Le Cantique des cantiques est un livre de la Bible juive, de l’Ancien Testament chrétien qui fait dialoguer deux amant·es, « lui » et « elle ».
Dès le début du livre, « elle » se définit par une phrase dont la traduction française traditionnelle me pose problème depuis longtemps, même si je n’avais jamais pensé à la remettre en question :
« Je suis belle, mais je suis noire ».
Ce « mais » introduit une limite à la beauté, comme si la couleur noire venait ternir (et je ne choisis pas ce mot par hasard) la beauté. Pire encore, la formulation en « je » attribue le jugement raciste à celle qui en est la victime. Ce n’est plus un dénigrement, mais un autodénigrement. Cette formulation raciste attribue le racisme à la femme racisée.
Faut-il que j’arrache cette page de mes Bibles ? (sur l’idée d’arracher des pages de la Bible, lire ma prédication « La Bible ne parle pas, la Bible ne dit rien »). Ou, plus radicalement encore, parce que la formule « Je suis belle, mais je suis noire » est raciste et qu’elle se trouve dans la Bible, dois-je en conclure que la Bible est raciste et jeter toutes mes Bibles ?
Avant de commettre un geste que je pourrai regretter, j’ai consulté le texte hébreu, la langue originale de la Bible juive/Ancien Testament. J’y ai découvert que rien n’oblige à traduire la conjonction de coordination par « mais ». Le mot hébreu utilisé (la lettre waw) a pour premier sens « et ». C’est d’ailleurs ainsi qu’il est généralement traduit.
Ce « mais » raciste vient donc d’une traduction raciste, pas de la Bible elle-même. Pour le vérifier, j’ai comparé treize traductions françaises. Neuf utilisent un « mais » ou une formule équivalente tandis que quatre seulement utilisent « et » ou juxtaposent simplement les adjectifs. La preuve en image.
Il faut utiliser la conjonction « et » pour coordonner les deux phrases. Avec un « et », on affirme et rappelle ainsi ce qui devrait être une évidence, qu’une femme noire est belle, que le noir – aussi! – est magnifique. Avec un « et », on contribue à encapaciter les femmes noires. Accessoirement, avec un « et », on rend justice à la Bible juive, au Cantique des cantiques qui fait l’éloge de la femme noire.
- Post scriptum: un seul sens me paraît pouvoir sauver le « mais », celui d’une revendication : « Je suis noire, mais, contrairement à ce que vous pensez, je suis belle ».
- Post post scriptum: en parlant de bronzage, les traductions de la Bible en français courant et de la Colombe font fausse route. Car elles « déracisent » l’amante du Cantique des cantiques. Elles en font une femme blanche qui a passé son été au soleil. Ce faisant, elles invisibilisent la femme noire, elles la retirent de la Bible.
- Post post post scriptum: dans la culture biblique et théologique, la couleur noire est généralement associée au mal. Ce qui n’est pas juste.