », puisqu’elle a été construite et profondément reconstruite : au 15e siècle on supprima par exemple la route couverte qui séparait la tour et la cathédrale et au 19e siècle, on reconstruisit la flèche deux fois ? La seconde raison vient de la fonction culturelle dévolue à la cathédrale. Des rangées de sièges tournés vers le chœur sont mieux adaptées aux spectacles. Et pour les concerts d’orgue, renverser les dossiers des bancs plus faciles à faire que retourner des centaines de chaises. Mais le changement de dispositif n’est pas seulement civil. Il vient aussi d’une réappropriation protestante de la manière de célébrer le culte. Dans la foulée du mouvement Église et liturgie, un certain protestantisme a voulu revenir à un dispositif plus solennel, plus pastoral et plus sacramentaire qu’on a parfois dit plus catholique. En créant une longue allée centrale, des bancs en rangées offrent à la ou au pasteur·e et aux officiant·es, la possibilité de faire une entrée procession. Placer la table de la cène au centre et déplacer la chaire sur le côté centre le culte sur la cène et décale la prédication. Installer les célébrant·es dans le chœur les valorise et rend l’assemblée plus passive, plus auditrice et spectatrice que partie prenante du culte.
  • Faut-il annuler l’appropriation civile d’une manière protestante de s’asseoir ? Non ! D’abord parce qu’il faut reconnaître que la cathédrale de Lausanne est davantage qu’un lieu de culte protestant. Aujourd’hui qu’elle accueille des cérémonies publiques, des manifestations culturelles et des célébrations œcuméniques, il serait illégitime et injuste de vouloir conserver un aménagement qui ne satisferait que le protestantisme. Et encore, les protestant·es apprécient le dispositif en rangées, y compris pour célébrer le culte. Peut-être parce simplement parce qu’il est le mieux adapté à l’architecture du lieu. Mais aussi parce qu’il dégage de l’espace et qu’il permet de déployer de la créativité cultuelle et de varier les formes d’un culte quand on cherche à le renouveler.

Après avoir lu l’excellent ouvrage Judith Lussier, Annulé(e). Réflexions sur la cancel culture, Montréal, Cardinal, 2021, je précise que ni l’Église catholique-romaine, ni la communauté juive, ni la paroisse de la cathédrale, ni les musées lausannois n’ont demandé à récupérer quoi que ce soit (ajout le 6 janvier 2023).

Découvrir le protestantisme. Un parcours de formation

Pour compléter mon article d’hier – « Une théologie sur mesure et faite maison » – et parce qu’on m’a demandé d’en dire un peu plus sur la théologie protestante, je me permets de recommander le parcours Découvrir le protestantisme. Un parcours de formation que je propose sur mon blogue.

Une théologie sur mesure et faite maison

Pensée totalement décontextualisée d’un samedi matin:

Le protestantisme ne propose pas de mode d’emploi, parce qu’il n’existe pas de solutions toute faites. Il refuse le prêt-à-penser théologique, il valorise le « sur mesure » et le « fait maison ». Car c’est vous et seulement vous, avec d’autres et grâce à l’aide de Dieu, qui pouvez bien habiller votre âme, votre cœur, votre cerveau et vos tripes.

L’impact des croyances sur l’alimentation

« L’éprouvette » de l’Université de Lausanne m’a proposé de présenter une de mes recherches dans une vidéo de la série « Décrypté ».

Voici le résultat: