poisson

Si Jésus avait été un poisson… (Le poisson comme symbole chrétien, seconde prise)

J’ai été interrogé par Lucas Vuilleumier pour Protestinfo sur le poisson comme symbole chrétien. On peut lire mon opinion et celles de mes collègues Sarah Scholl et Daniel Marguerat dans le quotidien vaudois 24Heures ou dans La Tribune de Genève: « Eucharistie: Un poisson nommé Jésus » (Ne me demandez pas pourquoi le quotidien a mis « Eucharistie » dans son titre, je n’en ai aucune idée).

Je ne suis qu’un simple être humain et je n’ai pas toujours l’inspiration. Ce n’est qu’après coup que je me suis souvenu d’un mot de Coluche qui disait:

« Si Jésus était mort noyé, les chrétiens auraient l’air malin avec un aquarium autour du cou ou au-dessus de leur lit. »

Mais si Jésus avait été un poisson, il ne serait jamais mort noyé. Remarquez, on ne rencontre pas non plus beaucoup d’agneaux crucifiés…


Lire aussi mon billet de blogue : Le poisson comme symbole chrétien

Le poisson comme symbole chrétien

Le poisson est un des symboles les plus anciens du christianisme. Pourquoi ? Comment ? Sans lien avec l’actualité (quoique Pâques approche), je partage ce que je sais.

Comme presque tous les « symboles chrétiens », celui du poisson précède et dépasse le christianisme. Comme symbole et comme aliment, il évoque par exemple la virilité chez les Grecs et les Romains.

Le poisson est le héros malheureux de nombreux textes bibliques, notamment dans les évangiles. Jésus en fait pêcher (découvrir la pêche miraculeuse dans l’évangile de Luc, chapitre 5), il les multiplie (lire comment Jésus nourrit 5000 hommes avec 5 pains et 2 poissons dans l’évangile de Marc, chapitre 6) et il en mange (entendre Jésus demander après sa mort « quelque chose à manger », dans l’évangile de Luc, chapitre 24).

On trouve à Éphèse au 2e siècle, une inscription où le mot « poisson » est écrit en grec : Ichtus. Juste à côté, une roue est dessinée, qui contient toutes les lettres du mot. Rien ne lie cette inscription au christianisme, mais la roue est un symbole du poisson.

Dans le christianisme primitif, le poisson est un symbole du Christ au moins depuis le 3e siècle. Il indique que le Christ a vécu dans le monde comme un poisson dans l’eau. Mais le poisson est aussi symbole des chrétien·nes que le Christ sauve en les pêchant comme des petits poissons, avec l’hameçon que forme sa croix.

Au 4e siècle, un auteur africain prend les premières lettres de chaque vers d’un poème attribué à la « Sibylle d’Érythrée » pour former l’expression Iesous Kreistos Theou Uios Soter Stauros, en français « Jésus Christ fils de Dieu sauveur crucifié ». Et quand il prend les initiales des cinq premiers mots, il forme le mot I-Ch-T-U-S, poisson. Le poisson devient donc un signe de ralliement secret ou discret pour un christianisme encore persécuté.

Un jeu de mots d’Augustin d’Hippone (354-430) — en latin «Piscis assus … Christus passus» soit «poisson grillé Christ souffrant» — fait du poisson en tant qu’aliment le symbole du Christ.

Sur les premières images de la Cène au 6e siècle, on voit des poissons dans les assiettes, comme sur cette mosaïque à Ravenne (Émilie-Romagne, Italie). Ils figurent le «Christ poisson de Dieu», plutôt qu’«agneau de Dieu», selon l’expression de Jean-Baptiste.

Une Cène: table en sigma; convives allongés derrière la table; Jésus nimbé; sur la table deux gros poisson se des pains en forme de ruches

Et le christianisme valdéiste (voir sa présentation sur Wikipedia) célèbre la cène avec du poisson. C’est sans doute aussi pour cela que l’Église catholique en excommunie les fidèles en 1184.

Le poisson disparaît progressivement de la symbolique christique. Il réapparaît dans les années 1970, quand il est utilisé par un christianisme plutôt évangélique pour afficher sa foi. Stylisé, le poisson ressemble aussi à la première lettre de l’alphabet grec, l’alpha. Or selon les évangiles, Jésus dit être l’alpha et l’oméga, le début et la fin.

Symbole de foi en Jésus: un autocollant représentant un poisson avec le mot ichtus est collé à l'arrière d'une voiture

Il connaît des variantes satiriques. Un poisson avec des pattes affiché permet de défendre la théorie de l’évolution contre le créationnisme, cette doctrine qui reprend à la lettre le récit biblique de la création du monde par Dieu en six jours. Il existe en version affirmative ou plus agressive.

Peut-être en réaction, un certain christianisme se réapproprie l’image du requin, affichant un poisson chrétien plus combatif.

Le texte biblique évoqué est celui-ci :

« La parole de Dieu est vivante et efficace. Elle est plus coupante qu’aucune épée à deux tranchants. Elle pénètre jusqu’au point où elle sépare l’âme et l’esprit, les jointures et la moelle. Elle passe au crible les désirs et les pensées du cœur humain. »


À propos du poisson en christianisme, lire aussi sur mon blogue:

Deux Cènes égyptiennes

Parmi mes recherches, l’une me tient particulièrement à cœur, celle que je mène sur les Cènes médiévales et les aliments qui y sont représentés. Plusieurs pages de mon blogue en rendent compte (par exemple sur mon blogue La Cène: Moyen Âge ou Quels aliments figurent sur les images médiévales de la Cène? ou La Cène: Images et analyse); ou l’article écrit avec Nancy Labonté: Le Cenacolo de Leonardo da Vinci: un trompe-la-bouche). Je m’y concentre sur l’Europe latine, une région culturelle déjà très vaste. Mais je regrette d’être trop européocentriste. Alors, pour compenser un peu, je présente aujourd’hui deux Cènes égyptiennes.


La première pourrait être l’une des plus anciennes représentations de la Cène connue à ce jour (on admet généralement que la Cène la plus ancienne est une mosaïque de Ravenne en Italie datée du début du 6e siècle)

Cène. Égypte, 6e-8e siècle (lin brodé de soie) © Victoria and Albert Museum. (Cliquer sur l’image pour l’agrandir)

La notice du musée la décrit ainsi:

« Portion of a roundel of linen embroidered with coloured silks, depicting the Last Supper. A curved band, issuing from anobject now unintelligible, touches the halo of one of the figures. The ground is green. There is a border of heart-shaped flowers and rosettes. The roundel has been stitched to a linen tunic, a fragment of which remains. »

Un groupe d’hommes noirs jeunes et vieux – cheveux noirs et cheveux blancs – sont à table bien alignés, une main sagement posée sur cette même table. Ils semblent attendre de pouvoir manger les neuf galettes disposées devant eux et de se partager l’unique poisson sur le plat. Un serviteur porte une amphore; peut-être qu’il leur apporte du vin? Mais alors, ils n’auraient rien pour le boire.


La seconde figure dans un évangéliaire copte. C’est la sixième enluminure de l’évangile de Matthieu.

Cène. Évangéliaire copte-arabe de la Bibliothèque de Fels, folio 19r. 1250. © Bibliothèque de Fels, Institut Catholique de Paris.

La notice de la bibliothèque décrit l’œuvre en ces termes:

« La dernière Cène: Le Christ est représenté sur la gauche tenant dans la main droite un calice d’or. Les apôtres sont assis à la turque auprès d’une table ronde chargée de quatre plats ou pains. Inscription arabe (voir ill. pleine page) : la manducation du pain. »

Au moins 10 personnages – leurs habits, quelques barbes laissent penser que ce sont des hommes – sont assis par terre, face à leur maître assis lui aussi, mais assis quant à lui sur un siège qui indique son autorité. Quatre galettes sont posées sur une table basse; vont-ils les manger? Et le maître tient une coupe qui ne doit pas être remplie jusqu’au bord, sinon le liquide coulerait. Va-t-il boire? Va-t-il leur donner à boire?

Poisson d’avril

Saurez-vous retrouver le poisson caché dans le logo du Canadien de Montréal?

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« Or, ce poisson est un symbole classique du christianisme, un des premiers symboles chrétiens, celui que l’on retrouve notamment dans les catacombes. Car en grec, poisson se dit « ictus », et les lettres qui composent ce mot sont les initiales de cinq mots grecs qui forment une brève confession de foi que l’on peut traduire en français par: « Jésus Christ Fils de Dieu Sauveur ». » Bauer, Olivier. 2011. Une théologie du Canadien de Montréal. Montréal: Bayard Canada. 183

Mon Jésus? Un ivrogne et un glouton!

Les peintres d’abord, les réalisateurs ensuite ont toujours représenté Jésus maigre, les joues creuses, le visage émacié.
À voir leurs œuvres, qui se douterait que Jésus ait pu être un bon vivant? C’était pourtant bien la réputation dont il bénéficiait, une réputation dont on trouve la trace dans les évangiles:

«En effet, Jean le Baptiste est venu, il ne mange pas de pain, il ne boit pas de vin, et vous dites: “Il a perdu la tête”. Le Fils de l’homme est venu, il mange, il boit, et vous dites: “Voilà un glouton et un ivrogne, un ami des collecteurs d’impôts et des pécheurs.”» (Évangile selon Luc 7, 33-34).

Jésus, lui que certains se plaisent à imaginer rabat-joie, était un glouton et un ivrogne, à qui même la mort ne fait pas perdre son goût pour la bonne chère! Car c’est à son appétit que les disciples reconnaissent qu’il est ressuscité, que c’est bien leur maître – le crucifié – qui se tient devant eux:

«Comme, sous l’effet de la joie, les disciples restaient encore incrédules et comme ils s’étonnaient, il leur dit. “Avez-vous ici de quoi manger?” Ils lui offrirent un morceau de poisson grillé. Il le prit et mangea sous leurs yeux.» (Évangile selon Luc 24, 42-43).

Mais pourquoi diable, Jésus est-il alors représenté toujours si maigre? On peut avancer trois explications, qui valent ce qu’elles valent, pas plus, pas moins:

  • Jésus ne s’arrêtait pas de marcher. Il brûlait les calories qu’il avalait.
  • Sa nourriture quotidienne était frugale et les banquets restaient pour lui des exceptions.
  • En matière de religion, les maigres font toujours plus sérieux, plus passionnés que les gras.

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À propos de Jésus, lire aussi:

Ma série sur le Jésus de Hans Küng et celui de Jospeh Ratzinger-Benoît XVI

Et ma série Jésus le Christ:

La dernière Dernière Cène de la semaine (13)

Durant l’année d’études et de recherche que m’a accordée l’Université de Montréal, je travaille à identifier les aliments figurant sur des Cènes médiévales et à évaluer leur valeur symbolique. J’essaye, autant que possible, de présenter ici chaque lundi une Cène particulière. Cette 13e Cène sera la dernière. « 13 Cènes » me semble un bon chiffre pour un repas qui a rassemblé 13 convives… Pour d’autres aliments sur d’autres Cènes, il faudra attendre la fin de ma recherche et la publication de mon livre!

Comment terminer sans parler de la Cène la plus fameuse, le Cenacolo de Léonard de Vinci? Je reprends en article ce qui figure sur la page « Renaissance » de ce blog.

La Cène de Leonard de Vinci (1495-1498) est probablement la Cène la plus célèbre… et la plus copiée/reinterprétée/pastichée/etc.

Léonard de Vinci (1495-1498). Santa Maria delle Grazie, Milan (peinture murale a tempera; 460×880 cm)

Sur la base des travaux de l’historien de l’art étatsunien John Varriano – Varriano, J. (2008). At Supper with Leonardo. Gastronomica. The Journal of Food and Culture, 8(1), 75-79. -, nous pouvons identifier les aliments suivants:

  • Des aliments dont la présence est certaine: du pain, des fruits (orange ou grenades) et des quartiers d’orange, des poissons, une boisson rouge pâle et du sel.
  • Des aliments dont la présence reste hypothétique: du vin, des anguilles et des pommes grenades.
  • Et un plat rempli d’un contenant brun-vert non identifié qui garde tout son mystère.

Pour quoi ces aliments-là? Esquissons quelques hypothèses!

  • Du pain et du vin, je en dirai rien.
  • Parce qu’ils poussent en hauteur, sur des arbres, les agrumes ennoblissent le repas. Puisque l’orange est parfois associée au fruit défendu, et qu’aucun personnage de l’œuvre n’y touche, elle indique que Jésus est le “Nouvel Adam” qui vient rétablir l’alliance brisée avec Dieu, l’alliance par les premiers êtres humains.
  • En plaçant une assiette vide au centre de l’image, au cœur du triangle ouvert que forment les deux bras de Jésus, Leonardo désigne, par défaut, le véritable agneau du sacrifice,: le Christ évidemment. Il annonce que celui qui est vivant va mourir, que celui qui mange est celui qui sera mangé!
  • La salière renversée pourrait être non pas le signe de la malice de Judas, mais le signe de sa malchance. Il fallait que quelqu’un remplisse le rôle du traître, et ce fut sur Judas que le sort tomba. La salière renversée – signe traditionnel de malheur – pourrait servir à dédouaner Judas en affirmant non pas qu’il refuse l’alliance que Jésus propose à ses apôtres, mais qu’il ne fait que remplir – de manière très satisfaisante – le rôle pour lequel le hasard le désigna.
  • Dans le plat de poissons, dans les assiettes d’anguille ou de harengs, il y a toute une symbolique biblique, celle de la multiplication des poissons et des divers épisodes de pêches miraculeuses. Mais il y a plus encore. Il y a la tromperie du “(ar)inga”, la duperie de la Smorfia. Il y a la peau glissante de l’anguille et son caractère insaisissable, au sens propre comme au sens figuré.

Plus dans Bauer, O., & Labonté, N. (à paraître en 2013). Le Cenacolo de Leonardo da Vinci: un trompe-la-bouche! Dans A. Hetzel (dir.), Bible et intermédialité. La lettre et les images (19 p.). Paris.

Voir le clip: La Cène de Léonard de Vinci: un trompe-la-bouche?”