synesthésie

« Mon cœur, mon amour »

Dans la dynamique de mon cours Vouloir, pouvoir, devoir transmettre « Dieu » à tous les sens, je propose chaque mercredi matin pendant les prochaines semaines, 12 chroniques réunies sous le titre Les confessions d’un autre pasteur B., en hommage au titre du livre de Jacques Chessex : Chessex, J. (1974). La confession du pasteur Burg. Ch. Bourgois.


10. « Mon cœur, mon amour »

Mille excuses !

J’ai voulu traiter les sens un par un et j’ai eu tort. Car nous sommes des êtres synesthésiques — du grec syn (avec) et aesthesis (sensation) —. Nous ne percevons pas les stimuli sensoriels un par un, mais tous ensemble. Une rose séduit par son parfum, mais aussi, en même temps par sa couleur, par sa forme, par sa douceur et même par ses épines acérées. Et par le souvenir des heures passées à jardiner ou du visage de toi qui me l’a offerte. Ce qui vaut pour une rose vaut pour « Dieu » ; puisque nous sommes des êtres synesthésiques.

Longtemps, toujours, j’ai été trop fier ou trop homme ou trop occidental ou trop universitaire ou trop protestant — vous pouvez sans autre remplacer les « ou » par des « et » — pour m’intéresser aux sens qu’on m’avait appris à discréditer. Un pasteur réformé s’intéresse aux paroles et à la musique, à l’écriture et aux images ; pas aux goûts — excepté son cognac dominical — ; pas aux odeurs — celle de la pipe, mais seulement s’il est barthien — ; pas aux matières — sauf celle dont est faite sa robe pastorale — ; il ne connaît que deux postures : assis, debout. J’ai longtemps cru que c’était là ce qu’un pasteur protestant devait croire. Et, pour une foi aussi hérétique, j’aurais bien mérité d’être excommunié, d’être déclaré anathème !

Car « Dieu » ne se transmet pas seulement aux oreilles et aux yeux. En vérité, je vous le dis, il ne se transmet ni aux oreilles ni aux yeux. Pas plus à la bouche, au nez, à la peau. Ni au corps. « Dieu » se transmet au cœur ! « Dieu » se transmet aux tripes ! « Dieu » entre dans notre corps. Oui, je suis enthousiaste — du grec en (dans) et theos (Dieu) —. « Dieu » vient en moi. Par mes deux oreilles et mes deux yeux, par ma bouche et mes deux narines, par chacun de mes muscles et tous les pores de ma peau, « Dieu » entre dans mon être.

J’écris « “Dieu” se transmet » et je réalise brusquement, brutalement que « Dieu » n’a pas besoin de moi, ni de vous, ni de personne. Le verbe pronominal ne laisse planer aucun doute : « Dieu » se transmet tout seul et « Dieu » se transmet très bien tout seul. Cruel bilan de 35 ans de ministère, je crains de n’avoir été, de n’être qu’un serviteur inutile.

Mais si « Dieu » voulait quelque chose de moi, si « Dieu » m’accordait de le transmettre — ne serait-ce que pour me rassurer au soir de mon ministère —, alors je le ferais désormais toujours, tout le temps à tous les sens. J’essayerais de manifester « Dieu » au cœur, aux tripes, de le faire ressentir au plus profond de chaque être. Et je suis convaincu que je serais plus efficace en « le » ou « la » donnant toujours en même temps à entendre, à voir, à goûter, à sentir, à toucher à éprouver.

Mille excuses. À vous comme à « Dieu ».


  1. «Paroles, paroles, paroles» (19 février)
  2. «Elle est ailleurs» (4 mars)
  3. «Des quantités de choses qui donnent envie d’autre chose» (11 mars)
  4. «Comme de bien entendu» (18 mars)
  5. «Voir, il faut voir, sais-tu voir?» (25 mars)
  6. «Jolie bouteille, sacrée bouteille» (1er avril)
  7. «Ça se sent que c’est toi» (8 avril)
  8. «Arrête, arrête, ne me touche pas» (22 avril)
  9. «Quand on ouvre les mains» (29 avril)
  10. «Mon coeur, mon amour» (6 mai)
  11. «Quand au temple nous serons» (13 mai)
  12. « Y’a qu’un Jésus digne de ce nom » (20 mai)