judaïsme

De la religion dans le sport: le jour du Seigneur

Dimanche, le Journal de Montréal titrait un article: « Pas de jour du Seigneur pour les joueurs du Canadien ».

L’expression doit paraître énigmatique à beaucoup. Elle veut simplement dire que le club de hockey du Canadien de Montréal s’est entraîné le dimanche.

Car le christianisme qualifie le dimanche de « jour du Seigneur » parce que Jésus, qu’il tient pour son Seigneur, aurait été exécuté un vendredi. On l’aurait rapidement et provisoirement mis dans un tombeau avant le début du sabbat. Après le sabbat, le dimanche matin, les femmes qui voulaient embaumer son corps auraient trouvé son tombeau vide. Le dimanche serait donc le jour de la résurrection, le jour du Seigneur.

La chrétienté, c’est-à-dire les sociétés chrétiennes, a fait du dimanche un jour de congé. En accordant un privilège aux Églises qui célèbrent leurs messes, cultes, divines liturgie ce jour-là, elle facilite la vie des chrétiennes et des chrétiens. Mais visiblement pas celle des hockeyeurs du Canadien de Montréal qui n’ont pas eu congé quand beaucoup d’autres ont eu congé.

P.S. Selon la tradition juive, le dimanche est aussi le premier jour de la création du monde. Le samedi étant le dernier, celui où Dieu s’est reposé de toute sa tâche. C’est pourquoi, particulièrement en Amérique du Nord, on fait parfois du dimanche le premier jour de la semaine.

Le bagel, 100% juif et 100% montréalais

Profitant d’un congé scientifique, je participe au cours Cultures et patrimoines alimentaires : enjeux et opportunités donné par la professeure Julia Csergo (voir sa page personnelle) à l’Université du Québec à Montréal. J’ai l’occasion d’y partager mes recherches sur les patrimoines alimentaires des religions.


Pour présenter le bagel et pour rappeler qu’il est tout à fait possible d’être 100% juif et 100% montréalais, je reprends le diaporama que j’ai présenté aux étudiant·es.

Diaporama modifié le 13 mars 2024


Dans la même série:

Faire la différence entre «biblique», «théologique», «religieux» et «chrétien» (attention billet universitaire)

  1. Mes étudiant·es ont tendance à confondre entre «biblique» et «théologique». Iels qualifient de bibliques des affirmations, des valeurs, des pratiques qui ne découlent pas de la Bible, mais qui sont théologiques puisqu’elles dépendent d’une réflexion sur les relations à Dieu menée à partir d’une relation à Dieu ; elle est certes nourrie par la Bible, mais aussi par d’autres connaissances, scientifiques par exemple, par des héritages et des traditions ecclésiales, par la pensée de théologien·nes ou par l’expérience personnelle.
  2. La semaine passée, l’actualité religieuse m’a rappelé l’importance de cette distinction et m’a fait prendre conscience de celle d’une autre. Commentant une cérémonie dans le palais parisien de l’Élysée, le grand rabbin de France Haïmes Korsia explique dans le quotidien français Libération: «J’ai allumé la première bougie de la fête de Hanoukka, qui n’a rien de religieuse puisque ce n’est pas une fête biblique.» (Libération, samedi 9 et dimanche 10 décembre, page 9)
  3. Je ne connais pas suffisamment le judaïsme pour commenter cet avis, même s’il me semble qu’il y a bien du religieux juif non biblique. Et qu’il y a du religieux en dehors judaïsme comme il y en a en dehors du christianisme.
  4. Ce qui m’intéresse, c’est qu’une certaine théologie protestante repose sur une logique similaire : ce qui n’est pas biblique n’a rien de chrétien et ce qui prétend être chrétien doit être biblique. D’où un besoin parfois obsessionnel de légitimer toutes les affirmations théologiques par un ou, mieux encore, des versets bibliques.
  5. Comme la confusion entre le «biblique» et le «théologique», la réduction du «chrétien» au «biblique» m’apparaît fausse. D’abord parce que le christianisme déborde largement la Bible, de la primauté de l’évêque de Rome au déroulement des célébrations en passant par la fête de Noël ; ensuite parce que la Bible n’est pas toujours très chrétienne : des pères ont des relations sexuelles avec leurs filles, Jésus sacrifie un troupeau de cochon pour éliminer des démons et l’esclavage ne dérange pas Paul.
  6. Certes, le christianisme est biblique, mais il est aussi théologique en ce sens qu’il repose sur 2000 ans de réflexions sur ce qu’est une relation à Dieu à la suite du Christ ; et ces réflexions sont toujours à recommencer dans des circonstances toujours nouvelles.
  7. Et je dois encore résister à réduire le « chrétien » à ma propre théologie.

Appropriation chrétienne de la Bible juive

Pour les quatre jours d’un cours intensif sur « Les figures vétérotestamentaires de la cathédrale de Lausanne » à l’Université de Lausanne avec ma collègue Ruth Ebach (Bible hébraïque), je propose quatre billets appliquant deux concepts à la mode — l’appropriation culturelle et la culture de l’annulation — à cet édifice. Que celles et ceux que les deux expressions fâchent pourraient ou devraient lire ces quatre courtes chroniques, ne serait-ce que pour savoir si leur colère est fondée !


Le rapport que le christianisme entretient avec le judaïsme est terriblement — au sens fort du mot « terrible » — ambigu : il reconnaît ce qu’il lui doit, mais s’estime supérieur à lui. Ce mélange de reconnaissance et de jalousie a conduit des chrétien·nes à discriminer, mépriser, maltraiter et persécuter des juives et des juifs.

Pourtant, Jésus, ses disciples et celles et ceux qui font partie du « mouvement de Jésus » sont juives et juifs, dans une forme un peu particulière du judaïsme. Mais, dès les années 50, des personnes extérieures au judaïsme vont confesser que Jésus est le Messie ou le Christ, ce qui entraîne la création d’une nouvelle religion. Se comprenant comme l’accomplissement de la révélation divine, le christianisme s’approprie le judaïsme et notamment sa Bible, son livre de référence. Mais il le juge partiel ou incomplet et croit que par Jésus le Christ, Dieu établit une nouvelle alliance avec les êtres humains. Il fait alors de la Bible juive son Ancien Testament et lui ajoute un Nouveau Testament.

Il diffuse largement ces deux Testaments celui qu’il a créé et celui qu’il s’est approprié : il les copie, puis les imprime, puis les met en ligne ; il les lit, les raconte, les chante, les met en scène et les illustre.

Ce qui explique que l’on trouve dans la cathédrale de Lausanne — comme ailleurs, évidemment — de nombreuses images de l’Ancien Testament, sculptées dans la pierre et dans le bois, peintes sur les murs et sur des vitraux, créées au Moyen-Âge et jusqu’au 20e siècle. Elles ont une valeur esthétique, bien sûr. Elles racontent à leur manière l’histoire de la cathédrale et de son environnement, mais elles indiquent aussi toute l’ambiguïté des rapports du christianisme au judaïsme et à sa Bible. J’ai donc choisi quelques images pour dresser une liste de quelques-uns de ces rapports.

Blasphémer

Si le judaïsme s’est toujours méfié des images, il a posé un interdit fondamental, celui de représenter D.ieu. Il est interdit de le représenter par une image et même d’écrire son nom d’où le point entre le « D » et le « ieu ». Le christianisme ne se soucie guère de respecter cet interdit et a volontiers représenté Dieu, souvent comme un homme blanc vieux et barbu.

C’est le cas de ce vitrail qui montre un Dieu créateur grognon, assis sur son trône quelque part dans le ciel, illustration du premier chapitre du livre « Au commencement » ou Genèse pour le christianisme.

Édouard Hosch, Dieu créateur, 1899-1909. Rose de la cathédrale de Lausanne.
Édouard Hosch, Dieu créateur, 1899-1909. Rose de la cathédrale de Lausanne.

Condamner

Le christianisme juge que Dieu a condamné le judaïsme et montré sa préférence pour le christianisme. Il estime même que le judaïsme s’est condamné lui-même, lorsqu’il a crucifié le fils de Dieu. Certaines images illustrent la condamnation des juives et des juifs, souvent reconnaissable à certains traits particuliers : la couleur jaune de leurs vêtements, un chapeau pointu, des cheveux roux, une rouelle, etc.

C’est le cas de cette broderie sur la chasuble d’Aymon de Montfalcon, le dernier évêque de Lausanne, où l’on devine Anne, la future mère de Marie piétiner un juif à terre.

La conception de Marie, Chasuble de l’évêque Aymon de Montfalcon, vers 1500 (détail). Musée d’Histoire de Berne, Trésor de la cathédrale de Lausanne.
La conception de Marie, Chasuble de l’évêque Aymon de Montfalcon, vers 1500 (détail). Musée d’Histoire de Berne, Trésor de la cathédrale de Lausanne.

Hiérarchiser

Deux images parallèles et côte à côte permettent de comparer facilement judaïsme et christianisme et de rendre évidente la supériorité du christianisme.

C’est le cas de ce vitrail qui associe Moïse — et le judaïsme — à la loi et Paul — et le christianisme — à la grâce. La hiérarchisation est manifeste : ciel d’orage du côté de l’Ancienne Alliance, ciel paisible du côté de l’Alliance Nouvelle ; Moïse ne peut que désigner les tables des dix commandements qui restent au ciel, tandis que Paul qui reçoit directement d’un ange le texte de l’évangile de la grâce.

Paul Robert, La Loi et la Grâce, 1892. Cathédrale de Lausanne. Crédit: http://www.mesvitrauxfavoris.fr/Supp_a/cathedrale_lausanne_suisse_
Paul Robert, La Loi et la Grâce, 1892. Cathédrale de Lausanne. Crédit: http://www.mesvitrauxfavoris.fr/Supp_a/cathedrale_lausanne_suisse_suite.htm

(Dés) orienter

Sélectionner dans un récit de quoi fabriquer une image permet d’en orienter la lecture, de diriger qui la regarde vers un sens particulier — qui peut même être un contresens voire un non-sens. Ainsi, le christianisme choisit d’illustrer certains passages de la Bible juive, par exemple ceux dans lesquels il lit une allusion à la Vierge Marie ou à Jésus Christ. Il peut ainsi affirmer, images à l’appui, que le Nouveau Testament est la simple continuation de l’Ancien.

C’est le cas de cette image du prophète Isaïe. D’un livre qui contient 66 chapitres, l’artiste choisit d’illustrer un seul verset : « Ah certes ! Le Seigneur vous donne de lui-même un signe : Voici, la jeune femme est devenue enceinte, elle va mettre au monde un fils, qu’elle appellera Immanouel » (chapitre 7, verset 14; traduction de la Bible du Rabbinat). La tradition chrétienne le lit comme une annonce de la naissance virginale de Jésus. L’artiste, Louis Rivier figure donc deux personnages: un vieux prophète écrivant son livre en même temps qu’il regarde Jésus le Christ lui apparaître.

Louis Rivier, La prophétie d’Ésaïe, 1930-1931. Cathédrale de Lausanne. Crédit: carte postale « Promenades angéliques ».
Louis Rivier, La prophétie d’Ésaïe, 1930-1931. Cathédrale de Lausanne. Crédit: carte postale « Promenades angéliques ».

Illustrer

Une image peut illustrer un texte, le donner à voir pour celles et ceux qui ne veulent pas ou ne peuvent pas les lire. Les images remplissent alors une fonction plutôt neutre, une fonction pédagogique. Elles sont la Bible des pauvres ou des illettrés. Évidemment, elles ne peuvent remplir cette fonction que si la personne qui regarde l’image connaît déjà un peu le texte ou si on le lui raconte. Une telle illustration est toujours seconde par rapport au texte qu’elle interprète et dont elle sélectionne un instant. Mais elle peut en rester proche et le donner « simplement » à voir.

C’est le cas de cette représentation du petit David et du géant Goliath ou les deux personnages sont représentés sans jugement… à mon avis qui est celui d’un chrétien (Premier livre de Samuel, chapitre 17).

David et Goliath, 13e siècle. Stalles de l’ancien chœur capitulaire, cathédrale de Lausanne.
David et Goliath, 13e siècle. Stalles de l’ancien chœur capitulaire, cathédrale de Lausanne.

Instrumentaliser

Le christianisme considère que le Nouveau Testament réalise ce qui est annoncé dans l’Ancien Testament. Par conséquent, il instrumentalise la Bible juive où il cherche des épisodes, des situations ou des personnages — des « types » — qu’il couple avec des épisodes, des situations ou des personnages du Nouveau Testament, et notamment de la vie et de la mort de Jésus.

C’est le cas de cette représentation du roi Joab qui étreint son rival Abner en même temps qu’il le poignarde (deuxième livre de Samuel, chapitre 3), préfiguration de Judas qui embrasse Jésus quand il le trahit (évangile de Luc, chapitre 22).

Joab tuant Abner, 1515-1536. Portail médiéval Montfalcon, cathédrale de Lausanne (Reconstitution de Raphaël Lugeon, Dépôt lapidaire).
Joab tuant Abner, 1515-1536. Portail médiéval Montfalcon, cathédrale de Lausanne (Reconstitution de Raphaël Lugeon, Dépôt lapidaire).

En conclusion

  • Des images chrétiennes de la Bible juive représentent-elles une appropriation culturelle ? Oui ! Elles témoignent que le christianisme s’est approprié la Bible juive. Mais elles témoignent aussi qu’il a déclassé la Bible juive en lui ajoutant un Nouveau Testament, qu’il l’interprète dans son propre sens y compris contre le judaïsme.
  • Faut-il annuler les images chrétiennes de la Bible juive ? Tous les christianismes n’ont pas toujours apprécié toutes les images. Les iconoclastes ont annulé les images qu’ils n’apprécient pas en les détruisant, des gens plus civilisés les annulent en les remplaçant plus ou moins soigneusement. Cependant, la destruction des images polémiques ou haineuses efface aussi un pan de l’histoire, en l’occurrence de l’histoire d’un christianisme parfois polémique et haineux. Il serait regrettable de ne plus avoir à s’en souvenir et à l’assumer. Je suggère donc de demander à nos sœurs juives et nos frères juifs quelles sont les représentations de la Bible juive qui leur sont insupportables et de les retirer des Bibles ou des églises. Mais de les conserver dans un lieu de mémoire et de les accompagner d’une mise en garde, coécrite par des membres des deux religions. Parce que les temps et les sensibilités changent, ce travail de mémoire n’aura jamais de fin. Il faut régulièrement se redemander — peut-être tous les dix ans — quelles images sont acceptables et lesquelles ne le sont plus. Enfin, il convient d’élargir cette procédure à ce qui peut choquer d’autres communautés que le christianisme a discriminées, méprisées, maltraitées et persécutées.

Après avoir lu l’excellent ouvrage Judith Lussier, Annulé(e). Réflexions sur la cancel culture, Montréal, Cardinal, 2021, je précise que ni l’Église catholique-romaine, ni la communauté juive, ni la paroisse de la cathédrale, ni les musées lausannois n’ont demandé à récupérer quoi que ce soit (ajout le 6 janvier 2023).

Religions (buffet-conférence alimentation & spiritualité n° 2)

En septembre-octobre 2022, je donne quatre « buffet-conférences » à l’Espace Madeleine à Genève. Voici le deuxième en image commentée.

Cliquer sur l’image pour l’agrandir. © Olivier Bauer 09/2022

Merci à Silvia pour la cuisine!

Les oreilles du Christ

En rappel ou à découvrir, ces « oreilles de crisse » – « crisse » étant un euphémisme pour « Christ » – que l’on peut manger au Québec. Que les oreilles du Christ soient « pur porc » dit quelque chose d’une certaine volonté chrétienne de déjudaïser Jésus!