théologie

Faire la différence entre «biblique», «théologique», «religieux» et «chrétien» (attention billet universitaire)

  1. Mes étudiant·es ont tendance à confondre entre «biblique» et «théologique». Iels qualifient de bibliques des affirmations, des valeurs, des pratiques qui ne découlent pas de la Bible, mais qui sont théologiques puisqu’elles dépendent d’une réflexion sur les relations à Dieu menée à partir d’une relation à Dieu ; elle est certes nourrie par la Bible, mais aussi par d’autres connaissances, scientifiques par exemple, par des héritages et des traditions ecclésiales, par la pensée de théologien·nes ou par l’expérience personnelle.
  2. La semaine passée, l’actualité religieuse m’a rappelé l’importance de cette distinction et m’a fait prendre conscience de celle d’une autre. Commentant une cérémonie dans le palais parisien de l’Élysée, le grand rabbin de France Haïmes Korsia explique dans le quotidien français Libération: «J’ai allumé la première bougie de la fête de Hanoukka, qui n’a rien de religieuse puisque ce n’est pas une fête biblique.» (Libération, samedi 9 et dimanche 10 décembre, page 9)
  3. Je ne connais pas suffisamment le judaïsme pour commenter cet avis, même s’il me semble qu’il y a bien du religieux juif non biblique. Et qu’il y a du religieux en dehors judaïsme comme il y en a en dehors du christianisme.
  4. Ce qui m’intéresse, c’est qu’une certaine théologie protestante repose sur une logique similaire : ce qui n’est pas biblique n’a rien de chrétien et ce qui prétend être chrétien doit être biblique. D’où un besoin parfois obsessionnel de légitimer toutes les affirmations théologiques par un ou, mieux encore, des versets bibliques.
  5. Comme la confusion entre le «biblique» et le «théologique», la réduction du «chrétien» au «biblique» m’apparaît fausse. D’abord parce que le christianisme déborde largement la Bible, de la primauté de l’évêque de Rome au déroulement des célébrations en passant par la fête de Noël ; ensuite parce que la Bible n’est pas toujours très chrétienne : des pères ont des relations sexuelles avec leurs filles, Jésus sacrifie un troupeau de cochon pour éliminer des démons et l’esclavage ne dérange pas Paul.
  6. Certes, le christianisme est biblique, mais il est aussi théologique en ce sens qu’il repose sur 2000 ans de réflexions sur ce qu’est une relation à Dieu à la suite du Christ ; et ces réflexions sont toujours à recommencer dans des circonstances toujours nouvelles.
  7. Et je dois encore résister à réduire le « chrétien » à ma propre théologie.

Un 11e truc pour patienter jusqu’à Noël… et en susciter le désir (bonus)

En bonus, je donne un onzième truc pour patienter jusqu’à Noël et tenter d’en créer le désir : lire dans la Bible les deux récits de la naissance de Jésus. Ils se trouvent dans la deuxième partie de la Bible (le Nouveau Testament) dans les évangiles de Matthieu et de Luc, aux chapitres 1 et 2. On peut les lire sur le site Lire la Bible, proposé par l’Alliance biblique française. Pour les trouver, il suffit d’écrire dans la fenêtre de recherche Matthieu 1 ou Luc 1. Par défaut, le site propose la traduction de la Nouvelle Bible en français courant, une bonne traduction pour les débutant·es ; mais on peut en choisir d’autres. Pour accompagner la lecture, je propose quelques réflexions sur ces deux textes.


Pourquoi le Nouveau Testament contient-il quatre évangiles et non pas un seul ?

Au début de son évangile, « Luc » (avec guillemets parce qu’il n’est pas certain que « Luc » est un seul auteur) écrit :

« Plusieurs personnes ont entrepris d’écrire le récit des événements qui se sont passés parmi nous. Elles ont rapporté les faits tels que nous les ont racontés ceux qui les ont vus dès le commencement et qui ont été chargés d’annoncer la parole de Dieu. C’est pourquoi, à mon tour, je me suis renseigné exactement sur tout ce qui est arrivé depuis le début ; et il m’a semblé bon, très cher Théophile, d’en écrire pour toi le récit suivi. Je le fais pour que tu puisses reconnaître la solidité des enseignements que tu as reçus. »

Ce qui nous apprend (1) qu’il y a, dès le début du christianisme, beaucoup d’évangiles ; (2) que « Luc » n’est pas un témoin oculaire ; (3) qu’il a fait un travail de recherche ; et (4) qu’il a construit son propre récit. Ce qui me laisse penser, mais je lis entre les lignes, que « Luc » n’était peut-être pas d’accord avec les autres récits ; qu’en ordonnant son récit, il a voulu corriger les enseignements reçus par Théophile (un prénom qui signifie « celui qui aime Dieu ») !

Comme quatre barrières, quatre évangiles délimitent un champ de croyances assez grand pour donner une bonne dose de liberté. Comme les quatre points cardinaux, quatre évangiles indiquent quatre directions pour permettre des voyages spirituels nombreux et variés.

Comment s’est passée la naissance de Jésus ?

Pour comprendre l’espace qu’ouvrent les évangiles, les directions qu’ils indiquent, je m’arrête sur la naissance de Jésus (la période s’y prête). Premier constat : deux évangiles (« Marc » et « Jean ») n’en parlent pas, deux évangiles (« Matthieu » et « Luc ») l’évoquent ; ce qui donne une première liberté, celle d’être chrétien·ne sans s’intéresser la naissance de Jésus. Deuxième constat : « Matthieu » et « Luc » ne proposent pas le même récit de cette naissance de Jésus ; je souligne quatre différences en quatre questions.

  1. Comment expliquer que celui connu comme « Jésus de Nazareth » soit né à Bethléem ? Selon « Matthieu », Jésus naît à Bethléem ; sa famille s’enfuit en Égypte ; et quand elle revient, elle s’installe à Nazareth. Selon « Luc », les parents du futur Jésus habitent Nazareth ; ils doivent aller à Bethléem pour se faire recenser.
  2. À qui l’ange donne-t-il le sens de la naissance de Jésus ? Selon « Matthieu », un ange informe Joseph dans un songe. Selon « Luc », un ange dialogue avec Marie durant sa grossesse ; au moment de l’accouchement, l’armée des anges apparaît aux bergers dans une grande lumière
  3. De Marie et Joseph, qui a le premier rôle ? Chez « Matthieu », c’est Joseph ; c’est lui qui reçoit les explications, lui qui endosse le rôle du père, lui qui protège la famille, lui accomplit les prophéties de l’Ancien Testament. Chez « Luc », c’est Marie ; c’est elle qui se fait servante de Dieu, elle qui donne son ventre et sa réputation pour réaliser le projet de Dieu.
  4. À qui est adressée la nouvelle de la naissance ? Selon « Matthieu », ce n’est pas au roi des juifs ni aux théologiens de Jérusalem, mais à des savants venus d’Orient. Selon « Luc », ce n’est pas aux autorités religieuses ni aux gens bien, mais aux bergers connus pour être louches, sales et marginaux.

« Matthieu » et de « Luc » sont-ils parfois d’accord ?

Au-delà des différences, les récits de « Matthieu » et de « Luc » concordent sur bien des points. J’en relève cinq : (1) un bébé naît ; (2) il a une maman humaine et un papa humain ; (3) il est en même temps fils de Dieu ; (4) il faut une intervention divine pour faire comprendre ce qui se passe ; et (5) cette bonne nouvelle (sens du mot « évangile ») touche d’abord des gens que l’on n’attendrait pas : proches, mais bizarres comme les bergers ou intelligents, mais lointains comme les savants.

Tout ça pour quoi ?

Tout ça d’abord pour relativiser l’importance de Noël.

La particularité du christianisme, c’est d’affirmer que Jésus est Dieu ; pour connaître Dieu, il suffit de connaître Jésus ; et pour connaître Jésus, il suffit de lire les quatre évangiles. Mais justement, on trouve dans les évangiles trois manières de dire que Jésus est Dieu et Paul en propose encore une quatrième. Je reprends les choses dans l’ordre chronologique : pour Paul (dans les années 50) Jésus devient Dieu à sa résurrection, vers 33 ans ; pour « Marc » (dans les années 60) c’est à son baptême, vers 30 ans ; pour « Matthieu » et « Luc » (dans les années 80), c’est dès sa conception ; pour « Jean » (dans les années 100), Jésus a toujours été Dieu, dès le commencement. J’en tire deux conséquences : Noël n’est qu’une manière parmi d’autres de dire la divinité de Jésus. « Matthieu » et « Luc » en force l’humanité de Jésus ; en lui, Dieu vit toute la vie d’un être humain, de la naissance à la mort, et pas dans les meilleures conditions.

Tout ça ensuite pour relativiser notre rapport à la Bible.

Parce que la bonne nouvelle concerne chacune et chacun, bergers, savants et chaque lectrice et lecteur des évangiles, elle s’adapte en fonction des auditoires : la naissance de Jésus n’est pas annoncée de la même manière aux bergers et aux savants et « Luc » ne raconte pas la vie de Jésus à Théophile comme « Matthieu », « Marc » ou « Jean » la racontent à leurs propres lectrices et lecteurs. Dès l’origine, le christianisme pose un principe universel : Dieu ne s’adresse pas de la même manière aux gens du 1er ou du 21e siècle, pas de la même manière à Antananarivo, Bruxelles, Kinshasa, Lausanne, Montréal ou Paris. Au cœur du christianisme, il y a un homme, pas un livre ; ce qui révèle Dieu est un qui pas un quoi, Jésus, non pas la Bible ; la Bible est un bon témoignage de qui Dieu est, de ce que dieu fait, de ce que Die veut, ni plus ni moins. Dieu continue à nous parler encore aujourd’hui par son Esprit (témoignage intérieur du Saint-Esprit).

Tout ça surtout pour donner une liberté dans la foi .

En conservant quatre évangiles, le christianisme a délimité un champ de croyances assez grand pour garantir la liberté; les quatre évangiles indiquent quatre directions qui permettent des voyages spirituels nombreux et variés.

Chanter malgré tout

Je me suis toujours demandé pourquoi, lors du culte, je chante même des chants dont les paroles sont à l’opposé de ma théologie: trop machistes, trop sacrificielles – ah le sang de Jésus qui lave les péchés -, exaltant trop un Dieu Tout-Puissant, rabaissant trop l’être humain, concevant trop la vie de foi comme un combat – ah, « veille et prie et sois fervent, combat sans relâche! » -, j’en passe et des pires.

Pour me justifier, je me dis que je m’implique moins dans ce que je chante que dans ce que je dis. J’aime chanter certains cantiques simplement pour leur mélodie et pour leur rythme.

Récemment, j’ai réalisé que chanter et chanter ces répons grégoriens, ces psaumes de la Réforme, ces hymnes du Réveil, ces chants de Taizé, ces chansonnettes contemporains me rattache à une longue tradition. Cela me rappelle tout ce dont mon christianisme hérite. Et, curieusement, quand il s’agit de chanter, ce lien me semble plus important que toute rectitude théologique.

Je ne suis pas certain d’avoir raison, mais je sais que ça me fait du bien.

La théologie de ChatGPT (#1)

J’ai posé à ChatGPT, cet « agent conversationnel utilisant l’intelligence artificielle » (Wikipedia) une première question théologique, très basique. Et voici ce qu’il m’a répondu:

Généré sur https://talkai.info/fr/

Il n’a pas tort, mais ce serait évidemment un peu court comme travail universitaire.

ChatGPT peut-il faire mieux? A-t-elle ou il (pourquoi un « agent » plutôt qu’une « agente »?) malgré tout des croyances personnelles? Peut-il les prouver par des preuves scientifiques? Je le lui demanderai de temps en temps.

Mon programme de février 2023: alimentation, catéchèse et théologie interculturelle

Je serais heureux d’accueillir celles et ceux qui sont à Lausanne ou peuvent y passer dans mes activités du mois de février. Elles prolongent la théologie que je fais sur mon blogue.

Conférences

Le matin du jeudi 2 février à l’Université de Lausanne, je présente le carnisme chrétien et sa contestation dans une formation continue « Alimentation et société: du Moyen Âge à nos jours » organisée par la Section d’histoire de l’Université de Lausanne.

Le lundi 27 février à 14h30 à Lausanne, je donne une conférence sur les relations entre alimentation et religions à Connaissance 3, l’Université des seniors du canton de Vaud.

Cours

Dès le 20 février, je recommence à donner des cours de théologie pratique. Ils sont ouverts aux auditrices et aux auditeurs libres.

Au Bachelor/Premier cycle:

Et pour la seconde fois, un cours transdisciplinaire « Penser le sport en le pratiquant » où une vingtaine d’étudiant·es et une douzaine de spécialistes du sport apprennent et enseignent tout en courant au bord du lac Léman! (voir la présentation du cours en 2022)

Au Master/Cycles supérieurs:

  • « Produire un épisode de sa propre websérie théologique, » un tout nouveau cours à option pour les étudiant·es de 4e et 5e années.

Colloque

Enfin, j’organise un colloque sur la théologie interculturelle » avec des chercheur·es venant de Suisse, de France, du Cameroun, de la République du Congo et du Québec (8-10 février à l’Université de Lausanne).

Programme du colloque "Dresser un état de la recherche en théologie interculturelle" Université de Lausanne du 8 au 10 février 2023

Celles et ceux que cela intéresse peuvent lire mon billet Voici comment un professeur à l’Université de Montréal occupe son temps de travail. où j’expliquais la répartition de mon temps de travail alors que j’étais professeur à l’Université de Montréal en 2014.

Ne pas lire mon blogue; des raisons proposées par des personnes rempli·es de l’amour de Dieu

Mon billet «Vers un “Notre Père-Mère” plus inclusif : 2 propositions» et ma tribune dans La Croix «Pour un Notre Père plus inclusif» m’ont valu une avalanche de commentaires souvent très désobligeants (on peut les lire à la suite du billet). Ils m’ont aussi valu quelques billets de blogues du même acabits. J’en ai repéré trois particulièrement intéressants.

  • Le site ripostecatholique.fr (le nom donne une indication sur ses convictions) pratique l’ironie en évoquant une transformation de l’Ave Maria «Priez pour nous pauvres pécheresses». J’en profite pour répondre à la question: « Le plus vite possible. »
  • Sur l’Observatoire du décolonialisme et des idéologies identitaires (il les repère pour les dénoncer), Guillaume Pronesti consacre un long article en cinq points et une caricature — «Théologien “inclusif”, ou le Cuistre en croix» — pour dénoncer en bloc et de manière détaillée tout mon blogue, toute ma théologie, tout mon protestantisme, tout mon enseignement et toute ma vie spirituelle. Si vous n’aimez pas mon blogue, vous y trouverez des arguments confirmant que vous avez raison. Et si vous aimez mon blogue, je vous recommande de le lire attentivement pour développer votre esprit critique.
  • Sur Causeur.fr, Étienne Moreau me classe parmi les « Certains théologiens [qui] ont décidé de rompre avec la tradition chrétienne et de s’attaquer au “patriarche” suprême en réécrivant la prière fondamentale des fidèles, “Notre Père”. » Je n’ai pas pu lire l’article qui est réservé aux abonnés, mais j’ai apprécié le titre: « Pauvre prêcheur« . [ajout le 2 novembre]

La plupart des commentaires viennent de personnes qui s’affirment chrétiennes et qui les font au nom de la foi chrétienne. J’espère au moins que dire du mal leur fait du bien.