« Une lectrice régulière » de mon blogue m’a envoyé la photographie d’une affiche en me demandant de la décrypter. J’ai choisi à le faire avec quelques un·es des étudiant·es de mon cours d’introduction à la théologie pratique. Merci donc à Jade, Maeva, Nathan et Yannick.
Nos remarques générales
En Suisse, le 5 mars 2023 est la « journée des malades ».
« Culte », « temple », « paroisse », autant de termes qui disent le christianisme et le protestantisme.
L’affiche dit où le culte se passera — Corsier et Corseaux sont deux villages proches de la vile de Vevey —, mais ne dit pas à quelle Église la paroisse appartient.
« Invitez du monde » dit que l’affiche s’adresse aux habitué·es à qui l’on demande d’élargir le cercle, dans « le monde » que le Nouveau Testament oppose parfois aux disciples de Jésus.
Notre analyse
Le point le plus intéressant et potentiellement le plus problématique est cette expression : « culte avec prière pour la guérison ». Est-elle trop ambitieuse ? Est-elle irréaliste ? Est-elle trompeuse ?
Nous avons noté que…
La guérison est attachée à la prière, non pas au culte et quelle est donc laissée à Dieu à qui la prière sera probablement adressée.
La guérison n’est pas garantie ; c’est une prière pour la guérison, pas une prière de guérison.
Le type de guérison n’est pas précisé ; la guérison pourrait advenir dans les trois ordres de la santé : guérison physique, psychologique, spirituelle.
La manière dont la guérison pourrait arriver reste ouverte : par un miracle, une opération, un médicament, une bonne hygiène de vie, etc.
Nous avons encore discuté de l’image, de la croix coupée en deux.
En soi, la croix est un symbole de violence, de souffrance et de mort. Pour le christianisme, elle signale aussi que Dieu reste présent·e avec celles et ceux qui sont victimes de violence, qui souffrent et qui meurent. Mais que signifie une croix brisée ? Qu’il y a quelque chose à réparer ? Ce serait peut-être alors la relation entre les êtres humains et Dieu. À moins que la croix ne soit pas brisée, qu’elle soit soit une longue croix qui passe derrière l’affiche pour entourer les malades ?
Notre conclusion
Nous avons conclu que l’affiche est théologiquement légitime, même si elle peut induire des déceptions ou des frustrations. Que se passera-t-il si une personne invitée, une personne « du monde », vient en pensant sincèrement qu’elle-même ou un·e de ses proches va guérir, mais qu’elle reste malade ? Qui rendra-t-elle responsable de l’échec ? En voudra-t-elle à la paroisse, à la prière, à Dieu ou à la personne malade ? Parler de guérison fait toujours courir le risque d’ajouter à la maladie la culpabilité.
Notre approfondissement
Par acquit de conscience, nous avons visité le site Internet de la paroisse réformée de Corsier-Corseaux. Dans l’agenda des cultes, nous avons trouvé une autre présentation du culte :
Nous avons jugé que « prière pour les malades » était une expression moins porteuse, mais plus honnête que « prière pour la guérison ». Car nous ne pouvons pas être certain·es que les malades seront guéri·es. Mais nous devons prier, demander, réclamer exiger que l’on prenne soin d’elles et d’eux.
Pour les quatre jours d’un cours intensif sur « Les figures vétérotestamentaires de la cathédrale de Lausanne » à l’Université de Lausanne avec ma collègue Ruth Ebach (Bible hébraïque), je propose quatre billets appliquant deux concepts à la mode — l’appropriation culturelle et la culture de l’annulation — à cet édifice. Que celles et ceux que les deux expressions fâchent pourraient ou devraient lire ces quatre courtes chroniques, ne serait-ce que pour savoir si leur colère est fondée !
Dès 1536, le protestantisme s’approprie la cathédrale de Lausanne. Il l’aménage conformément à sa théologie et l’adapte à son propre — appropriation ! — usage liturgique. Il en fait un lieu unique pour le culte communautaire. Pour ce faire, il ferme complètement le chœur — pour quelques années, il devient la salle de cours pour former les pasteurs —, ouvre les chapelles latérales, ce qui empêche ou évite les dévotions privées. Il installe contre un pilier de la nef une chaire d’abord en bois puis en pierre où le pasteur monte pour prêcher. Il dispose des bancs en carré autour de la chaire et récupère les stalles des chanoines pour faire asseoir les autorités.
Manière protestante de s’asseoir
Le protestantisme met ainsi en scène dans la cathédrale de Lausanne sa conception du culte : il en va d’annoncer « la Parole de Dieu », que les fidèles chantent dans les Psaumes, que l’instituteur — le régent — lit dans la Bible et que le pasteur prêche dans son sermon. Il choisit l’aménagement qui permet de rassembler « le plus de fidèles le plus près du prédicateur », celui qui permet au prédicateur d’être vu, entendu et surtout compris par le maximum de paroissien·nes. Une table en bois placée sous la chaire permet de célébrer la cène, quatre fois par an. Que la chaire domine la table de communion montre que l’annonce de l’Évangile supplante maintenant l’administration du sacrement. Techniquement, on parle de « disposition centrée des bancs », mais le théologien protestant suisse romand Bernard Reymond — L’architecture religieuse des protestants. Genève : Labor et Fides, 1996 — nomme cet aménagement « quadrangle choral » et le juge « typiquement réformé ».
Pendant des siècles de culte protestant, la cathédrale de Lausanne conserve le même aménagement intérieur. On le retrouve encore en 1960, lors des « funérailles nationales » pour Henri Guisan, général de l’armée suisse pendant la Seconde Guerre mondiale.
Aujourd’hui — je n’ai pas trouvé la date de la transformation —, la cathédrale de Lausanne propose un autre aménagement. Les bancs — qui en 2022 ont remplacé les chaises de 1913 — sont alignés les uns derrière les autres. Tous regardent vers le chœur où se trouve le « mobilier liturgique », quatre éléments amovibles : au centre une table derrière laquelle la pasteure célèbre la cène ; à droite (côté jardin), un pupitre pour prêcher et pour la liturgie ; à gauche (côté cour), des fonts baptismaux pour célébrer un baptême. Bernard Reymond qualifie ce dispositif en rangées de « perspectivisme romantique » en soulignant qu’il donne à voir dès l’entrée une perspective sur le lieu de culte et sur le culte.
J’ai écrit « tous regardent vers le chœur », mais ce n’est pas tout à fait exact puisque le dossier des bancs est amovible et qu’il peut être basculé pour « renverser le sens des bancs » et les faire regarder vers le chœur les jours de concerts.
En conclusion
Une appropriation civile d’une manière protestante de s’asseoir représente-t-elle une appropriation culturelle ? J’aurais tendance à répondre oui pour deux raisons. La première correspond à une certaine « culture du patrimoine » qui privilégie l’état original des bâtiments. Le dispositif catholique serait plus légitime parce qu’il serait plus ancien. Mais qu’est-ce qui est légitime, l’ancienneté ou la durée ? Cette cathédrale de Lausanne — elle est la troisième du nom — a été catholique pendant trois siècles et protestante pendant presque cinq, ce qui la rend autant protestante que catholique. Et quel est son « état original », puisqu’elle a été construite et profondément reconstruite : au 15e siècle on supprima par exemple la route couverte qui séparait la tour et la cathédrale et au 19e siècle, on reconstruisit la flèche deux fois ? La seconde raison vient de la fonction culturelle dévolue à la cathédrale. Des rangées de sièges tournés vers le chœur sont mieux adaptées aux spectacles. Et pour les concerts d’orgue, renverser les dossiers des bancs plus faciles à faire que retourner des centaines de chaises. Mais le changement de dispositif n’est pas seulement civil. Il vient aussi d’une réappropriation protestante de la manière de célébrer le culte. Dans la foulée du mouvement Église et liturgie, un certain protestantisme a voulu revenir à un dispositif plus solennel, plus pastoral et plus sacramentaire qu’on a parfois dit plus catholique. En créant une longue allée centrale, des bancs en rangées offrent à la ou au pasteur·e et aux officiant·es, la possibilité de faire une entrée procession. Placer la table de la cène au centre et déplacer la chaire sur le côté centre le culte sur la cène et décale la prédication. Installer les célébrant·es dans le chœur les valorise et rend l’assemblée plus passive, plus auditrice et spectatrice que partie prenante du culte.
Faut-il annuler l’appropriation civile d’une manière protestante de s’asseoir ? Non ! D’abord parce qu’il faut reconnaître que la cathédrale de Lausanne est davantage qu’un lieu de culte protestant. Aujourd’hui qu’elle accueille des cérémonies publiques, des manifestations culturelles et des célébrations œcuméniques, il serait illégitime et injuste de vouloir conserver un aménagement qui ne satisferait que le protestantisme. Et encore, les protestant·es apprécient le dispositif en rangées, y compris pour célébrer le culte. Peut-être parce simplement parce qu’il est le mieux adapté à l’architecture du lieu. Mais aussi parce qu’il dégage de l’espace et qu’il permet de déployer de la créativité cultuelle et de varier les formes d’un culte quand on cherche à le renouveler.
Après avoir lu l’excellent ouvrage Judith Lussier, Annulé(e). Réflexions sur la cancel culture, Montréal, Cardinal, 2021, je précise que ni l’Église catholique-romaine, ni la communauté juive, ni la paroisse de la cathédrale, ni les musées lausannois n’ont demandé à récupérer quoi que ce soit (ajout le 6 janvier 2023).
Le pasteur vaudois Pierre Bader raconte ce qu’un vieux pasteur lui avait raconté
Si les participant·es au culte se lèvent pour recevoir les paroles et les gestes de bénédiction, c’est que ce sont les dernières paroles et les derniers gestes; une fois celles-ci dites et ceux-ci faits, tout est dit et tout fait; il est donc temps de partir… ce qui est plus facile quand on est déjà debout. « Ite, missa est! » comme le disent mes sœurs-frères catholiques, « allez, vous êtes envoyé·es » plutôt que « allez, la messe est finie! ».
Et pourtant, en Suisse romande au moins, les participant·es au culte se rassoient après la bénédiction finale pour écouter un dernier morceau d’orgue. On devrait partir, mais on reste encore; tout est fini, mais ça continue. Que faire de cet paradoxe?
J’y vois comme un rappel que la ou le pasteur·e, malgré toute ses connaissances théologiques, ses compétences rituelles et sa reconnaissance ecclésiale, n’a pas le dernier mot. Et j’y entends comme un avertissement que la parole intelligible et rationnelle ne suffit pas à transmettre l’Évangile. Et j’aime plutôt ce que je vois et ce que j’entends.
P.S. Si vous vous demandez comment tenir aussi compte de celles et ceux qui ne peuvent pas se lever, vous pouvez lire mon article: « Quel culte protestant pour des corps humains », disponible en libre-accès sur Serval, le dépôt institutionnel de l’Université de Lausanne.
Pour marquer le 100e anniversaire de la naissance de Georges Brassens, je mets en ligne l’ensemble du «culte Georges Brassens» que j’ai déjà célébré deux fois dans des Églises méthodistes et réformées en Suisse romande, en équipe, avec des musicien·nes et des théologien·nes.
L’idée de ce «culte Georges Brassens» est née d’une rencontre avec Gaël Liardon, chansonnier, musicien d’Église, doctorant en musicologie, et d’une découverte, celle de notre goût commun pour les chansons de Georges Brassens. Je dédie d’ailleurs ce culte à Gaël, maintenant qu’il est décédé.
Je ne crois pas en Georges Brassens. Mais Georges Brassens est pour moi une sorte de prophète. Je trouve dans les chansons de Georges Brassens, dans ses paroles et dans ses musiques, dans sa vie aussi, un témoignage rendu à l’Évangile. Peut-être pas le plus orthodoxe de tous les témoignages rendus à l’Évangile, mais un témoignage vrai, un témoignage parfois dérangeant, mais un témoignage souvent stimulant.
En préparant ce culte, j’ai écrit qu’il y a plus d’Évangile dans les chansons de Georges Brassens que dans certains textes de la Bible. Et même si c’est un peu exagéré, je pense que c’est un peu vrai. Et j’espère que vous en ferez l’expérience. Mais pour être honnête, je dois dire aussi que certains textes de Georges Brassens offrent moins, peu ou pas d’Évangile. Comme moi, il est un être humain avec ses qualités et ses défauts, ses forces et ses faiblesses. Comme moi, il est seulement un être humain et c’est ce qui fait tout son charme, tout notre charme.
Nous adorons Dieu ensemble: Jeanne, Chanson pour l’Auvergnat, Le temps ne fait rien à l’affaire
Dieu nous adresse sa parole vivifiante: Celui qui a mal tourné, La mauvaise réputation
Nous répondons à Dieu par des actes communautaires: La prière, Les copains d’abord
J’ai créé des textes liturgiques en lien avec des chanson du Grand Georges. Vous pouvez le célébrer librement tel que je l’ai conçu, mais je vous conseille plutôt de l’adapter aux circonstances, à votre communauté et surtout aux envies et aux capacités des musicien·nes.
Où peut-on rencontrer des gens connus et inconnus, passer deux heures dans un lieu historique, voir des bouquets, trembler pour une funambule, découvrir un texte vieux de 2000 ans, écouter un discours de motivation, du Bach et du Brel, de la flûte traversière et de l’orgue, chanter, manger du pain et boire du vin, faire un don pour aider les autres?
Où peut-on se sentir membre d’une communauté et se sentir béni?
Hier, à la fin du premier cours de théologie pratique en présence, deux étudiantes m’ont posé des questions très pratiques. Je relaye ici une discussion que nous n’aurions sans doute pas eu en visioconférence.
Faut-il bénir avec les doigts écartés ou les doigts serrés? J’ai des choses à écrire, mais ce sera pour une autre fois.
Combien de temps doit durer un culte? Je réponds à celle-ci.
La bonne durée est celle qui convient au public. Et ce qui convient au public change selon les contextes et les époques.
Pour un culte évangélique ou pentecôtiste africain ou caribéen, la bonne durée se compte plutôt en heures, au pluriel. Pour un culte réformé occidental, elle se compte plutôt en heure, au singulier. L’usage veut que le culte réformés occidental ordinaire dure autour de 60 minutes et qu’il se prolonge pour des occasions spéciales: un baptême, le culte de Pâques, la participation d’une chorale, etc.
Mais pour estimer la durée du culte, il convient d’intégrer la durée de « l’après-culte », c’est à dire de l’apéritif, du goûter ou du repas qui doivent prolonger le culte et qui font encore partie du culte. Ce qui porte donc la durée totale du culte à 1 heure et demi voire 2 heures. Ce qui me semble une bonne durée.
De manière générale, je ne pense pas que raccourcir le culte soit une bonne chose. Un culte trop court me donne moins envie de me déplacer, surtout si les déplacements sont longs. Mais évidemment, il faut que le culte soit de qualité. Et j’inclus dans la qualité aussi bien la théologie transmise, que l’émotion procurée ou les échanges rendus possibles.
Bref, un bon culte sera toujours trop court et un mauvais culte toujours trop long!