Bagel et smoked meat comme patrimoine gastronomique de Montréal (2013)

Bauer, O. (2013). Bagel et smoked meat comme patrimoine gastronomique de Montréal. 7 pages. Repéré sur Une théologie au quotidien à http://olivierbauer.org

1.  Introduction [1]

En juillet 2011, Pierre Bellerose « VP relations publiques, recherche et développement de produit pour Tourisme Montréal » invitait les lecteurs de son blog à « goûter au patrimoine culinaire montréalais ». Il dressait la liste de ses « adresses favorites », tous des « restaurants d’une autre époque » ayant « gardé leur cachet d’antan ». Parmi les dix restaurants cités, sept étaient juifs et servaient avant tout de la smoked meat ou des bagels: Fairmount Bagel; Schwartz’s; Cantine-resto Wilensky; Beauty’; Déli Lesters; St-Viateur Bagel; Moishes (Bellerose, 2011)

Or on peut lire dans une histoire du judaïsme à Montréal les propos suivants:

« Un des aspects les plus frappants de la vie juive à Montréal tient à la nourriture. Deux spécialités, le smoked meat et le bagel, ont beaucoup contribué à faire connaître la communauté, et même à lui donner une certaine notoriété au-delà de la ville. Ce sont avant tout les immigrants juifs d’Europe de l’Est qui ont fait bénéficier la Main de leurs traditions culinaires si particulières. Les bagels encore fumants, décorés de graines de sésame ou de pavot, ont fait l’unanimité partout. En fait, il ne fallut pas attendre longtemps pour que des Montréalais de toutes origines convergent vers le boulevard Saint-Laurent pour donner au smoked meat son aura de légende vivante. Beaucoup vécurent leur premier contact significatif avec la culture juive, lorsqu’ils se rendirent enfin sur la Main goûter ce plat. » (King, 2002: 115)

Notre motivation à écrire cet article est venue de la remarquable concordance entre la liste proposée par Bellerose et les remarques de King. Il semble que le patrimoine gastronomique de Montréal corresponde presqu’exactement et presqu’exclusivement aux spécialités culinaires juives. Ce qui tend à survaloriser la gastronomie juive dans une ville où les juifs ne représentent que 2,6% de la population[2].

2.  Le bagel

Qu’est-ce qu’un bagel? Un pain rond avec un trou au milieu, un pain particulier dont la préparation est unique:

« Il faut d’abord [au boulanger] un geste rapide de la main pour rouler un anneau à même une longue lanière de pâte. Le petit pain rond est ensuite trempé pendant environ cinq minutes dans de l’eau bouillante à laquelle on a ajouté du miel. Un travailleur aguerri peut rouler jusqu’à mille bagels à l’heure. On saupoudre ensuite les bagels de graine de sésame ou de graines de pavot noir, puis ils sont placés sur une longue planche (shiba en yiddish) qui sert à les insérer dans l’âtre près du feu. » (King, 2002: 120)

Le bagel est très certainement originaire de Pologne, où il a coexisté avec le obwarzanek, une version non-juive du même petit pain, que les chrétiens consommaient pendant le carême  (Balinska, 2008: 18). On trouve une première mention du bagel en 1610, dans une loi de Cracovie visant à limiter les dépenses engagées à l’occasion des rites de circoncision (Balinska, 2008: 46). Mais l’histoire du bagel commence à intéresser Montréal, lorsque celui-ci franchit l’Atlantique. S’il est impossible de dater avec précision l’arrivée du bagel en Amérique du Nord, on sait cependant qu’il y a été apporté par les vagues d’immigrants juifs fuyant les pogroms d’Europe centrale à la fin du 19ème siècle et qu’il est devenu une marque distinctive de la culture juive (Balinska, 2008: 193).

Notons encore qu’il y a bagel et bagel! À le comparer à son cousin de New York, le bagel de Montréal est plus doux et plus mou (Balinska, 2008: 185). Il doit cette saveur particulière tant aux ingrédients qui le composent – au malt et aux œufs que l’on ajoute à la pâte – qu’à la manière de le préparer: il est toujours roulé à la main et cuit au feu de bois.

La symbolique du bagel

Outre sa valeur nutritive, le bagel vaut aussi pour sa consommation facile (au regard de la cacherout, il n’est pas du pain et ne requiert donc pas les rituels qui entourent la consommation de celui-ci) et pour sa dimension symbolique. Au 18ème siècle, le Ba’al Shem Tov (le « père » du mouvement hassidique) faisait du bagel l’objet d’une parabole où le héros juif était sauvé parce qu’il avait réussi à attirer des paysans polonais avec des morceaux de bagel (Balinska, 2008: 49). Mais c’est avant tout sa forme (un tore élémentaire) qui fonctionne comme symbole. « Le bagel se rattache d’abord à une conception du divin, et à son image il en reflète l’infinitude, n’ayant ni début ni fin, ni endos, ni envers. » (Anctil, 1997: 165). Rapportée à l’existence humaine, cette même forme circulaire évoque l’immortalité et aurait « la propriété d’attirer la bonne fortune ». Ce qui explique pourquoi les juifs avaient coutume d’offrir des bagels « quand une femme était sur le point d’accoucher ou au moment de la période de deuil suivant un décès » (King, 2002: 120).

Au début du 20ème siècle, c’est le trou central que la culture yiddish investit de sens. « But what does that hole represent? Nothingness? Infinity? What a feast for intellectual discussion in a small roll » (Balinska, 2008: 66). Un rabbin étatsunien fit même du trou bagel le sujet de quatre sermons, dont voici un court extrait:

« The significance of the hole, what makes it Jewish, is also how it is filled. A hole can be a tragedy, but, “we arise from the shiva [mourning] bench and remember our dead not with endless bitterness and regret but with… acts of kindness… not to deny tragedy – rather to grow from it.” » (cité par Balinska, 2008: 195)

3.  Le smoked meat

L’histoire du smoked meat à Montréal a fait l’objet d’une description minutieuse et rigoureuse par Eiran Harris, archiviste émérite de la Jewish Public Library Archives in Montreal. Réglant une question lancinante, il attribue son introduction à Aaron Sanft, un immigré juif de Roumanie, qui fonda en 1884, la première boucherie cacher de Montréal (Harris, 2009: § 7).

Le smoked meat à la mode de Montréal est le résultat d’une recette métissée, indiscutablement ashkénaze, familière à plusieurs pays d’Europe centrale (Sax, 2009: 195). Les pièces de viande, de la poitrine de bœuf (un morceau cacher) de l’Alberta, sont assaisonnées avec un mélange d’épices forcément secret, à base de gros sel, de poivre concassé, d’ail, d’herbes et de sucre. Elles sont ensuite mises à mariner pendant une semaine, fumées pendant plusieurs heures puis réchauffées à la vapeur. Enfin, elles sont découpées à la main, en tranches très fines. La smoked meat est servie sur une assiette ou sur des tranches de pain de seigle assaisonnée de moutarde et accompagnée de cornichons (Sax, 2009: 197).

La symbolique du smoked meat

Si dans le judaïsme, le bagel détient la puissance d’un symbole, ce n’est pas le cas du smoked meat. Nous n’avons trouvé qu’une seule mention d’une valeur symbolique du smoked meat, quand Sax mentionne le rôle initiatique qu’elle a joué dans son accession à l’âge adulte.

« Dad initiated us into the rituals of Montreal Jewish manhood, like the way to ask for the hottest hand-rolled bagels, fresh from the wood-fired oven at St. Viateur Bagel Bakery. It was my father and his best friend, Stephen Rothstein, who first brought me to Schwartz’s Hebrew Delicatessen, Dad pointing out the piled white slices of speck it he shop’s window, saying, ‘This is what killed Poppa Sam,’ while Rothstein correctly demonstrated the way to eat Karnataka, a long, thin Romanian beef salami that Montrealers hang to dry until it literally snaps. Rothstein took a single slice of rye, painted it with yellow mustard, and rolled it around the dark stick of meat. It was the first time I ever ate mustard, and I recall how its sour tinge perfectly offset the garlicky beef. » (Sax, 2009: 194)

4.  D’où Montréal tient-il ce goût pour le smoked meat et le bagel?

Il est temps d’essayer de comprendre pourquoi la ville de Montréal a fait de ces deux nourritures typiquement juives les icônes de sa gastronomie. Évidemment la tâche est malaisée, parce qu’il nous faut tenter de retrouver ou de reconstruire des motivations dans une mémoire dont il n’existe guère de traces matérielles. Comme nous ne prétendons pas posséder les clefs de cette patrimonialisation de la gastronomie juive, nous avancerons quelques hypothèses que nous mettrons à l’épreuve de la réalité.

1ère hypothèse: Ce sont les juifs de Montréal qui mangent bagel et smoked meat

Il est évident que les juifs de Montréal mangent des bagels et des smoked meat. Preuve en est que les boulangerie se sont déplacées au fil du temps, en suivant les mouvements de la population juive. Mais il est peu probable que les 100,000 Juifs de Montréal suffisent à faire vivre les nombreuses boulangeries de bagels et les tout aussi nombreux delis servant des smoked meat. Il a fallu que les bagels et le smoked meat plaisent aussi à une clientèle non juive pour que les delis non seulement survivent, mais se développent (Sax, 2009: 204). C’est justement en séduisant en dehors de sa communauté d’origine qu’un aliment devient iconique (Nash, 2011: 218). Notre première hypothèse se révèle donc fausse.

2e hypothèse: C’est pour leur bas prix que les Montréalais apprécient bagel et smoked meat

Le bas prix du bagel a certainement représente un facteur déterminant pour son adoption par les Montréalais. Les boulangeries et les delis trouvèrent parmi les ouvriers de la confection (le Schmatte Business) leurs premiers et plus fidèles clients. « Delis were, and remain, the communal watering holes for garmentos. » (Sax, 2009: 202). Il est vrai que les prix ont longtemps défié toute concurrence. Mais ce qui a été longtemps vrai ne l’est plus aujourd’hui. Le smoked meat n’est plus un repas particulièrement bon marché. Beaucoup d’établissements de restauration rapide proposent des hamburgers à des prix équivalents et même plus bas. Bien sûr, certains diront que les deux produits sont incomparables, ce qui est sans doute vrai. Il n’empêche que le smoked meat ne représente plus la façon la plus économique de se nourrir.

3e hypothèse: C’est par philosémitisme que les Montréalais ont adopté bagel et smoked meat

Une telle hypothèse ne résiste évidemment (mais malheureusement) pas un seul instant à la réalité historique. Dans les années 1930, au moment où se multipliaient les boulangeries et des delis, tout Montréal (francophones et anglophones confondus) se retrouvait pour discriminer les juifs. À titre d’exemple (un exemple qui nous touche de près), nous pouvons citer la politique, représentative des « inquiétudes et [de] tous les doutes qui devaient assaillir la société québécoise dans son ensemble » (Anctil, 1988: 158), mise en place par  l’Université de Montréal et l’Université McGill. Craignant une augmentation du nombre d’étudiants juifs, elles imposèrent « des mesures irritantes ou discriminatoires » (des quotas ou des critères d’admission plus sévères) pour en limiter le nombre (Anctil, 1988: 158).

Le goût pour le smoked meat et le bagel ne vient donc ni d’un amour des Montréalais pour les juifs, ni même d’une trop rare solidarité judéo-chrétienne. Mais on pourrait au moins espérer que le goût pour le bagel et le smoked meat témoigne de l’intérêt que les Montréalais auraient porté aux juifs, à leur culture et à leur nourriture. Rien n’est moins sûr! Pour Morton Weinfeld, professeur de sociologie à l’Université McGill, les Québécois ont, au contraire, toujours dissocié le smoked meat et le bagel du judaïsme et des Juifs.

« It’s an adopted cultural item. They can be eating smoked meat and completely disassociate it with Jews. Jews are the crazy ones in black hat, les Maudits juifs, and they’ll say it while eating a smoked meat sandwich. [Smoked meat and Deli are] removed largely from Jewish influence. » (Morton Weinfeld cité par Sax, 2009: 202)

Nous pourrions donc conclure, sur une note un peu amère, que c’est précisément parce qu’ils ne les identifiaient pas au judaïsme que les Montréalais ont adopté le smoked meat et le bagel! Manger ceux-ci n’impliquait pas de soutenir ceux-là.

4e hypothèse: Ce sont des raisons géographiques qui expliquent le succès du bagel et du smoked meat

En 1792, la ville de Montréal fut divisée en deux zones linguistiques, de part et d’autre de ce qui était le Main Boulevard et qui est aujourd’hui le Boulevard St-Laurent. L’est de la ville était dévolu aux francophones, et l’ouest aux anglophones. Or St-Laurent part du port et c’est en remontant ce boulevard que  les différentes vagues d’immigrants se sont installées, notamment les Juifs, il y a plus d’un siècle. Les plus anciens delis, les boulangeries juives les plus typiques et les plus renommés s’y trouvent toujours, directement sur le boulevard ou sur l’une des rues adjacentes. Coincés entre les anglophones et les francophones, la communauté juive servit tout à la fois de tampon et de traits d’union entre les deux communautés linguistiques (King, 2002: 97). L’implantation des immigrants juifs dans une zone linguistiquement neutre, à la frontière des deux communautés linguistiques a participé au succès du bagel et de la smoked meat. Ils ont pu séduire tout à la fois les clientèles francophone et anglophone.

5e hypothèse: C’est pour leur goût que les Montréalais ont adoptés bagel et smoked meat

Pour expliquer le succès du bagel et du smoked meat, Sax défend la thèse d’un « effet francophone » qu’il explique par l’amour des Français pour la bonne chère.

« The Gallic passion for food is just as prevalent in French Montreal today as it is in Paris. While Anglo-Canadian cuisine reflects its bland British influence, Francophones are gaga over fat, salt, garlic, herbs, and strong flavor. » (Sax, 2009: 201)

Certes, cela a pu y contribuer, mais il nous semble qu’il faille prendre quelques précautions.  D’abord ce qui s’applique à Montréal ne concerne pas forcément Paris, contrairement à ce qu’affirme Sax. Mais puisqu’il met tous les francophones dans le même panier, qu’il nous soit permis de nuancer. Paris, que nous n’aurions pas osé prendre comme étalon de la haute gastronomie, si Sax n Les habitants de la Belle Province n’ont pas le même rapport à la nourriture ni les mêmes traditions de table que leurs cousins d’Europe. Ainsi affirmer que les francophones soient « fous de gras et de sel » nous paraît justement marquer la différence entre le Québec et la France. Sans vouloir dénigrer la cuisine typiquement québécoise, sans vouloir faire de la cuisine française l’étalon de la haute gastronomie, on peut reconnaître qu’elle est moins raffinée, plus familiale que son homologue français, et surtout qu’elle bénéficie d’une moins longue tradition, ce dont témoigne l’inscription du repas gastronomique des Français inscrit par l’Unesco en 2010 sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité.

« Née d’un heureux et dynamique métissage entre les cuisines nord-américaine, française et étrangère, la haute gastronomie québécoise ne prend pourtant son envol qu’à partir de 1967, année de l’exposition universelle qui a révélé Montréal, le Québec et l’hospitalité des Québécois au reste de la planète. » (Brasset & St-Pierre, 2009: 141)

Et même si nous prenons plaisir à en manger, nous ne sommes pas convaincus que le smoked meat et le bagel appartiennent à la grande cuisine. Ils sont bons, ils peuvent être excellents, c’est indéniable. Mais ils font partie de ces recettes artisanales, que l’on fait et que l’on refait en appliquant strictement la même recette. À notre avis (mais des goûts et des couleurs il faut discuter), ils n’égalent pas la haute gastronomie, celle où les cuisiniers, les pâtissiers témoignent d’une créativité qui en font des artistes. Il nous faut donc tester encore une autre hypothèse.

6e hypothèse: C’est par nostalgie que les Montréalais ont inscrit bagel et smoked meat dans leur patrimoine gastronomique

Cette sixième hypothèse est celle qui nous semble la plus convaincante. Nous en relevons un premier indice dans le fait que les Montréalais n’ont pas adopté immédiatement le bagel et le smoked meat. C’est à la fin des années soixante qu’est né cet engouement. Il aura donc fallu attendre plus de 30 ans pour que bagels et smoked meat deviennent chers au cœur des Montréalais. Il aura fallu un livre, Saturday Night at the Bagel Factory and Other Montreal Stories écrit par Donald Bell en 1972, pour leur faire percevoir la valeur du bagel. Il aura fallu qu’en 1974, une scène du film The Apprenticeship of Duddy Krawitz de Ted Kotcheff (d’après la nouvelle du Montréalais Mordecai Richler qui se déroule dans le Montréal juif de 1948) soit tournée chez Wilenski’s pour que les Montréalais connaissent et apprécient leurs delis.

« Soon Mr Lewkowicz […] and his bagel factory were familiar to thousands of Canadian across the country. His bakery’s fame would spread further in 1974 when “the Main” played host to a film crew recreating 1948 Jewish Montreal for the movie version of Mordecai Richler’s best-selling The Apprenticeship of Duddy Krawitz. » (Balinska, 2008: 183)

Nous trouvons un second indice de l’attachement nostalgique des Montréalais au bagel et à la smoked meat dans l’aspect désuet des boulangeries et des delis. Comme l’indique Sax, « Montreal’s deli have remained stubbornly original in their decor, food preparation, and menus. » (Sax, 2009): 195 et plus loin: « There is a stubborn adherence to the old ways in Montreal, and this, more anything, is the secret to its great Jewish delis. » (Sax, 2009: 200-201).

Notons encore que cette nostalgie ne touche pas seulement les Montréalais, mais qu’elle est tout autant et peut-être même encore plus tenace chez ceux, Juifs ou non juifs, qui ont quitté Montréal, à partir des années 70, quand les anglophones s’inquiétèrent des désirs de souveraineté des Québécois et, pour une bonne part, partirent s’installer en Ontario, notamment à Toronto (Sax, 2009: 208).

5.  Conclusion

Terminons simplement en rassemblant nos réflexions.

Tant le bagel que le smoked meat appartiennent au patrimoine gastronomique juif ashkénaze, d’où ils tirent leur origine métissée. Dans le cadre du judaïsme, ils nourrissent, évidemment; mais ils réunissent également. Et comme symbole, le bagel donne à penser, à penser Dieu, à penser la vie et la mort.

Introduit en Amérique du Nord par les immigrants juifs d’Europe centrale, adaptés au contexte et au goût nord-américain, le bagel et le smoked meat sont devenues partie intégrante du patrimoine gastronomique de Montréal. Ici aussi, ils nourrissent; ici aussi ils réunissent; mais ici aussi, ils donnent à penser. Mais plus que de théologie, ils parlent d’une identité, celle de Montréal. Bagel et smoked meat témoignent d’abord de l’existence d’un patrimoine gastronomique, même limité, à Montréal. Mais ils témoignent ensuite de l’impact, même inconscient, même dénié, du judaïsme sur Montréal ; ils témoignent encore de ce Boulevard St-Laurent qui a servi de frontière pour séparer et réunir francophones et anglophones, juifs et chrétiens. Ils témoignent enfin d’une certaine nostalgie, de l’envie de se raccrocher à une tradition, à un Montréal d’autrefois, à la fois réel et rêvé, que les Juifs ont su, par choix ou par nécessité, préserver.

6.  Bibliographie

  • Anctil, P. (1988). Le Rendez-vous manqué : les Juifs de Montréal face au Québec de l’entre-deux-guerres. Québec: Institut québécois de recherche sur la culture.
  • Anctil, P. (1997). Tur Malka: flâneries sur les cimes de l’histoire juive montréalaise. Sillery, QC: Septentrion.
  • Balinska, M. (2008). The bagel: the surprising history of a modest bread. New Haven: Yale University Press.
  • Bellerose, P. (2011, 13 juillet). Goûter au patrimoine culinaire montréalais. Repéré le 10 novembre 2011 à http://pierre-bellerose.tourisme-montreal.org/2011/07/gouter-au-patrimoine-culinaire-montrealais/
  • Brasset, R.-L., & St-Pierre, J. (2009). Plaisirs gourmands : 1885-1979. Québec: Publications du Québec.
  • Harris, E. (2009). Montreal-Style Smoked Meat. An interview with Eiran Harris conducted by Lara Rabinovich, with the cooperation of the Jewish Public Library Archives of Montreal. Cuizine: The Journal of Canadian Food Cultures / Cuizine: revue des cultures culinaires au Canada, 1(2). Repéré à http://id.erudit.org/iderudit/037859ar
  • King, J. (2002). Les Juifs de Montréal : trois siècles de parcours exceptionnels. Outremont, Québec: Carte blanche.
  • Nash, A. (2011). Smoke and Mirrors? Montreal Smoked Meat and the Creation of Tradition. Dans H. Saberi (dir.), Cured, fermented and smoked foods: proceedings of the Oxford Symposium on Food and Cookery 2010 (p. 211-220). Totnes, England: Prospect Books.
  • Sax, D. (2009). Save the deli: in search of perfect pastrami, crusty rye and the heart of Jewish delicatessen. Toronto: McClelland & Stewart.

[1] Ce texte est issu d’une conférence prononcée à Tours en 2011 : Bauer, O. (2011, 23-24 novembre). Un patrimoine alimentaire juif à 80% pour une ville juive à 2,8% seulement! Communication présentée lors du colloque “Gastronomies juives”, Université François Rabelais, Tours.

[2] Selon le recensement de 2001 (qui contient les chiffres les plus récents relativement aux religions), les chrétiens représentaient 84,6% de la population et les juifs 2,8% (musulmans: 3%) En 2001, Montréal hébergeait la deuxième communauté juive du Canada, soit 92,970 personnes. Les juifs étaient 101,000 en 1991 (Statistique Canada).


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3 commentaires

  1. Un peu avant l’Expo « Terre des hommes »….

    Votre conclusion me semble pertinente, mais permettez-moi d’avancer une autre hypothèse, celle de l’agrément que prennent les Canadiens français, je parle ici des gens « ordinaires », à reconnaitre et apprécier le travail de leurs semblables, héritiers, comme les Juifs, d’une tradition de survivance alimentaire assurée par les Anciens et de la symbolique de leur identité menacée. Fiers de leurs fèves au lard et de leur soupe aux pois, les Canadiens français se sont reconnus dans le bagel et le smoked meat puisque leurs élites laïques et religieuses étaient ainsi laissées à leur complaisance. La poutine continue la même affirmation du « peuple ». Oui, cette nourriture est vraiment …populaire !
    Bon, je me suis amusé un peu pour vous remercier de l’intérêt que suscite votre texte. Je crois m’inspirer ici de votre sixième hypothèse, mais en voulant marquer avant tout que la Gastronomie est à la nourriture ce que la Hiérarchie est au peuple, une preuve/épreuve du haut et du bas.
    Alain

    J’aime

    1. Cher Monsieur,
      Je vous remercie de ce commentaire fort intéressant. Je crois que vous touchez juste. Peut-être que ma culture européenne et mon poste de professeur à l’Université m’ont fait passé à côté de cet aspect populaire… même si j’apprécie un bagel, un smoked meat ou un hot-dog steamé (j’avoue que j’ai plus de peine avec la poutine et le concept de « frites molles »).
      Je vous signale que je propose en libre-accès un article plus long, en particulier sur ce que bagel et smoked meat révèle à propos de l’hybridité de Montréal: ‘Le bagel, la smoked meat, les bageleries et les délis sont une part du patrimoine culinaire de Montréal ». Vous pouvez le lire et/ou le télécharger sur Papyrus, le dépôt institutionnel de l’université de Montréal: http://hdl.handle.net/1866/12213
      Avec mes salutations
      Olivier Bauer

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