mort

Aurez-vous faim au moment de votre fin?

Dans le cadre d’un repas-science (5 tables de 7 convives, 4 plats et 5 chercheur·es ; chaque chercheur·e discute une thématique avec une table le temps de manger un plat) lors du Festival Histoire et Cité, j’ai proposé de partager nos expériences à propos des derniers repas avant nos fins personnelles. Pour lancer la conversation, j’ai proposé cinq images et posé cinq questions.

Je les partage sur mon blogue pour vous permettre de vous demander si vous aurez faim au moment de votre fin.


Cette installation en 3D de l’artiste suisse Daniel Spoerri (voir sa page sur Wikipédia) met en scène ce qui reste d’un repas après que les convives sont partis.

Daniel Spoerri, Aktion Restaurant Spoerri, 1972. Musée Cantonal des Beaux-Arts, Lausanne

Question 1 : Avez-vous déjà vécu un « repas de la fin de quelque chose » (voyage, travail, études, réunion, etc.) ? Quel était votre sentiment ?


Dans le projet No Seconds, le photographe néo-zélandais Henry Hargreaves (voir sa présentation sur son site) reconstitue les derniers repas de condamné à mort étatsunien·nes.

Assiette en aluminum contenant des tranches de pain, une que de homard, des crevettes et des clams, des frites et de la root beer
Henry Hargreaves, No Seconds, 2013 (https:///henryhargreaves.com)

Question 2 : Qu’aimeriez-vous manger lors d’un repas que vous sauriez être le repas de votre fin ? Pourquoi ces nourritures, ces plats ou ce menu ?


Il y a quelques années, je présentais l’idée de dernier repas et de ses nourritures symboliques à une professeure de gériatrie. Gentiment, elle m’a rappelé que selon toute vraisemblance, mon dernier repas consistera en une injection de solution sucrée ou salée.

Intraveineuse

Question 3 (soufflée par une convive du repas-science) : Le vrai repas de la fin n’est-il pas plutôt celui qui précède l’intraveineuse ? Accepteriez-vous que l’un·e de vos proches préfère la mort à ce mode d’alimentation ?


L’artiste majorquin Joan Costa (voir sa présentation sur son site) a imaginé le « sacré nettoyage » du lendemain de la dernière Cène que Jésus a partagé avec ses disciples. Tous les hommes sont partis, mais il reste des femmes à qui revient la tâche de nettoyer la salle

Joan Costa, Sacrata Neteja L’endemà, 2007. Col·legi de Gandia, Valence

Question 4 : Que faites-vous les lendemains des repas de la fin ? Comment vivez-vous le fait que la vie continue après que quelqu’un·e ou quelque chose est mort·e ?


Ce que l’on ingère peut parfois provoquer la mort. Et dans le cas d’un suicide, assisté ou non, quand la mort est planifiée, il devient possible d’organiser un repas de la fin, de choisir un menu, des convives, un cadre, etc.

Question 5 : Pouvez-vous imaginer organiser un repas de la fin pour vous ou pour un·e proche ? Avez-vous déjà participé à un tel repas ? Si l’on vous y invitait, y participeriez-vous ?


C’était déjà la troisième fois que l’Université de Lausanne me demandait de participer à une activité autour de la nourriture et de la mort. On peut retrouver des traces de mes deux précédentes interventions :

La mort racontée aux enfants

Il est parfois difficile de discuter de la mort d’un proche à de jeunes enfants. Cette histoire pourrait vous aider.

Quand leur grand-maman est morte, Louise et Michel ont dit :

Elle va nous manquer, Mamou ! On ne pourra plus jouer avec elle.

Elle n’était pas si vieille, Mamou. Ce n’est pas elle qui devait mourir la première.

Tu dis que Mamou, elle est montée au ciel. Mais c’est où le ciel ?

Leur papa leur a expliqué :

« Votre Mamou était chrétienne ; elle pensait qu’existait quelqu’un de bien plus grand qu’elle, quelqu’un qui s’intéressait à elle, quelqu’un qui l’aimait et qui l’aidait. Elle l’appelait “Dieu” et elle lui faisait confiance. Elle lisait un livre qu’on appelle la Bible qui l’aidait à comprendre comment on peut vivre quand on fait confiance à Dieu. Alors, je vais répondre à vos questions, à vos remarques, comme votre Mamou aurait pu et comme la Bible pourrait y répondre :

Elle vous aurait dit : la mort, c’est triste et ça finit toujours par arriver.

Elle vous aurait dit : il ne faut pas vous inquiéter.

Elle vous aurait dit : je vous manque et vous me manquez. Moi aussi, je regrette de ne plus pouvoir jouer avec vous, manger avec vous, danser avec vous.

Elle vous aurait dit : un jour, nous nous retrouverons. Un jour, nous nous reconnaîtrons et nous recommencerons à jouer, à manger, à nous promener.

Elle vous aurait dit : mon corps est sous la terre. Mais quelque chose de moi est ailleurs.

Elle vous aurait dit : je suis maintenant libre comme un oiseau.

Elle vous aurait dit : on peut penser que je suis au ciel, parce que le ciel est partout. Parce qu’il n’y a pas un endroit sur terre où il n’y a pas de ciel.

Elle vous aurait dit : je suis aussi dans vos cœurs et dans vos souvenirs. Je suis avec vous quand vous jouez aux jeux auxquels nous avons joué ensemble, quand vous mangez les plats que je cuisinais pour vous, quand vous écoutez les chansons que j’aimais écouter. »

Pour Vendredi saint, la question qui tue!

Si tu n’as pas été crucifié·e à 33 ans, as-tu raté ta vie?

Discuter de la vie, de la mort (subie ou choisie), de ce qu’il y a ou n’y a pas après

Je partage ici une animation que j’ai expérimentée dans le cadre d’un repas-sciences « La dernière pilule » jeudi 11 novembre 2021 de 19 h à 22 h à la Ferme des Tilleuls, Renens (Vaud) dans le cadre de l’exposition Happy Pills.

Le thème

« Lorsqu’on arrive au bout du bout, que le corps et l’esprit ne résistent plus, lorsqu’on fait des choix de parcours de vie ou de mort, il y a la possibilité, l’éventualité d’une dernière pilule. Celle qui clôt le tout, qui met un terme à nos existences et à ses souffrances. Celle qui redonne aussi parfois des perspectives, qui apaise, qui délivre. Venez partager vos visions de ces fins avec un·e praticien·ne qui côtoie la mort au quotidien et évoquer les multiples facettes de nos morts avec des chercheur·euse·s qui les étudient sous toutes les coutures et coutumes. » https://www.eprouvette-unil.ch/evenement/repas-sciences-2-la-derniere-pilule/

Le déroulement du repas-sciences

  • Trois ou quatre chercheur·es animent trois ou quatre tables de six à huit personnes.
  • Le repas compte trois plats, si possible adaptés au thème.
  • Un·e chercheur·e fait discuter une table pendant le temps d’un plat (20 à 30 minutes).
  • À chaque plat, les chercheur·es changent de table et recommencent la même animation.
  • Chaque table rencontre donc trois chercheur·es et discute du thème à partir de trois points de vue différents.

Mon animation

Faire discuter librement à partir de citations tirées de la Bible, d’ouvrages de théologie et de la popculture.

Trois exemples de citations

  • Tirée de la Bible

« Car, pour moi, la vie c’est le Christ, et la mort est un gain. Mais si vivre ici-bas me permet encore d’accomplir une œuvre utile, alors je ne sais pas quoi choisir. » Le Nouveau Testament, lettre de Paul aux Philippiens

  • Tirée d’un livre de théologie

« La très ancienne bénédiction biblique, qui reposa finalement sur Job après bien des tourments — mourir rassasié de jours —, a viré au supplice. Il faudrait pouvoir mourir en sortant de table, après avoir rendu grâce. Au lieu de quoi on nous ligote à notre chaise et nous voilà punis, condamnés à rester à la table d’un interminable repas. Si bon qu’il fût, on est écœuré à la seule vue des restes. » Müller-Colard, M. (2014). L’autre Dieu : La plainte, la menace et la grâce. Labor et Fides

  • Tirée de la popculture

« Quand il n’y aura plus rien qui chavire et qui blesse et quand même les chagrins auront l’air d’une caresse, quand je verrai ma mort juste au pied de mon lit, que je la verrai sourire de ma si petite vie, je lui dirai “écoute ! Laisse-moi juste une minute…” » Bruni, C. (2002). La dernière minute : Vol. Quelqu’un m’a dit [enregistré par C. Bruni]. Naïve.

À télécharger à l’adresse: https://olivierbauer.files.wordpress.com/2021/11/bauer_animation_mortvie_2021.pdf

Livre # 5 le 1er août 2021: « Où cours-tu? Ne sais-tu pas que le monde est en toi? »

Août 2021

Christiane Singer (2001), Où cours-tu ? Ne sais-tu pas que le monde est en toi ? Livre de Poche, 153 pages.

Une citation percutante

« La devise des grandes entreprises de pompes funèbres américaines : “Mourrez et nous ferons le reste” est dans notre société contemporaine transformée en un : “Naissez et nous ferons le reste !” J’entends là un ordre diabolique de dépossession. Voilà ce pacte qu’à un moment donné nous avons conclu : “Tu promets d’oublier que tu es un enfant de Dieu et de devenir un malheureux citoyen ?” “Oui, je promets.” “Tu promets d’oublier que le monde t’a été confié et de sombrer dans une impuissance profonde ?” “Oui, je promets.” “Tu promets de toujours confier à quelqu’un d’autre la responsabilité de ta propre vie, à ton époux, à un professeur, à un prêtre, ou à un médecin ou, en cas d’émancipation ou d’athéisme, à la publicité ou à la mode ?” “Oui, je le jure.” Ce qui a l’air d’une parodie est la réalité de notre existence. La plus grande part de notre énergie, nous l’utilisons pour oublier ce que nous savons. » (p. 58)

Le livre

Le titre du livre vient d’une citation du mystique allemand Angelus Silesius (1624-1677) : « Arrête, où cours-tu donc, le ciel est en toi : et chercher Dieu ailleurs, c’est le manquer toujours », une citation offerte à Christiane Singer par Hildegund Graubner, elle tient à la nommer.

Ce qui forme le livre, c’est la réunion de 14 courts textes écrits ou prononcés par Christiane Singer à diverses occasion et, probablement, à divers moments de son existence. Ce qui forme le livre, c’est une seule conviction : rien ne sert de s’enfuir, il faut faire face, car, pour le meilleur et pour le pire, le monde est en chacun·e de nous, le monde est ce que j’en fais. Voici, en quelque mots, comment l’autrice décline cette conviction.

  1. « Où cours-tu ? Ne sais-tu pas que le ciel est en toi ? ». Il convient de dépasser la lamentation et l’indignation pour s’engager dans la transformation : « tout ce que je ne mettrai pas au monde de gratitude et de célébration n’y sera pas. » (p.15)
  2. « Les sens nous livrent le sens ». On ne peut percevoir le monde à travers les écrans. C’est en touchant, c’est en sentant que l’on peut faire l’expérience de Dieu, que l’on peut « naître à ce qui est. » (p.26)
  3. « La traversée de la nuit ». Contrairement à ce que la rationalité veut nous faire croire, le réel est toujours en mouvement, il est toujours fait d’antagonismes : « l’aspect caché/l’aspect visible, le clair/l’obscur, le dedans/le dehors, la vie/la mort. » (p.31)
  4. « Le sens de la vie ». Certes, un mur sépare les mondes visibles et invisibles, mais il suinte le sens comme d’autres murs l’humidité. La vie est un nœud ; comme « tu ne sais jamais à quoi le fil que tu tiens est relié de l’autre côté », il te faut faire de chaque geste, de chaque mot l’instant de ton salut (p.45).
  5. « Les corps conducteurs ». C’est de l’amour qu’il est question ; de l’amour, « notre état naturel » (p.54) ; de l’amour, éros et tendresse ; de l’amour entre quatre êtres irrémédiablement autres : soi-même et la personne qui est aimée, la personne qu’on aime et la personne aimée.
  6. « Parle-moi d’amour ». « Notre ordre social et industriel » (p.61) cherche à éteindre dans les regards des animaux et des enfant les signes de la Présence.
  7. « Histoire d’enfants ». Inspirons-nous des enfants qui sont heureux simplement parce qu’ils sont vivants.
  8. « La mémoire vive ». La mémoire qui fait vivre, c’est celle des cœurs qui continuent de battre et qui « perpétuent le code secret de la résurrection » (p.89) plutôt que celle qui commémore la méchanceté, l’acharnement, la cruauté, la guerre, la haine, ou le matérialsime.
  9. « Utopie ». Je dois me mettre en marche car je peux être le cocréateur du devenir d’un monde de lumière… tout en sachant qu’évidemment, je n’y parviendrai pas.
  10. « Le massacre des innocents ». « Le monde du dehors ne reflète que l’état du monde intérieur. » (p.99)
  11. « La leçon de violon ». Comme le violon permet la musique, la matière permet d’atteindre ce qui est caché, « ce monde vibrant et divin » (p.122) ; l’invisible se rend visible, l’inaudible audible, la non-saveur saveur, l’incaressable tangible.
  12. « Les deux sœurs ». La vie et la mort vont main dans la main ; ainsi la mort « remet la vie en marche » (p.127), m’arrache « ce que je crois posséder » (p.130), « déchire les entraves qui nous empêchent d’aller vers autrui » (p.131).
  13. « Les saisons du corps ». La vie suit toujours son cours ; elle « ne commence de faire mal que si nous ne nous laissons pas porter par son courant » (p.134).
  14. « Un autre monde est possible ». Il n’est pas à chercher vers l’avenir, mais vers l’invisible.

Et le christianisme dans tout cela ? Le livre de Christiane Singer est pétri de références bibliques et théologiques. Parfois explicites, souvent allusives. C’est un livre nourri par une confiance en Dieu ; Dieu qui peut porter d’autres noms, Dieu qui dépasse et déborde largement les bornes que le christianisme veut lui fixer. « Déborde » ou « dévore » comme me l’a suggéré le correcteur d’orthographe, excellent théologien pour me proposer cette image de Dieu qui dévore les limites qu’on prétend lui fixer.

Ce qui peut séduire

Le livre étant déjà ancien et n’ayant figuré que très brièvement parmi les meilleurs ventes sur Amazon.fr, je peux imaginer qu’une occasion spéciale – un groupe de lecture, une formation, etc. – en ont favorisé la vente. Ce qui est une très bonne nouvelle pour un livre aussi important.

Mon avis

(+)

J’aime la manière dont Christiane Singer tisse des liens entre les mondes visibles et invisibles.

J’aime quand elle écrit qu’elle n’a « plus l’ambition d’avoir raison » (p.89), qu’il lui « importe peu de persuader qui que ce soit de quoi que ce soit » (p.90), qu’il « ne s’agit pas d’être effleuré par cette “thèse intéressante” mais d’être atteint dans la chair de sa chair » (p. 101).

J’aime l’impressionnante culture de Christiane Singer, à la fois musicale et littéraire, spirituelle et  philosophique, sa fine connaissance des religions, christianisme, judaïsme, islam, hindouisme et bouddhisme. Une culture non pas livresque, jamais pédante mais qu’elle utilise en cas de nécessité, c’est-à-dire quand la vie et la mort la réclame.

(-)

Je cherche encore les moins !

L’autrice

Dans son texte, j’ai découvert que Christiane Singer est née et a grandi à Marseille ; que son père a vécu à Vienne et qu’il a voulu mourir debout à 93 ans ; qu’elle a une grande sœur ; qu’elle a des fils dont un s’appelle Raphaël ; qu’elle vit à Rastenberg dans une maison avec un tilleul et des vaches, non loin de la tombe de la mère d’Adolf Hitler ; qu’elle soigne et qu’elle intervient dans des séminaires de soignante·es ; qu’elle se sent redevable de l’enseignement du comte von Durkhiem, un personnage complexe dont il vaut la peine de lire la biographie, par exemple sur Wikipedia.

La notice biographique m’a en outre appris qu’elle est née en 1943, qu’elle a enseigné à l’université et qu’elle est morte à Vienne en 2007. L’encyclopédie Wikipedia lui consacre une courte notice : « Christiane Singer ».

La maison d’édition

Le livre a d’abord paru aux éditions Albin Michel, dans le département « Spiritualités ». C’est la version « de poche » qui figure en tête du palmarès des ventes. Je n’ai pas grand chose à écrire sur Le Livre de Poche, sinon à rappeler que la maison d’édition republie en petit format et à moindre prix des livres à succès.


Ouvrages déjà traités:

Pour une mort qui n’est pas escamotée, visionnez « Death, Through a Nurse’s Eyes »!

Je reviens un instant sur l’éventualité d’une mort escamotée par les médias (voir mon article La mort escamotée?). Ce matin, Nicolas Demorand, coanimateur du 7-9 sur France Inter, signalait un court documentaire mis en ligne sur la page Opinion du New York Times:

Sockton, A., & King, L. (2021, février 24). Death, Through a Nurse’s Eyes. In Opinion Video. The New York Times. https://www.nytimes.com/2021/02/24/opinion/covid-icu-nurses-arizona.html

« The short film above allows you to experience the brutality of the pandemic from the perspective of nurses inside a Covid-19 intensive care unit. »
« Le court métrage ci-dessus vous permet de faire l’expérience de la brutalité de la pandémie, du point de vue des infirmières dans une unité de soins intensifs COVID-19 »

Mêlant des images filmées par une caméra fixée sur le ventre d’infirmières, les témoignage de ces mêmes infirmières et le récit d’un narrateur, cette courte vidéo (15 min. et 10 sec.) fait voir et entendre les derniers moments des malades et les soins qui leur sont prodigués.

Elle permet de partager les derniers moments des malades et l’engagement des soignantes.

Elle permet de comprendre ce que signifie mourir, mourir de la COVID-19 et mourir loin de sa famille – qui ne peut être présente qu’en visioconférence -, et sans les rites auquel on tient – le sacrement des malades est administré seulement par téléphone -.