Pape

Un signe de la perte de culture chrétienne

Dans le quotidien français Libération, Bernadette Sauvaget propose un bel article sur les funérailles de Joseph Razinger, jadis pape sous le nom de Benoît XVI, (« Aux funérailles de Benoît XVI, l’hommage sobre de François ». J’en tire un court extrait:

Que la rédaction juge utile de préciser que le « Père », avec une majuscule, renvoie à Dieu signale de manière particulièrement évidente la perte d’une culture chrétienne.

Je ne juge pas, je constate. Et comme théologien habitué à m’exprimer dans les médias et sur les réseaux sociaux, je prends note.


À propos de la théologie de Joseph Ratzinger, on peut lire ma série d’articles:

Et à propos du destin post mortel d’un pape, on peut lire mon billet: Le sang de Jean-Paul II à Montréal

François, pape à Rome, je vous dis merci!

Il n’y a pas de hasard.

Vendredi, j’adresse une lettre ouverte au pape François (voir mon billet Lettre à François, pape à Rome à propos de la finale de la coupe du monde de football) pour lui suggérer de partager une théologie évangélique du football.

Dimanche le pape François lance un appel à « célébrer la victoire dans l’humilité » (lire l’article sur le site de TV5 Monde).

Monsieur le pape, cher François, je vous dis simplement merci de m’avoir lu, compris et suivi. Pas pour moi, mais au nom du football.

Lettre à François, pape à Rome à propos de la finale de la coupe du monde de football

Monsieur le pape, cher François,

J’apprends par les médias que vous hésitez à regarder la finale de la coupe du monde de football.

Vous seriez partagé entre votre passion du football avec le plaisir de voir votre pays remporter – peut-être – sa troisième étoile et votre conscience face aux atteintes aux personnes et à la planète que cause cet événement démesuré.

Je n’ai pas de conseil à vous donner, mais une suggestion à vous faire.

Projetez la rencontre dans la basilique Saint-Pierre! Invitez du public! Et profitez de l’occasion pour délivrer un évangile hyperspécialisé avant la rencontre, pendant la mi-temps et après la remise de la coupe!

Vous pourriez parler de fraternité, rappeler qu’on ne joue pas contre une autre équipe mais avec elle. Vous pourriez dénoncer la FIFA comme une nouvelle Babylone. Et, suivant le déroulement de la partie, vous pourriez évoquer la possibilité, peut-être la réalité d’un miracle ou annoncer l’avénement d’un Messi. Enfin aux partisan·es des champions, vous pourriez redire que la vraie couronne est au ciel et aux autres que Dieu est toujours du côté des vaincus.

Avec mon amour en Christ.

Le lavement des pieds: orgueil ou humilité?

Aujourd’hui, dans mon cours « Un christianisme qui fait du bien », deux étudiantes m’ont appris que les Églises catholiques romaines et adventistes pratiquaient ce que le christianisme appelle « le lavement des pieds » (pour ma part, je parlerais plutôt de « lavage des pieds », puisqu’un lavement concerne une autre partie de l’anatomie). Pour mémoire, c’est un geste que l’évangile de Jean attribue à Jésus. Lors de son dernier repas, il aurait lavé les pieds de ses disciples et leur aurait ordonné de faire de même: « Vous devez vous laver les pieds les uns aux autres » (évangile attribué à Jean, chapitre 13).

La pratique adventiste se déroule plusieurs fois par an. Elle est mutuelle, des femmes lavant les pieds d’autres femmes, des hommes d’autres hommes et des couple se lavant réciproquement les pieds.

La pratique catholique du lavement des pieds se déroule une fois par an, le soir du jeudi saint. Elle n’est pas mutuelle ni réciproque. Le pape et des évêques lavent le pied droit de douze personnes « ordinaires ». C’est évidemment un beau geste d’humilité de la part de personnages plus habitués à être servis qu’à servir.

Cependant, le parallèle entre la situation de Jésus — seul, il lave les pieds de douze disciples — et celle du pape et des évêques — seul, chacun lave le pied droit de douze personnes —, associé au souvenir que Jésus présente son geste comme celui d’un « maître » et d’un « Seigneur » qui se fait serviteur me trouble.

La première impression — celle de l’humilité du pape et des évêques — pourrait masquer une autre finalité. Elle pourrait être une manière, d’autant plus efficace qu’elle est non dite, d’établir discrètement le pape et les évêques comme seigneurs et comme maîtres à qui l’on demanderait, une fois par an, de faire preuve d’humilité.

Qui saura me convaincre que j’ai tort ?


P.S. Pour expliquer mon soupçon, je rappelle ce qu’écrivait Pierre Bourdieu et qui s’applique par exemple à la circoncision:

« On peut en effet se demander si, en mettant l’accent sur le passage temporel — de l’enfance à l’âge adulte par exemple —, cette théorie ne masque pas un des effets essentiels du rite, à savoir de séparer ceux qui l’ont subi, non de ceux qui ne l’ont pas encore subi, mais de ceux qui ne le subiront en aucune façon et d’instituer ainsi une différence durable entre ceux que ce rite concerne et ceux qu’il ne concerne pas. » Bourdieu, Ce que parler veut dire, Paris, Fayard, 1982, p. 121.

« Des quantités de choses qui donnent envie d’autre chose »

Dans la dynamique de mon cours Vouloir, pouvoir, devoir transmettre « Dieu » à tous les sens, je propose chaque mercredi matin pendant les prochaines semaines, 12 chroniques réunies sous le titre Les confessions d’un autre pasteur B., en hommage au titre du livre de Jacques Chessex : Chessex, J. (1974). La confession du pasteur Burg. Ch. Bourgois.


2.« Des quantités de choses qui donnent envie d’autre chose »

Oui, je sais, la Réforme protestante supprime tous les intermédiaires supposés — et posés — entre « Dieu » et les êtres humains ; triple refus : d’un homme, le pape, d’une femme, Marie et d’une chose, la messe (Laurent Gagnebin et André Gounelle). Oui, je sais que le protestantisme affirme une relation directe, personnelle et particulière entre chacun·e et son « Dieu ». Oui, je sais que le principe protestant « À Dieu seul la gloire ! » désacralise tout ce qui est créé, que ce soit par l’être humain ou par « Dieu » lui-même. Oui, je sais tout ça.

Ce qui ne m’empêche pas de penser que la relation à « Dieu » passe, passe toujours, passe forcément à travers des artefacts fabriqués par des êtres humains, mais fabriqués parce qu’ils s’imposent à elles, à eux. Des artefacts qui, dans les meilleurs des cas, pointent vers « Dieu », le font rencontrer, en indiquent quelques traits, quelques aspects. Pour le meilleur et pour le pire.

La messe est évidemment un artefact fabriqué surtout par des hommes — trop peu par des femmes — ; elle me signifie que Dieu se transmet en paroles et en gestes, en musique et en silence, en lumière et en couleur, en nourriture et en odeurs. « Marie » est un artefact fabriqué par les hommes — je devrais écrire certains hommes, mais c’est trop général — qui l’ont construite à partir du récit évangélique et de leur désir pour en faire le modèle des femmes que « Dieu » : soumises, disponibles, fidèles, mères et vierges tout à la fois ; mais « Marie » est en même temps un autre artefact, autrement fabriqué pour dire la place des femmes dans le cœur de Dieu, la place de Dieu dans le sein des femmes. Le pape est un artefact fabriqué par les dirigeants d’une Église qui cherchait à mettre « Dieu » dans sa cité, à monopoliser sa parole pour imposer le vrai, le juste, le bien, ou plutôt un « vrai », un « juste », un « bien », son « vrai », son « juste », son « bien ».

Le mot « Dieu » est aussi un artefact fabriqué par des êtres humains et je mets des guillemets pour le protéger. La Bible est aussi un artefact, livre fabriqué par des êtres humains, collection de témoignages où des communautés d’hommes et de femmes racontent leur « Dieu », un « Dieu » qui aime, qui libère, qui ramène à la maison, qui guérit et qui pardonne, mais un « Dieu » qui asservit, qui exile, qui punit, qui détruit.

Comme « il y a des mots qui font vivre » (Paul Eluard), il y a des visages, des images, des objets, des gestes, des goûts et des odeurs qui vivifient, qui me donnent de vivre avec « Dieu ». J’ajoute aussitôt qu’il y en a aussi — y compris parmi les plus religieux, les plus chrétiens et les plus évangéliques — que je trouve mortifères ou qui restent lettre morte.

Je le sais, car j’ai reçu et j’ai transmis et des uns et des autres.


  1. «Paroles, paroles, paroles» (19 février)
  2. «Elle est ailleurs» (4 mars)
  3. «Des quantités de choses qui donnent envie d’autre chose» (11 mars)
  4. «Comme de bien entendu» (18 mars)
  5. «Voir, il faut voir, sais-tu voir?» (25 mars)
  6. «Jolie bouteille, sacrée bouteille» (1er avril)
  7. «Ça se sent que c’est toi» (8 avril)
  8. «Arrête, arrête, ne me touche pas» (22 avril)
  9. «Quand on ouvre les mains» (29 avril)
  10. «Mon coeur, mon amour» (6 mai)
  11. «Quand au temple nous serons» (13 mai)
  12. « Y’a qu’un Jésus digne de ce nom » (20 mai)

Magistère et ministère

En christianisme, on utilise souvent les termes «magistère» et «ministère». Par «magistère», on désigne une autorité, par exemple le pape en catholicisme ou la Bible en protestantisme. Par «ministère», on désigne une fonction, par exemple «les ministères ordonnés» ou le «ministère pastoral».

J’ai longtemps utilisé ces deux termes sans me demander ce qu’ils voulaient vraiment dire. J’associais «magistère» avec quelque chose de plus grand (par association avec méga ou maxi) et «ministère» avec quelque chose de plus petit ou de plus modeste.

Hier, enfin, j’ai vérifié dans le dictionnaire étymologique Littré d’où viennent ces deux termes. Voici ce que j’ai trouvé:

  • Magistère: Provenç. magisteri; espagn. et ital. magisterio; du lat. magisterium, de magister, maître (voy. MAÎTRE).
  • Ministère: Provenç. ministeri; espagn. et ital. ministerio; du lat. ministerium, de minister, ministre. Ministerium avait donné, dans l’ancienne langue, mestier (voy. MÉTIER).

Je n’avais donc pas entièrement tort, mais pas complètement raison.

«Magistère» désigne un maître – par exemple le pape – ou une maîtresse (notez en passant la connotation négative du féminin) – par exemple la Bible –.

«Ministère» désigne un métier – pape, évêque, prêtre, pasteur·e, diacre, mais aussi catéchète, assistant·e de paroisse, organiste, journaliste, secrétaire, concierge, etc. –.

Ces ministres sont toutes et tous ministres de l’Évangile, le seul magistère que je reconnaisse.

Et qui s’impose au pape comme à la Bible.