sacrement

Une théologie de la planche à pain

Donnant un cours sur les rites et les sacrements à l’Université de Lausanne (télécharger le plan du cours Mettre nos hypothèses sur les rites et sacrements à l’épreuve de la théologie pratique), j’ai demandé aux étudiantes (seules des étudiantes suivent ce cours) de sortir et de visiter soit une église protestante — la cathédrale de Lausanne —, soit une église catholique — la basilique du Valentin — avec cette consigne :
« Durant votre visite, vous recueillerez le maximum d’indices immobiles (architecture, meubles, etc.), d’indices mobiles (objets, vêtements, décors, autres éléments matériels), éventuellement d’indices éphémères (paroles, musiques, gestes, autres éléments immatériels) à propos de tous les sacrements célébrés dans l’église que vous visiterez. Vous garderez les indices qu’il vous sera possible de garder (par photographies, enregistrements, documents, etc.). Attention, il vous est strictement interdit de voler des objets ou des fragments d’objet ! »
Je leur ai ensuite demandé de reconstruire la théologie des sacrements que ces indices révèlent et de partager le résultat de leur travail. Comme vous l’imaginez, elles ont très bien travaillé. J’ai fait le même travail et j’ai pris cette photographie dans la sacristie de la cathédrale de Lausanne. Comme je suis un piètre photographe, je précise qu’il s’agit d’une planche à pain avec un couteau à pain.
CathedraleLausanne_PlanchePain

Dans une armoire de la sacristie de la cathédrale de Lausanne

En cours, j’ai reconstruit la théologie que m’inspire cette planche à pain.
  1. S’il est nécessaire de conserver une planche et un couteau à pain dans la sacristie de la cathédrale de Lausanne, c’est certainement qu’on doit y couper du pain.
  2. Je sais par ailleurs que dans les cultes protestants, on célèbre la communion — qu’on appelle « cène » en protestantisme et « eucharistie » en catholicisme — avec du pain levé, du pain ordinaire, du pain de boulangerie ou du pain fait maison.
  3. La planche et le couteau à pain sont donc les indices mobiles que dans la cathédrale de Lausanne, on célèbre la cène et qu’on la célèbre avec du pain.
  4. Je n’exclus pas la possibilité que la planche et le couteau soient utilisés pour préparer les tartines de la pasteure ou les sandwichs de l’apéritif après le culte.
  5. Je me demande pourquoi il est nécessaire de couper le pain consommé lors de la cène.
  6. Il est possible, voire probable, que l’on coupe à l’avance des tranches ou des morceaux de pain pour faciliter la distribution et la consommation.
  7. Il est possible aussi que l’on prédécoupe la partie du pain que la pasteure va rompre dans un geste liturgique mimant le geste attribué à Jésus.
Voilà ce que la planche à pain me dit de la théologie et de la pratique du sacrement de la cène en vigueur dans la cathédrale de Lausanne en 2021. Et voilà comment je fais de la théologie pratique à partir du terrain.

Eau de vie, eau de mort (#baptême)

Un entretien sur le baptême (lire l’article de Noriane Rapin: Les non pratiquants veulent encore le baptême) m’a donné envie d’en écrire un peu plus sur ce thème (d’après un article paru dans La Vie protestante Berne-Jura en mai 2003) hors de toute actualité, sauf que le calendrier propose de fêter aujourd’hui la conversion de Paul et que les Églises chrétiennes proposent de prier cette semaine pour l’unité des chrétien·ne·s.


« Baptiser » vient du grec « baptizo » qui signifie « plonger dans l’eau »; être baptisé.e, c’est donc plonger dans l’amour de Dieu. Plonger, c’est toujours prendre des risques, surtout quand on ne sait pas nager. Et quand il s’agit de l’amour de Dieu, personne ne sait jamais nager! Plonger dans l’amour de Dieu, c’est donc risquer de se noyer dans cet amour, c’est accepter de se laisser submerger par cet amour. Mais comme par miracle, l’amour de Dieu, plus salé que la Mer morte, soutient et supporte toutes celles et tous ceux qui s’y jette; personne ne s’y noie, jamais.

On peut baptiser à tous les âges, des nourrissons jusqu’aux adultes. Ce qui ne dit pas exactement la même chose. Baptiser un nourrisson, c’est insister sur la grâce de Dieu. Le petit bébé ne sait rien, ne connaît rien; il n’a pas suivi l’école du dimanche, il ne lit pas la Bible, il ne va pas au culte; il ne sait pas ce qu’être chrétien veut dire; et pourtant, l’amour de Dieu le soutient. Baptiser un adulte, c’est insister sur le courage du baptisé; la grande personne sait; elle a suivi à l’école du dimanche, elle a lu la Bible, elle participe au culte; elle connaît ce qu’être chrétien exige; et pourtant, elle accepte de plonger dans l’amour de Dieu; et l’amour de Dieu la soutient.

Être baptisé, c’est se noyer, juste pour un instant, c’est mourir et renaître à la vie nouvelle. Quand Paul présente le baptême aux chrétien·ne·s de Rome, il écrit:

« Ignorez-vous que nous tous, baptisés en Jésus-Christ, c’est en sa mort que nous avons été baptisés? Par le baptême en sa mort, nous avons donc été ensevelis avec lui, afin que, comme Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, nous menions nous aussi une vie nouvelle. » Lettre aux Romains, chapitre 6, versets 3 à 4

Certain.e.s pensent qu’un vrai baptême doit noyer la personne baptisée, qu’elle doit être plongé entièrement dans l’eau, qu’elle doit suffoquer un instant et ressortir comme ressuscité; le symbole est beau. D’autres préfèrent verser simplement de l’eau sur la tête de la personne baptisée, parce que c’est là qu’est son identité; le geste est pratique. Mais le baptême ne dépend ni de l’âge, ni de la quantité d’eau. Il ne dépend que de l’amour de Dieu. D’ailleurs les Églises protestantes ne baptisent pas des protestant·e·s, ni l’Église catholique des catholiques, ni les Églises orthodoxes des orthodoxes, ni les Églises anglicanes des anglican·e·s. Elles baptisent simplement des personnes; elles témoignent ainsi que Dieu les aime; qu’il n’aime pas elles seulement mais qu’il les aime elles aussi.


À propos du baptême, on peut aussi lire sur mon blogue, l’avis des étudiant·e·s en théologie de l’Université de Montréal: Baptême – Apprentissage par problème.