catholicisme

L’hostie, une passion québécoise

Profitant d’un congé scientifique, je participe au cours Cultures et patrimoines alimentaires : enjeux et opportunités donné par la professeure Julia Csergo (voir sa page personnelle) à l’Université du Québec à Montréal. J’ai l’occasion d’y partager mes recherches sur les patrimoines alimentaires des religions.


Pour présenter l’hostie et pour promouvoir son inscription au patrimoine immatériel du Québec ou à son matrimoine, je reprends le diaporama que j’ai présenté aux étudiant·es.


    Dans la même série:

    Préférer « Le Vatican » à « L’Église »

    La même information figure dans plusieurs journaux avec des titres différents. Un prêtre pourra bénit un couple de même sexe à condition que le rite ne ressemble pas à un mariage religieux et n’accompagne pas un mariage civil. C’est un début… Mais ce qui retient mon attention ce sont les titres données par les journaux.

    Je n’apprécie pas celui du quotidien suisse Le Temps:

    Le Temps, 19 décembre 2023

    « L’Église », mais quelle Église? Petit rappel, beaucoup d’Églises protestantes bénissent les couples de même sexe depuis un certain temps déjà. Il faudrait au moins titré « L’Église catholique » ou mieux « L’Église catholique romaine ».

    Les titres des quotidiens français Libération et québécois La Presse sont bien meilleurs car bien plus précis:

    Libération, 19 décembre 2023
    La Presse, 18 décembre 2023

    « Le Vatican » dit de quelle Église il s’agit et « la bénédiction » dit de quelle ouverture il s’agit.

    Les personnes transgenres ne sont pas plus pécheresses que les autres

    Ainsi, mercredi, l’Église catholique romaine, par son Dicastère pour la doctrine de la foi, a décrété que des personnes transgenres – le texte parle de « transsexuels » – pouvaient être baptisées (voir le document disponible en italien et en portugais sur le site du Vatican).

    Avec un bémol, puisqu’il faut y renoncer si la situation « risque de générer un scandale public ou de désorienter les fidèles ». On est donc prêt à sacrifier des personnes à l’ordre public ou au confort des fidèles.

    Pour justifier sa décision, le Dicastère pour la doctrine de la foi utilise une réflexion d’Augustin d’Hippone, un théologien « algérien » né en 354 et mort en 430.

    « Saint Augustin d’Hippone rappelait cette situation en disant que, même si l’homme tombe dans le péché, le Christ ne détruit pas le caractère reçu par ceux-ci dans le Baptême et cherche (quaerit) le pécheur, dans lequel est imprimé ce caractère qui l’identifie comme sa propriété. » (traduit de l’italien par Reverso.net)

    Je ne vais pas discuter la théologie du baptême développée par Augustin. Je rappelle seulement qu’elle est contextuelle et qu’évidement notre contexte n’a rien à voir avec celui d’Augustin.

    Ce qui me gêne ici, c’est l’utilisation du terme de « pécheur ». Car elle laisse penser qu’un personne transgenre serait spécifiquement une personne pécheresse.

    Je sais que pour Augustin, tous les êtres humains étaient pécheurs ou pécheresses. C’est lui qui a inventé le concept d’un « péché originel » qui se transmettrait dans et par la sexualité. Je sais que pour la théologie chrétienne, nous sommes toutes et tous pécheresses et pécheurs, y compris les personnes transgenres qui le sont ni plus ni moins que toutes les autres.

    Mais je trouve dommage d’associer explicitement le terme de « pécheur » à une catégorie de personnes souvent stigmatisées dans et par l’Église catholique romaine.

    Si les personnes transgenres peuvent participer pleinement à la vie d’une Église chrétienne, c’es tout simplement qu’elles sont des personnes que Dieu aime aussi et exactement comme les autres.

    Les vraies affaires commencent quand la messe est dite

    Je traque les manières dont le sport s’empare de la religion. Notamment l’utilisation de métaphores religieuses dans les médias. Ce matin, c’est dans le quotidien sportif français L’Équipe que je trouve matière à réflexion.

    L’Équipe, 27 mai 2023

    Sans vouloir refaire l’histoire de la Ligue 2 française de football, j’indique que le titre signale qu’il y a toujours de la compétition entre Le Havre et Metz.

    Et sans vouloir refaire la théologie de la messe, j’indique que le titre fait référence à la formule qui concluait la célébration de la messe catholique: « Allez, la messe est dite! » (traduction-adaptation du latin « Ite, missa est »).

    Ce qui m’intéresse? C’est le malentendu sur la valeur de la messe.

    Contrairement à son usage courant, la formule « la messe est dite » ne signifie pas que tout est joué, que plus rien ne peut changer. Au contraire, elle indique que les « vraies affaires » commencent au moment où la messe se termine, où l’on sort de l’église. Conscientisé·es, énergisé·es par la célébration, les fidèles sont appelé·es à aller pour transformer le monde.

    C’est donc quand la messe est dite que tout (re)commence!

    Appropriation civile d’une manière protestante de s’asseoir

    Pour les quatre jours d’un cours intensif sur « Les figures vétérotestamentaires de la cathédrale de Lausanne » à l’Université de Lausanne avec ma collègue Ruth Ebach (Bible hébraïque), je propose quatre billets appliquant deux concepts à la mode — l’appropriation culturelle et la culture de l’annulation — à cet édifice. Que celles et ceux que les deux expressions fâchent pourraient ou devraient lire ces quatre courtes chroniques, ne serait-ce que pour savoir si leur colère est fondée !


    Dès 1536, le protestantisme s’approprie la cathédrale de Lausanne. Il l’aménage conformément à sa théologie et l’adapte à son propre — appropriation ! — usage liturgique. Il en fait un lieu unique pour le culte communautaire. Pour ce faire, il ferme complètement le chœur — pour quelques années, il devient la salle de cours pour former les pasteurs —, ouvre les chapelles latérales, ce qui empêche ou évite les dévotions privées. Il installe contre un pilier de la nef une chaire d’abord en bois puis en pierre où le pasteur monte pour prêcher. Il dispose des bancs en carré autour de la chaire et récupère les stalles des chanoines pour faire asseoir les autorités.

    Manière protestante de s’asseoir

    Le protestantisme met ainsi en scène dans la cathédrale de Lausanne sa conception du culte : il en va d’annoncer « la Parole de Dieu », que les fidèles chantent dans les Psaumes, que l’instituteur — le régent — lit dans la Bible et que le pasteur prêche dans son sermon. Il choisit l’aménagement qui permet de rassembler « le plus de fidèles le plus près du prédicateur », celui qui permet au prédicateur d’être vu, entendu et surtout compris par le maximum de paroissien·nes. Une table en bois placée sous la chaire permet de célébrer la cène, quatre fois par an. Que la chaire domine la table de communion montre que l’annonce de l’Évangile supplante maintenant l’administration du sacrement. Techniquement, on parle de « disposition centrée des bancs », mais le théologien protestant suisse romand Bernard Reymond — L’architecture religieuse des protestants. Genève : Labor et Fides, 1996 — nomme cet aménagement « quadrangle choral » et le juge « typiquement réformé ».

    Pendant des siècles de culte protestant, la cathédrale de Lausanne conserve le même aménagement intérieur. On le retrouve encore en 1960, lors des « funérailles nationales » pour Henri Guisan, général de l’armée suisse pendant la Seconde Guerre mondiale.

    Alexandre Cornu, « Général Guisan, obsèques », avril 1960. Crédit : https://notrehistoire.ch/entries/xXYq4oApWrk

    Manière civile de s’asseoir

    Aujourd’hui — je n’ai pas trouvé la date de la transformation —, la cathédrale de Lausanne propose un autre aménagement. Les bancs — qui en 2022 ont remplacé les chaises de 1913 — sont alignés les uns derrière les autres. Tous regardent vers le chœur où se trouve le « mobilier liturgique », quatre éléments amovibles : au centre une table derrière laquelle la pasteure célèbre la cène ; à droite (côté jardin), un pupitre pour prêcher et pour la liturgie ; à gauche (côté cour), des fonts baptismaux pour célébrer un baptême. Bernard Reymond qualifie ce dispositif en rangées de « perspectivisme romantique » en soulignant qu’il donne à voir dès l’entrée une perspective sur le lieu de culte et sur le culte.

    J’ai écrit « tous regardent vers le chœur », mais ce n’est pas tout à fait exact puisque le dossier des bancs est amovible et qu’il peut être basculé pour « renverser le sens des bancs » et les faire regarder vers le chœur les jours de concerts.

    En conclusion

    • Une appropriation civile d’une manière protestante de s’asseoir représente-t-elle une appropriation culturelle ? J’aurais tendance à répondre oui pour deux raisons. La première correspond à une certaine « culture du patrimoine » qui privilégie l’état original des bâtiments. Le dispositif catholique serait plus légitime parce qu’il serait plus ancien. Mais qu’est-ce qui est légitime, l’ancienneté ou la durée ? Cette cathédrale de Lausanne — elle est la troisième du nom — a été catholique pendant trois siècles et protestante pendant presque cinq, ce qui la rend autant protestante que catholique. Et quel est son « état original », puisqu’elle a été construite et profondément reconstruite : au 15e siècle on supprima par exemple la route couverte qui séparait la tour et la cathédrale et au 19e siècle, on reconstruisit la flèche deux fois ? La seconde raison vient de la fonction culturelle dévolue à la cathédrale. Des rangées de sièges tournés vers le chœur sont mieux adaptées aux spectacles. Et pour les concerts d’orgue, renverser les dossiers des bancs plus faciles à faire que retourner des centaines de chaises. Mais le changement de dispositif n’est pas seulement civil. Il vient aussi d’une réappropriation protestante de la manière de célébrer le culte. Dans la foulée du mouvement Église et liturgie, un certain protestantisme a voulu revenir à un dispositif plus solennel, plus pastoral et plus sacramentaire qu’on a parfois dit plus catholique. En créant une longue allée centrale, des bancs en rangées offrent à la ou au pasteur·e et aux officiant·es, la possibilité de faire une entrée procession. Placer la table de la cène au centre et déplacer la chaire sur le côté centre le culte sur la cène et décale la prédication. Installer les célébrant·es dans le chœur les valorise et rend l’assemblée plus passive, plus auditrice et spectatrice que partie prenante du culte.
    • Faut-il annuler l’appropriation civile d’une manière protestante de s’asseoir ? Non ! D’abord parce qu’il faut reconnaître que la cathédrale de Lausanne est davantage qu’un lieu de culte protestant. Aujourd’hui qu’elle accueille des cérémonies publiques, des manifestations culturelles et des célébrations œcuméniques, il serait illégitime et injuste de vouloir conserver un aménagement qui ne satisferait que le protestantisme. Et encore, les protestant·es apprécient le dispositif en rangées, y compris pour célébrer le culte. Peut-être parce simplement parce qu’il est le mieux adapté à l’architecture du lieu. Mais aussi parce qu’il dégage de l’espace et qu’il permet de déployer de la créativité cultuelle et de varier les formes d’un culte quand on cherche à le renouveler.

    Après avoir lu l’excellent ouvrage Judith Lussier, Annulé(e). Réflexions sur la cancel culture, Montréal, Cardinal, 2021, je précise que ni l’Église catholique-romaine, ni la communauté juive, ni la paroisse de la cathédrale, ni les musées lausannois n’ont demandé à récupérer quoi que ce soit (ajout le 6 janvier 2023).

    Le lavement des pieds: orgueil ou humilité?

    Aujourd’hui, dans mon cours « Un christianisme qui fait du bien », deux étudiantes m’ont appris que les Églises catholiques romaines et adventistes pratiquaient ce que le christianisme appelle « le lavement des pieds » (pour ma part, je parlerais plutôt de « lavage des pieds », puisqu’un lavement concerne une autre partie de l’anatomie). Pour mémoire, c’est un geste que l’évangile de Jean attribue à Jésus. Lors de son dernier repas, il aurait lavé les pieds de ses disciples et leur aurait ordonné de faire de même: « Vous devez vous laver les pieds les uns aux autres » (évangile attribué à Jean, chapitre 13).

    La pratique adventiste se déroule plusieurs fois par an. Elle est mutuelle, des femmes lavant les pieds d’autres femmes, des hommes d’autres hommes et des couple se lavant réciproquement les pieds.

    La pratique catholique du lavement des pieds se déroule une fois par an, le soir du jeudi saint. Elle n’est pas mutuelle ni réciproque. Le pape et des évêques lavent le pied droit de douze personnes « ordinaires ». C’est évidemment un beau geste d’humilité de la part de personnages plus habitués à être servis qu’à servir.

    Cependant, le parallèle entre la situation de Jésus — seul, il lave les pieds de douze disciples — et celle du pape et des évêques — seul, chacun lave le pied droit de douze personnes —, associé au souvenir que Jésus présente son geste comme celui d’un « maître » et d’un « Seigneur » qui se fait serviteur me trouble.

    La première impression — celle de l’humilité du pape et des évêques — pourrait masquer une autre finalité. Elle pourrait être une manière, d’autant plus efficace qu’elle est non dite, d’établir discrètement le pape et les évêques comme seigneurs et comme maîtres à qui l’on demanderait, une fois par an, de faire preuve d’humilité.

    Qui saura me convaincre que j’ai tort ?


    P.S. Pour expliquer mon soupçon, je rappelle ce qu’écrivait Pierre Bourdieu et qui s’applique par exemple à la circoncision:

    « On peut en effet se demander si, en mettant l’accent sur le passage temporel — de l’enfance à l’âge adulte par exemple —, cette théorie ne masque pas un des effets essentiels du rite, à savoir de séparer ceux qui l’ont subi, non de ceux qui ne l’ont pas encore subi, mais de ceux qui ne le subiront en aucune façon et d’instituer ainsi une différence durable entre ceux que ce rite concerne et ceux qu’il ne concerne pas. » Bourdieu, Ce que parler veut dire, Paris, Fayard, 1982, p. 121.