catholicisme

Appropriation civile d’une manière protestante de s’asseoir

Pour les quatre jours d’un cours intensif sur « Les figures vétérotestamentaires de la cathédrale de Lausanne » à l’Université de Lausanne avec ma collègue Ruth Ebach (Bible hébraïque), je propose quatre billets appliquant deux concepts à la mode — l’appropriation culturelle et la culture de l’annulation — à cet édifice. Que celles et ceux que les deux expressions fâchent pourraient ou devraient lire ces quatre courtes chroniques, ne serait-ce que pour savoir si leur colère est fondée !


Dès 1536, le protestantisme s’approprie la cathédrale de Lausanne. Il l’aménage conformément à sa théologie et l’adapte à son propre — appropriation ! — usage liturgique. Il en fait un lieu unique pour le culte communautaire. Pour ce faire, il ferme complètement le chœur — pour quelques années, il devient la salle de cours pour former les pasteurs —, ouvre les chapelles latérales, ce qui empêche ou évite les dévotions privées. Il installe contre un pilier de la nef une chaire d’abord en bois puis en pierre où le pasteur monte pour prêcher. Il dispose des bancs en carré autour de la chaire et récupère les stalles des chanoines pour faire asseoir les autorités.

Manière protestante de s’asseoir

Le protestantisme met ainsi en scène dans la cathédrale de Lausanne sa conception du culte : il en va d’annoncer « la Parole de Dieu », que les fidèles chantent dans les Psaumes, que l’instituteur — le régent — lit dans la Bible et que le pasteur prêche dans son sermon. Il choisit l’aménagement qui permet de rassembler « le plus de fidèles le plus près du prédicateur », celui qui permet au prédicateur d’être vu, entendu et surtout compris par le maximum de paroissien·nes. Une table en bois placée sous la chaire permet de célébrer la cène, quatre fois par an. Que la chaire domine la table de communion montre que l’annonce de l’Évangile supplante maintenant l’administration du sacrement. Techniquement, on parle de « disposition centrée des bancs », mais le théologien protestant suisse romand Bernard Reymond — L’architecture religieuse des protestants. Genève : Labor et Fides, 1996 — nomme cet aménagement « quadrangle choral » et le juge « typiquement réformé ».

Pendant des siècles de culte protestant, la cathédrale de Lausanne conserve le même aménagement intérieur. On le retrouve encore en 1960, lors des « funérailles nationales » pour Henri Guisan, général de l’armée suisse pendant la Seconde Guerre mondiale.

Alexandre Cornu, « Général Guisan, obsèques », avril 1960. Crédit : https://notrehistoire.ch/entries/xXYq4oApWrk

Manière civile de s’asseoir

Aujourd’hui — je n’ai pas trouvé la date de la transformation —, la cathédrale de Lausanne propose un autre aménagement. Les bancs — qui en 2022 ont remplacé les chaises de 1913 — sont alignés les uns derrière les autres. Tous regardent vers le chœur où se trouve le « mobilier liturgique », quatre éléments amovibles : au centre une table derrière laquelle la pasteure célèbre la cène ; à droite (côté jardin), un pupitre pour prêcher et pour la liturgie ; à gauche (côté cour), des fonts baptismaux pour célébrer un baptême. Bernard Reymond qualifie ce dispositif en rangées de « perspectivisme romantique » en soulignant qu’il donne à voir dès l’entrée une perspective sur le lieu de culte et sur le culte.

J’ai écrit « tous regardent vers le chœur », mais ce n’est pas tout à fait exact puisque le dossier des bancs est amovible et qu’il peut être basculé pour « renverser le sens des bancs » et les faire regarder vers le chœur les jours de concerts.

En conclusion

  • Une appropriation civile d’une manière protestante de s’asseoir représente-t-elle une appropriation culturelle ? J’aurais tendance à répondre oui pour deux raisons. La première correspond à une certaine « culture du patrimoine » qui privilégie l’état original des bâtiments. Le dispositif catholique serait plus légitime parce qu’il serait plus ancien. Mais qu’est-ce qui est légitime, l’ancienneté ou la durée ? Cette cathédrale de Lausanne — elle est la troisième du nom — a été catholique pendant trois siècles et protestante pendant presque cinq, ce qui la rend autant protestante que catholique. Et quel est son « état original », puisqu’elle a été construite et profondément reconstruite : au 15e siècle on supprima par exemple la route couverte qui séparait la tour et la cathédrale et au 19e siècle, on reconstruisit la flèche deux fois ? La seconde raison vient de la fonction culturelle dévolue à la cathédrale. Des rangées de sièges tournés vers le chœur sont mieux adaptées aux spectacles. Et pour les concerts d’orgue, renverser les dossiers des bancs plus faciles à faire que retourner des centaines de chaises. Mais le changement de dispositif n’est pas seulement civil. Il vient aussi d’une réappropriation protestante de la manière de célébrer le culte. Dans la foulée du mouvement Église et liturgie, un certain protestantisme a voulu revenir à un dispositif plus solennel, plus pastoral et plus sacramentaire qu’on a parfois dit plus catholique. En créant une longue allée centrale, des bancs en rangées offrent à la ou au pasteur·e et aux officiant·es, la possibilité de faire une entrée procession. Placer la table de la cène au centre et déplacer la chaire sur le côté centre le culte sur la cène et décale la prédication. Installer les célébrant·es dans le chœur les valorise et rend l’assemblée plus passive, plus auditrice et spectatrice que partie prenante du culte.
  • Faut-il annuler l’appropriation civile d’une manière protestante de s’asseoir ? Non ! D’abord parce qu’il faut reconnaître que la cathédrale de Lausanne est davantage qu’un lieu de culte protestant. Aujourd’hui qu’elle accueille des cérémonies publiques, des manifestations culturelles et des célébrations œcuméniques, il serait illégitime et injuste de vouloir conserver un aménagement qui ne satisferait que le protestantisme. Et encore, les protestant·es apprécient le dispositif en rangées, y compris pour célébrer le culte. Peut-être parce simplement parce qu’il est le mieux adapté à l’architecture du lieu. Mais aussi parce qu’il dégage de l’espace et qu’il permet de déployer de la créativité cultuelle et de varier les formes d’un culte quand on cherche à le renouveler.

Après avoir lu l’excellent ouvrage Judith Lussier, Annulé(e). Réflexions sur la cancel culture, Montréal, Cardinal, 2021, je précise que ni l’Église catholique-romaine, ni la communauté juive, ni la paroisse de la cathédrale, ni les musées lausannois n’ont demandé à récupérer quoi que ce soit (ajout le 6 janvier 2023).

Le lavement des pieds: orgueil ou humilité?

Aujourd’hui, dans mon cours « Un christianisme qui fait du bien », deux étudiantes m’ont appris que les Églises catholiques romaines et adventistes pratiquaient ce que le christianisme appelle « le lavement des pieds » (pour ma part, je parlerais plutôt de « lavage des pieds », puisqu’un lavement concerne une autre partie de l’anatomie). Pour mémoire, c’est un geste que l’évangile de Jean attribue à Jésus. Lors de son dernier repas, il aurait lavé les pieds de ses disciples et leur aurait ordonné de faire de même: « Vous devez vous laver les pieds les uns aux autres » (évangile attribué à Jean, chapitre 13).

La pratique adventiste se déroule plusieurs fois par an. Elle est mutuelle, des femmes lavant les pieds d’autres femmes, des hommes d’autres hommes et des couple se lavant réciproquement les pieds.

La pratique catholique du lavement des pieds se déroule une fois par an, le soir du jeudi saint. Elle n’est pas mutuelle ni réciproque. Le pape et des évêques lavent le pied droit de douze personnes « ordinaires ». C’est évidemment un beau geste d’humilité de la part de personnages plus habitués à être servis qu’à servir.

Cependant, le parallèle entre la situation de Jésus — seul, il lave les pieds de douze disciples — et celle du pape et des évêques — seul, chacun lave le pied droit de douze personnes —, associé au souvenir que Jésus présente son geste comme celui d’un « maître » et d’un « Seigneur » qui se fait serviteur me trouble.

La première impression — celle de l’humilité du pape et des évêques — pourrait masquer une autre finalité. Elle pourrait être une manière, d’autant plus efficace qu’elle est non dite, d’établir discrètement le pape et les évêques comme seigneurs et comme maîtres à qui l’on demanderait, une fois par an, de faire preuve d’humilité.

Qui saura me convaincre que j’ai tort ?


P.S. Pour expliquer mon soupçon, je rappelle ce qu’écrivait Pierre Bourdieu et qui s’applique par exemple à la circoncision:

« On peut en effet se demander si, en mettant l’accent sur le passage temporel — de l’enfance à l’âge adulte par exemple —, cette théorie ne masque pas un des effets essentiels du rite, à savoir de séparer ceux qui l’ont subi, non de ceux qui ne l’ont pas encore subi, mais de ceux qui ne le subiront en aucune façon et d’instituer ainsi une différence durable entre ceux que ce rite concerne et ceux qu’il ne concerne pas. » Bourdieu, Ce que parler veut dire, Paris, Fayard, 1982, p. 121.

L’impact des croyances sur l’alimentation

« L’éprouvette » de l’Université de Lausanne m’a proposé de présenter une de mes recherches dans une vidéo de la série « Décrypté ».

Voici le résultat:

« Les meilleures ventes en christianisme »: décembre 2020

J’aurais préféré un livre sur Noël, mais la divine providence a choisi de me faire lire le Missel catholique des dimanches, numéro 1 des ventes dans la catégorie « Christianisme » sur Amazon.fr au mois de décembre.

  • À découvrir le 15 décembre : Le Missel des dimanches 2021. Cerf, 685 pages.

Rappel du projet :

Pour l’année universitaire 2020-2021, je me lance un défi : lire, présenter et commenter chaque 15 du mois le livre classé numéro 1 dans « Les meilleures ventes en christianisme » sur Amazon.fr. Je souhaite ainsi mieux comprendre ce qui du christianisme intéresse les lectrices et les lecteurs. J’ai choisi ce site de vente par correspondance en pensant que son volume de ventes garantit la représentativité du meilleur vendeur. Et je précise que je ne reçois rien, mais que je paye tous les livres que je n’achète pas forcément par correspondance.

Critique fraternelle de l’indulgence plénière accordée à qui souffre du coronavirus

Le décret

Le 19 mars 2020, la Pénitencerie Apostolique de l’Église catholique a publié un décret accordant « le don d’indulgences spéciales […] aux fidèles affectés par la maladie du Covid-19, communément appelée coronavirus, ainsi qu’aux agents de santé, aux membres de leurs familles et à tous ceux qui à n’importe quel titre, également par la prière, prennent soin d’eux » (lire le décret sur le site du Vatican). Je rappelle qu’une indulgence est « la rémission devant Dieu de la peine temporelle due pour les péchés » et qu’elle dépend d’un capital, « le trésor des satisfactions du Christ et des saints », que partage l’Église catholique romaine (Catéchisme de l’Église catholique no 1471). Il y a quelques années, j’avais déjà exposé le système des indulgences sur mon blogue «Luther, réveille-toi, ils sont (re)devenus fous !».

Mais je reviens au décret ! Il accorde l’indulgence plénière :

  1. Aux « fidèles affectés par le coronavirus », aux agents de santé, aux membres de familles et à celles et ceux qui assistent les malades « s’ils s’unissent spirituellement à travers les moyens de communication à la célébration de la Messe, à la récitation du chapelet, à la pieuse pratique de la Via Crucis ou à d’autres formes de dévotion, ou s’ils récitent au moins le Credo, le Notre-Père et une pieuse invocation à la Bienheureuse Vierge Marie, en offrant cette épreuve dans un esprit de foi en Dieu et de charité envers leurs frères, avec la volonté de remplir les conditions habituelles (confession sacramentelle, communion eucharistique et prière selon les intentions du Saint-Père), dès que possible. »
  2. Aux « fidèles qui offrent la visite au Très Saint Sacrement, ou l’adoration eucharistique, ou la lecture des Saintes Écritures pendant au moins une demi-heure, ou la récitation du chapelet, ou le pieux exercice du Chemin de Croix, ou la récitation du petit chapelet de la Divine Miséricorde, pour implorer de Dieu Tout-puissant la fin de l’épidémie, le soulagement pour ceux qui en sont affectés et le salut éternel de ceux que le Seigneur a appelés à lui. »
  3. Au « fidèle sur le point de mourir, à condition qu’il soit dûment disposé et qu’il ait habituellement récité quelques prières de son vivant », même s’il est mort sans recevoir « recevoir le sacrement de l’onction des malades et du viatique ».

Mes commentaires

Quand j’ai lu ce décret, je me suis dit malheureusement encore une fois : « L’Église catholique en est encore là ! ». Encore à estimer que la souffrance peut être rédemptrice ; encore à faire de Dieu un comptable qui récompense chacun·e selon ses bonnes ou mauvaises actions. Encore à s’arroger le pouvoir d’influencer le jugement de Dieu.

Car, sous couvert de compassion, la Pénitencerie Apostolique sous l’autorité du Souverain Pontife profite de l’épidémie de Covid-19 pour tenter de réaffirmer un pouvoir qui lui échappe. Il n’est pas anodin que le décret soit publié en français, en anglais, en chinois (Chine et Taïwan), en italien et en espagnol, soit dans les langues des pays les plus touchés par le Coronavirus. L’Église catholique romaine exploite donc la peur. Elle fait croire que la qualité de la vie après la mort dépend d’elle, qu’elle exerce une influence sur la volonté de Dieu et que Dieu récompense ceux qui lui obéissent.

Elle fixe des conditions qui correspondent toutes à des actes de piété à accomplir exclusivement dans le cadre de l’Église catholique romaine (Messe, Rosaire, chapelet, chemin de croix), sauf la récitation du Credo et du Notre-Père et la lecture de la Bible. À lire le décret, il paraît évident que l’Église catholique romaine considère encore que Dieu lui obéit servilement.

Mais la théologie protestante reconnaît que Dieu dispose d’une souveraine liberté. Elle déclare humblement qu’aucune Église, ni aucune personne, ni aucun objet, ni aucun comportement ne garantit l’indulgence de Dieu. Ma théologie protestante postule que Dieu ne met aucune condition pour que toutes et tous bénéficient de son amour dans sa vie — même dans la souffrance, mais alors malgré la souffrance et contre la souffrance — et aussi — je l’espère, mais je n’ai aucune certitude — au-delà de ma mort.

Ce décret sur les indulgences n’a rien de nouveau. Le système des indulgences contre lequel Luther s’était déjà indigné n’a jamais disparu de l’Église catholique romaine. Il figure toujours dans le Droit canonique (canon 992) et dans le Catéchisme de l’Église catholique (numéro 147). Il refait surface régulièrement. Depuis l’an 2000, la Pénitencerie Apostolique a ainsi déjà publié 22 décrets accordant des indulgences (lire liste sur le site du Vatican).

Œcuménisme

À me lire, on pourrait peut-être penser que je suis peu ou pas œcuménique. Mais c’est tout le contraire. Car l’œcuménisme ne se fait pas entre gens qui sont d’accord, mais il doit se faire malgré les désaccords. Et c’est parce que j’aime aussi l’Église catholique romaine que je suis exigeant avec elle.

Post scriptum

Pour équilibrer mon propos, je signale que selon le portail catholique suisse cath.ch, le 20 mars, soit le lendemain de la publication du décret de la Pénitencerie Apostolique, le pape a déclaré : « Si tu ne trouves pas de confesseur, il faut que tu t’adresses directement à Dieu »… « précisant la nécessité d’aller tout de même se confesser plus tard. » (lire l’article sur cath.ch)

Post post scriptum ajouté le 28 mars 2020

Lire une présentation catholique claire et précise sur les indulgences: « Quelle est la différence entre le pardon des péchés et le don des indulgences? » sur aletheia.org.


Funérailles: une prière (vraiment) universelle

On m’a demandé de rédiger une prière universelle pour les funérailles d’un proche, une prière que devait prononcer un membre de la famille. Sachant que les funérailles étaient catholiques, mais que le défunt et sa famille n’étaient ni catholiques, ni même chrétien·nes, j’ai rédigé un texte qui respecte la forme d’une prière universelle catholique et sur le fond de laquelle puissent s’accorder des personnes venant de divers univers spirituels.

Prions !

Dans la tristesse et dans la peine, en incluant celles et ceux qui n’ont pas pu venir aujourd’hui, nous pensons les unes et les uns aux autres.

Longtemps, nous avons côtoyé NN, notre XX, notre proche, notre ami. Et maintenant, nous devons vivre sans lui. Que nous gardions le souvenir de la personne qu’il a été, dans les bons comme dans les moins bons moments !

Parce que nous sommes dans le deuil, nous nous associons aux personnes qui sont dans le deuil. Qu’elles trouvent la consolation !

Parce que NN a souffert d’un cancer, nous nous associons aux personnes qui souffrent d’une maladie grave, aux personnes qui les aiment, aux personnes qui les soignent et qui en prennent soin. Qu’elles trouvent la force et le repos !

Parce que la vie n’est pas toujours juste, nous nous associons aux personnes écrasées par l’injustice, la faim, la souffrance ou la guerre. Qu’elles trouvent la justice, l’espoir, le changement et la paix !

Parce que nous aimons la vie, nous nous associons à toutes les vivantes, à tous le svivants. Que nous vivions toutes et tous, ici et ailleurs, maintenant et toujours, une vie belle, une vie vraie, une vie pleine, une vie qui vaut d’être vécue !

Amen.